Des locataires de Toronto protestent contre les expulsions imminentes dans le contexte de la crise de la COVID-19

Des organisations de locataires ont perturbé un discours du maire de Toronto, John Tory, lors d’une cérémonie d’inauguration de développement immobilier la semaine dernière. Cette manifestation s’inscrivait dans une série d’actions en cours contre une loi provinciale qui mettra fin au moratoire sur les expulsions en Ontario, alors même que la pandémie de la COVID-19 se poursuit.

Les manifestants réclament que Tory utilise ses pouvoirs d’urgence municipaux en matière de santé et de sécurité pour bloquer les expulsions dans la ville et empêcher la police d’y participer. Ils ont également pressé le maire de dénoncer la Loi 184, récemment adoptée par le gouvernement conservateur de l’Ontario dirigé par Doug Ford et qui est favorable aux propriétaires. Cette protestation contre Tory et le gouvernement conservateur provincial est la dernière action en date des groupes de locataires, qui avaient déjà organisé une manifestation à l’assemblée législative provinciale, puis avaient marché jusqu’à l’appartement de 2,4 millions de dollars du maire pour lui présenter un avis d’expulsion factice. La police a utilisé des pulvérisateurs au poivre de Cayenne pour repousser les manifestants.

Adoptée la semaine dernière par le gouvernement droitiste de Ford, la Loi 184 ouvre la voie à la reprise des expulsions de locataires à partir du 1er août, et diminue la protection des locataires auparavant inscrite dans les règlements sur les relations entre propriétaires et locataires.

Ford a été contraint d’ordonner une suspension temporaire des expulsions le 17 mars dans le cadre du confinement imposé par la COVID-19 dans la province. Mais cinq jours auparavant, son gouvernement avait déjà signalé son intention de favoriser davantage les propriétaires devant les locataires en introduisant le projet de loi 184 à l’assemblée législative. En dépit que la pandémie ravageait la province, entraînant plus de 2750 décès, le gouvernement a fait de l’adoption du projet de loi 184 l’une de ses priorités.

La promulgation d’une loi réduisant les droits des locataires laisse présager une attaque contre la classe ouvrière à tous les niveaux du gouvernement, alors que la classe dirigeante s’apprête à saccager les protections réglementaires et à réduire les services publics, les emplois et les salaires. Son objectif est de faire payer aux travailleurs les centaines de milliards de dollars versés dans les coffres des banques et de l’oligarchie financière par le gouvernement libéral fédéral, la Banque du Canada et d’autres organismes publics depuis le début de la pandémie.

À cette fin, l’élite dirigeante du Canada, menée par le gouvernement libéral Trudeau, applique une politique de retour au travail imprudente et criminelle qui menace la vie de dizaines de milliers de travailleurs.

Le projet de loi du gouvernement Ford transforme la Commission de la location immobilière (CLI), qui statue sur les litiges, en une simple agence de recouvrement de dettes. Au cœur de la nouvelle loi, que le gouvernement a cyniquement mal nommée la Loi de 2020 visant la protection des locataires et le renforcement du logement communautaire, se trouve l’autorisation pour les propriétaires d’obtenir des accords de remboursement des arriérés de loyer et de services publics, légalement exécutoires et onéreux, sans avoir à se prononcer devant la CLI.

Un locataire peut refuser un tel accord et faire appel devant la CLI. Cependant, les ressources et les connaissances et compétences juridiques requises pour une telle action sont souvent inaccessibles aux locataires vulnérables. La majorité des personnes ayant des arriérés de loyer ne parlent pas l’anglais comme première langue, sont pauvres ou au chômage depuis peu. Si un locataire signe un échéancier de remboursement et se trouve par la suite dans l’incapacité de respecter les stipulations exigées par son propriétaire, un ordre d’expulsion peut être immédiatement donné sans audience devant la CLI.

Dans un autre geste vindicatif, le gouvernement Ford a appliqué les mesures de la Loi 184 rétroactivement au mois de mars, mois où le confinement relié à la COVID-19 a été annoncé. Des centaines de milliers d’Ontariens ayant perdu leur emploi ou subi une perte de revenu considérable en raison de la pandémie et de ses retombées économiques pourraient ainsi être ciblés par les propriétaires en utilisant leurs nouveaux pouvoirs d’expulsion accélérée.

Ces dernières semaines ont également vu des manifestations contre le projet de loi 184 dans d’autres villes ontariennes, notamment à Ottawa et à Hamilton. Un participant à une récente manifestation à Hamilton a déclaré au World Socialist Web Site: «Je connais du monde vivant en appartement qui, mois après mois, craignent d’être expulsés et de se retrouver à la rue. Les refuges sont pleins à craquer, alors ils ne peuvent pas y aller. Malgré les registres qui permettent de traquer les propriétaires malhonnêtes et de les signaler au gouvernement, ils s’en sortent impunément et ne font tout simplement pas l’entretien qu’on attend d’eux. C’est absolument honteux. Doug Ford dit en gros: "Je me fiche de vous, les locataires. Je me soucie davantage des propriétaires et je fais passer leurs besoins en premier".»

Selon les estimations, la Loi 184 entraînera plus de 6000 expulsions de logements locatifs dans la province, touchant environ 15.000 personnes dans les semaines à venir. En avril, le taux de délinquance locative à Toronto est passé à 10 % de l’ensemble des locataires, une augmentation considérable par rapport au taux moyen de 1 % avant la pandémie. En avril, environ 53.000 logements locatifs étaient en retard de paiement à Toronto, ce qui représente au moins 130.000 personnes qui vont maintenant se battre pour éviter l’expulsion. On s’attend à ce que ces chiffres augmentent une fois que les arriérés de loyer des derniers mois auront été comptabilisés.

On estime déjà à 9000 le nombre de sans-abri à Toronto. Ce chiffre n’inclut pas les milliers d’autres personnes qui vivent dans la précarité et dorment sur le canapé ou le plancher chez des amis ou un membre de leur famille ou encore dans leur voiture. Alors que les protestations éclatent contre la Loi 184, une résistance se développe également contre les expulsions dans les camps de sans-abri que l’on trouve dans les parcs, les ravins ou encore les passages souterrains de la ville. Il y a quelque 43 campements de ce type dans la ville.

Le 16 juillet, une vingtaine de sans-abri dormant à Moss Park à Toronto ont résisté avec succès à un ordre d’expulsion de la municipalité et ont refusé de quitter leurs abris de fortune alors que la police a procédé à une descente sur les lieux. L’ordre d’expulsion n’avait été donné que 24 heures à l’avance, ce qui est en violation d’un règlement qui exige un préavis de 72 heures. Les représentants des sans-abri ont ensuite porté plainte devant le tribunal provincial, arguant que les attaques de la ville contre les camps de sans-abri sont inconstitutionnelles.

Les refuges pour sans-abri sont déjà pleins à craquer à Toronto alors que la ville s’efforce de trouver des places supplémentaires. Cependant, de nombreuses personnes vivant dans les rues et dans les parcs hésitent à s’installer dans les refuges, où les vols, les couvre-feux onéreux et envahissants, et la menace d’agression et d’infection par la COVID-19 font partie de la réalité quotidienne. Au moins 630 cas de COVID-19 ont été enregistrés à ce jour dans les refuges de la ville.

Les loyers très élevés à Toronto sont le résultat de la frénésie de la spéculation immobilière des 20 dernières années qui a enrichi une poignée de magnats de l’immobilier aux dépens des locataires. Contrairement au nombre croissant de travailleurs qui luttent pour se maintenir à flot, Toronto est un pôle d’attraction pour les super-riches de tout le pays et du monde entier. Les appartements en copropriété sont achetés à titre d’investissement ou pour blanchir de l’argent, et sont souvent inoccupés ou simplement loués pour le tourisme saisonnier. Les millions de dollars que possèdent le maire Tory et le premier ministre Ford sont dérisoires par rapport à la richesse des 27 milliardaires qui ont élu domicile à Toronto. Parmi eux figure David Thomson, de l’empire médiatique Thomson Reuters, et dont la famille, avec une valeur nette de 37 milliards de dollars, est la plus riche du Canada.

La crise du logement est également le produit de la réduction systématique des logements sociaux par les gouvernements fédéral et ontarien et par tous les partis politiques, y compris le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui s’aligne sur les syndicats. Depuis le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae au début des années 1990, les gouvernements provinciaux n’ont accordé aucun financement aux logements sociaux, tout en réduisant les dépenses publiques pour les services sociaux dans tous les domaines. Les gouvernements successifs ont réduit les taux d’imposition des sociétés et des particuliers, et miné la réglementation du marché du travail, ce qui a entraîné une croissance rapide des inégalités sociales, alors que des millions de travailleurs faiblement rémunérés et occupant des emplois précaires luttent pour joindre les deux bouts.

De nombreux manoirs occupés occasionnellement par les millionnaires et les milliardaires de Toronto surplombent les ravins forestiers de la ville où se trouvaient des campements de sans-abri récemment démolis. Les ressources pour répondre aux besoins en logement de la classe ouvrière ne manquent pas, mais pour y accéder, il faut un mouvement socialiste armé d’une conscience de classe, qui luttera pour exproprier les entreprises et instituer un système social et économique plaçant les besoins des gens au-dessus de la course au profit rapace de la classe capitaliste.

(Article paru en anglais le 28 juillet 2020)

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