Les chaînes d'épicerie canadiennes réduisent les salaires alors que la pandémie continue de faire rage

Dans un geste très provocateur et apparemment coordonné, les trois principales chaînes d'épicerie du Canada ont annoncé la semaine dernière [11 juin 2020] qu'elles mettaient au rebut une «prime» ou un bonus de 2 dollars de l'heure pour la pandémie de COVID-19, à compter du 13 juin. Cette décision se traduira par une baisse de salaire significative pour des centaines de milliers de travailleurs qui ont assuré et continuent d'assurer un service essentiel dans le contexte de la pire pandémie depuis un siècle.

Loblaws, Metro et Empire, la société mère de Sobeys, IGA, Safeways et d'autres chaînes, ont introduit la prime à la fin du mois de mars. Ils ont fait cela pour atténuer la colère et l'anxiété des travailleurs face à l'exposition au coronavirus hautement contagieux et potentiellement mortel sur leurs lieux de travail alors que le pays était presque totalement confiné.

Cette prime a été saluée par les patrons des entreprises et les médias comme un exemple de la reconnaissance par l'élite dirigeante des travailleurs des supermarchés comme des «héros». C'était un élément crucial dans le récit frauduleux que tout le monde faisait face ensemble à la pandémie. En réalité, alors que les travailleurs recevaient quelques miettes, le gouvernement libéral fédéral a donné plus de 650 milliards de dollars aux marchés financiers et aux grandes banques.

Le propriétaire de Loblaws, Galen Weston, qui possède une fortune d’une valeur nette de 13 milliards de dollars et qui partage son temps entre une spacieuse résidence du centre-ville de Toronto et une île privée dans la baie Georgienne, et ses collègues oligarques qui contrôlent Metro et Empire, ne pouvaient pas supporter l'idée que des dizaines de milliers d'employés de magasins réduisent leurs marges bénéficiaires en percevant une pathétique prime de 2 dollars de l'heure pendant une seconde de plus que ce qui était politiquement nécessaire.

La décision d'abolir la prime salariale alors que la pandémie continue de faire rage montre le mépris choquant des entreprises pour la vie des travailleurs, qu'elles considèrent comme de simples esclaves pour construire leurs pyramides de richesse. Jeudi dernier, un employé d'un magasin appartenant à Loblaw à Cambridge, en Ontario, a été testé positif pour le virus, tandis que Metro a signalé trois nouveaux cas dans des magasins de Mississauga et d'Etobicoke au début du mois. Le National Post a rapporté à la fin mai qu'au moins 500 employés d'épicerie ont contracté le COVID-19 et que plusieurs sont morts.

Pendant ce temps, les chaînes d'épicerie n'ont jamais été aussi bien loties, avec des reportages suggérant que les profits ont augmenté de plus de 20% pendant le confinement.

La décision d'abandonner l'augmentation de salaire est liée à la campagne de retour au travail de l'élite au pouvoir, menée par le gouvernement libéral de Trudeau. À l’encontre de tous les avis scientifiques, les travailleurs se font dire que la pandémie est effectivement terminée et que tout doit revenir à la «normalité», c'est-à-dire à une exploitation impitoyable, à un emploi précaire et à de bas salaires. Comme l'a dit Weston dans une déclaration, en parlant de sa main-d'œuvre mal payée, «(N)ous sommes convaincus que nos collègues travaillent efficacement et en toute sécurité dans une nouvelle normalité.»

Pour l'élite corporative et ses laquais politiques, cette «nouvelle normalité» implique que les travailleurs acceptent que les efforts de santé publique visant à combattre la propagation de la pandémie soient abandonnés. Les infections et les décès doivent être tolérés comme faisant partie de la vie quotidienne: le coût de faire des affaires pour les capitalistes.

C'est la signification de la menace du gouvernement Trudeau de modifier les conditions de la Prestation canadienne d'urgence (PCU) afin de pouvoir imposer d'énormes amendes aux travailleurs et même les envoyer en prison s'ils refusent de retourner à leur travail pour des raisons de sécurité. (Voir: Le gouvernement canadien brandit la menace d'amendes et de peines de prison pour forcer les travailleurs à retourner au travail)

La réduction graduelle de la PCU est étroitement liée à la décision des chaînes d'épicerie de réduire le salaire des travailleurs. Même si les travailleurs ne reçoivent que 2000 dollars de la PCU chaque mois, les salaires dans les épiceries sont si bas que de nombreux travailleurs auraient été mieux payés par la PCU, n’eut été la prime de 2 dollars de l'heure. «Les salaires ont été maintenus si bas dans l'industrie», observe Chris MacDonald, l'assistant du président d’Unifor, Jerry Dias pour le secteur de la vente au détail, «que les gens se demandent "cela vaut-il vraiment la peine de risquer ma santé et celle de ma famille en travaillant, alors que je peux simplement toucher la PCU?" Les entreprises ont donc dû payer cette prime, sinon elles n'auraient pas eu assez de travailleurs. Ce n'était pas par bonté de coeur.»

Il n'est pas surprenant que MacDonald ne fasse pas remarquer que les salaires de misère ont été payés par les chaînes d'épicerie avec la connivence des syndicats. Unifor et les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC), qui représentent ensemble plus de 170.000 travailleurs de l'alimentation, ont négocié une série interminable de contrats de concession avec les employeurs. Ceci est illustré par le fait qu'avant la pandémie, 80% des emplois dans les épiceries étaient à temps partiel.

Les TUAC ont publié une déclaration disant qu'ils étaient «déçus» de la décision de supprimer la prime de salaire, tandis que le président d'Unifor, Jerry Dias, a cherché à faire appel à la bonne conscience de Weston et compagnie pour qu'ils augmentent le salaire de misère de leur main-d'œuvre. «Nous avons une chance de régler ce problème. Nous ne pouvons pas laisser passer cette occasion», a-t-il plaidé.

Mais les syndicats ne font absolument rien pour mobiliser l'opposition populaire à la décision des chaînes d'épicerie. Au contraire, ils se sont concentrés sur l'approfondissement de leur coopération avec le gouvernement libéral et sur la mise en place d'une alliance corporatiste avec les grandes entreprises qui a pour objectif immédiat de forcer les travailleurs à retourner sur des lieux de travail dangereux. Cela a été exprimé le plus clairement par la déclaration du Congrès du travail du Canada selon laquelle il participe à un «front de collaboration» avec les principales organisations d'employeurs du pays. (Voir: Les syndicats canadiens cimentent une alliance corporatiste anti-travailleurs avec le gouvernement et la grande entreprise)

Suite aux protestations indépendantes des travailleurs de l'automobile en Amérique du Nord qui ont forcé la fermeture de l'industrie automobile en mars, Dias et Unifor ont travaillé main dans la main avec les principaux constructeurs automobiles pour rouvrir les usines en Ontario dès que possible. Cette décision expose des milliers de travailleurs et leurs familles au risque d'infection pour garantir les profits de GM, Ford et Fiat-Chrysler.

Le rôle des TUAC a été encore plus éhonté en Alberta, où le syndicat a forcé 2000 travailleurs de l'industrie du conditionnement de la viande à reprendre leur travail au milieu d'une énorme épidémie de COVID-19 à l'usine Cargill de High River. Bien que près de 1000 infections aient été enregistrées dans l'usine et que trois personnes en soient mortes, les TUAC ont refusé catégoriquement d'organiser une grève ou une action des travailleurs. Le président local des TUAC, Thomas Hesse, a insisté sur le fait qu'une grève pour protester contre ces conditions de travail dangereuses qui mettent la vie des travailleurs en danger ne serait «pas légale» dans le cadre des négociations collectives conçues par l'État pour favoriser les employeurs, que les syndicats soutiennent et font respecter. (Voir: Les travailleurs canadiens de l’usine de conditionnement de viande Cargill contraints de reprendre le travail malgré 935 infections)

La leçon que doivent tirer les travailleurs des épiceries et de tous les autres secteurs économiques est qu'ils doivent créer leurs propres organisations indépendantes de lutte – des comités de la base sur les lieux de travail – pour défendre leurs intérêts. Des emplois permanents et décents, la disponibilité de tests en nombre suffisant pour la COVID-19, la fourniture d'équipements de protection individuelle à tous les travailleurs, l'application de mesures de sécurité strictes et la fermeture des lieux de production non essentiels et des lieux de travail dangereux avec un salaire complet pour tous les travailleurs concernés sont autant de demandes urgentes que ces comités doivent mettre de l’avant.

Les syndicats ne peuvent pas se battre pour ces revendications car cela reviendrait à remettre en cause la primauté des profits des entreprises sur la vie humaine, qui est la base brutale du système capitaliste. Les travailleurs doivent donc lier leur lutte pour l'amélioration des conditions de travail à la lutte pour l'établissement d'un gouvernement des travailleurs engagé dans des politiques socialistes.

(Article paru en anglais le 17 juin 2020)

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