La pandémie du Covid-19 menace l’île de Mayotte

L’île de Mayotte située dans l’Océan Indien est le territoire français d'Outre mer où la pandémie de Covid-19 se développe le plus activement avec 1.475 recensés le 20 mai dont 19 décès. Alors que le reste de la France a démarré le déconfinement le 11 mai, la situation à Mayotte est si préoccupante qu'elle est le seul département où le confinement est maintenu.

Les premiers cas de Covid-19 se sont probablement déclarés au début de mars; le premier cas a été identifié le 14 mars. Un décompte est effectué depuis le début avril avec une augmentation régulière des cas en avril et mai. Traduisant la progression rapide de l’épidémie, plus de 50 pour cent des cas ont été confirmés sur les deux premières semaines de mai.

Une cinquantaine de personnes sont hospitalisées dont 11 en réanimation. L’âge médian des personnes ayant été hospitalisées est de 51 ans. La majorité étaient des hommes. Pour libérer des lits, 47 évacuations sanitaires de patients Covid-19 et d’autres pathologies ont été organisées vers l’île de la Réunion en mai. D’autres évacuations sont prévues dans les prochaines semaines.

Des professionnels de santé de la réserve sanitaire ont été envoyés à Mayotte et une dizaine de lits de l'hôpital militaire de campagne qui avait été déployé en soutien à Mulhouse seront transférés à Mayotte, un renforcement tout à fait dérisoire au vu de la gravité de la situation sanitaire.

La pandémie est d’autant plus préoccupante qu’une épidémie de virus de la dengue qui a commencé en 2019 s’est amplifiée en 2020 se superpose maintenant à l’épidémie de Covid-19. On compte plus de 200 cas de dengue par semaine et l’épidémie a provoqué une douzaine de morts et plus de 3.000 cas confirmés. Cette situation complique le suivi et le traitement des deux maladies dont certains symptômes sont similaires.

Avec l’arrêt des vols venant de la métropole, depuis le début du confinement, l’île est très isolée et l’ARS rencontre de grandes difficultés pour recevoir dans les délais nécessaires et en quantité suffisantes les fournitures médicales dont elle a un urgent besoin et qui transitent par la Réunion.

Le confinement a été accompagné d’un couvre-feu général à partir du 24 mars, de 20h à 5h du matin. La population des bidonvilles rencontre des difficultés pour respecter la distanciation physique et rester confinée dans les cases en tôles exiguës et surchauffées par le soleil. Malgré cela le confinement a été globalement bien compris et respecté par la population.

Signe de la dégradation des conditions socio-économiques sur l’île, l’ARS a du reprendre en main le pilotage de l’accès à l’eau courante et aux points d’eau partagés dans certaines zones pour éviter un effondrement complet des conditions de vie dans les bidonvilles.

Le confinement a déstabilisé l’économie informelle qui représente les deux tiers de l’économie marchande. Le début du confinement a été particulièrement chaotique, la population manquant de tout. Les pouvoirs publics ont organisé des distributions de colis alimentaires, mais cela reste largement insuffisant et une partie importante de la population souffre de la faim de façon chronique.

Des émeutes et des pillages de magasins ont eu lieu en mai lors de rassemblements de jeunes réprimés par la police. Le 2 mai, un commissaire de police, Jean-Marie Cavier, a été blessé en dirigeant trois pelotons de gendarmerie pour réprimer une manifestation après un mouringué, un match de box populaire, contre laquelle il a fait tirer plus de 400 grenades lacrymogènes.

Comme en métropole des pressions considérables des milieux économiques et de leurs représentants politiques et syndicaux s’exercent pour relancer l’économie sans se préoccuper des considérations sanitaires. Une ébauche de déconfinement, avec la réouverture des petits commerces, a été introduite le 18 mai par le préfet à l’approche de la fin du Ramadan, qui donne traditionnellement lieu à des achats plus importants par la population.

Les autorités disent attendre le passage du pic épidémique pour fixer la date du déconfinement, probablement en juin. Mais l’ARS redoute un «embrasement épidémique» qui déborderait totalement le système de santé local.

Mayotte est issue d'une partition de l'archipel des Comores, une ancienne colonie française située à l'entrée du canal du Mozambique, près de Madagascar.

Lors de la déclaration de l’indépendance des Comores en 1975, l’impérialisme français a agi avec la même brutalité réactionnaire qu’ailleurs dans son ex-empire colonial en Afrique. Il a organisé en sous-main un coup d’État au Comores, avec l’intervention du mercenaire notoire Bob Denard, pour en contrer les revendications d’unité et politique et territoriale. Ceci a permis à la France de conserver le contrôle de l’île de Mayotte en divisant les Comores.

Pour consolider la présence française, le statut de département a été octroyé en 2011, malgré le sous développement de l’île et sa taille de seulement 374 km2. Il y a à présent une colère sociale grandissante contre l’échec du passage de Mayotte au statut de département d’outre-mer, qui n’a pas amélioré les conditions sociales qui restent désastreuses.

Du fait de la séparation artificielle d’avec les Comores, de très nombreux réfugiés en situation irrégulière venant des îles voisines vivent sur l'île. Ils constituent la moitié de la population et vivent pour la plupart dans des bidonvilles surpeuplés, avec des problèmes d'accès à l'eau courante, à l'électricité et aux sanitaires. Un tiers des habitants n'a pas accès à l'eau courante.

On estime que 84 pour cent de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Mayotte a la plus forte croissance démographique de tout le continent africain, à l'exception du Niger et plus d'un habitant sur deux a moins de 20 ans. La densité de la population est très élevée avec 690 habitants au km². Le système scolaire n'accueille qu'une partie des enfants; un tiers des plus de 15 ans n'a jamais été scolarisé.

L’île est un immense désert médical avec 18 médecins de ville pour les 279 000 habitants. Les moyens du centre hospitalier de Mayotte, sont quant à eux surtout concentrés sur la maternité qui assure près de 10.000 naissances par an, dont 75 pour cent d’enfants nés de mères en situation irrégulière.

Compte tenu des conditions sociales et du manque de moyens mis en œuvre pour lutter contre l'épidémie, on s'attend à une augmentation continue des cas de Covid-19.

Selon les données officielles, l'épidémie n’aurait pas encore pénétrée de façon importante dans les bidonvilles, mais on manque de données sur le nombre de cas réels dans la population et leur répartition. Il est probable que d’assez nombreux cas asymptomatiques ou de gravité modérée soient intervenus dans une population où on ne se rend à l’hôpital qu’en cas de problème de santé sérieux. En outre, faute de moyens, la capacité de dépistage est pour l’instant limitée à 200 tests par jour, 5.700 ayant été réalisés au total. Ceci est largement insuffisant et limite la capacité à suivre les cas et les contacts et à contrôler l’épidémie.

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