Trump évoque la possibilité de repousser les élections

Et les deux partis exigent que l’armée fasse l’arbitre

Donald Trump a mis en doute la légitimité de l’élection de novembre jeudi matin en tweetant qu’elle sera «l’élection la plus INEXACTE et la plus FRAUDULEUSE de l’histoire» en raison des décisions des États d’étendre le vote par correspondance pendant la pandémie de coronavirus. En conséquence, il a suggéré que le vote soit reporté: «Retarder l’élection jusqu’à ce que les gens puissent voter correctement, en toute sécurité et sans risque???»

Dans les heures qui ont suivi le tweet de Trump, même des alliés républicains comme le leader de la majorité au Sénat Mitch McConnell, Marco Rubio et Lindsey Graham ont rapidement fait part de leur opposition à la suggestion de Trump.

Une loi fédérale adoptée par le Congrès en 1845 exige que les élections générales aient lieu le mardi suivant le premier lundi de novembre.

Le président Donald Trump brandit des articles alors qu’il s’exprime lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, le jeudi 30 juillet 2020, à Washington. (AP Photo/Evan Vucci)

Plus tard jeudi après-midi, Trump en a remis en tweetant: «On doit connaître les résultats des élections le soir même, pas des jours, des mois ou même des années plus tard!»

Trump, qui a longtemps menacé de contester le résultat de toute élection qu’il perdrait et de rester en fonction pendant plusieurs mandats, fait face à une campagne de réélection de plus en plus difficile avec un très faible taux d’approbation. Cette semaine, les États-Unis ont franchi la barre des 150.000 décès dus au coronavirus: la Californie, la Floride et plusieurs petits États viennent d’enregistrer leurs plus grands nombres de décès quotidiens à ce jour. Des dizaines de millions d’emplois ont été supprimés, tandis que le Congrès a laissé expirer les allocations de chômage fédérales supplémentaires. Bien qu’il reste trois mois avant le vote, certains sondages récents des élections nationales montrent que le soutien de Trump est inférieur à 40 pour cent.

La période qui précède l’élection du 3 novembre et les 11 semaines qui séparent l’élection de l’investiture du 20 janvier risquent d’être des périodes de crise politique sans précédent. L’armée, en prévision de la perspective de manifestations de masse, a publié du matériel de formation qui qualifie les manifestants et les journalistes d’«adversaires». Le fait que chaque membre des forces armées ait reçu l’ordre d’étudier ces documents de formation indique que l’armée se prépare à de nouveaux déploiements pour réprimer violemment toute opposition politique.

Mercredi, le ministère de la Justice a déployé des dizaines d’agents fédéraux à Milwaukee au Wisconsin, à Detroit au Michigan et à Cleveland en Ohio. Cela fait suite au déploiement des forces paramilitaires à Portland, en Oregon, qui ont occupé le centre-ville et arrêté des manifestants sans motif valable, les jetant à l’arrière de voitures banalisées pour ensuite les interroger dans des lieux non divulgués.

Lors d’une conférence de presse jeudi, Trump a menacé de déployer la garde nationale à Portland si le gouverneur démocrate de l’État ne parvenait pas à réprimer ce que Trump a qualifié d’activité «terroriste».

Le déploiement à Milwaukee, Detroit et Cleveland est significatif, car il y a quatre ans, la faible participation des Afro-Américains appauvris avait été un facteur majeur dans la minuscule avance Trump dans le Wisconsin et le Michigan. Les sondages dans l’Ohio montrent que l’État sera chaudement disputé cette année.

Pour ajouter à l’incertitude, le Wisconsin et le Michigan ont des législatures d’État contrôlées par les républicains et des gouverneurs démocrates. Cela signifie que les efforts pour certifier les résultats des élections dans ces États feront face probablement à de longs délais judiciaires et à des obstructions partisanes. La Pennsylvanie et la Caroline du Nord, deux États charnières avec respectivement 20 et 15 grands électeurs, ont également un contrôle partagé entre les partis.

De plus amples détails sont en train d’apparaître sur les efforts déployés par des groupes bipartites d’officiers de renseignement militaire à la retraite, d’élus et de personnalités des médias pour «simuler» les scénarios possibles d’une élection contestée.

Selon Rosa Brooks, responsable du Transition Integrity Project, trois scénarios de jeu électoral sur quatre ont abouti à une crise constitutionnelle sans précédent, plaçant le pays au bord de la guerre civile. Dans ces scénarios, Biden et Trump prétendent tous deux être le président légitime à 12 h le 20 janvier, minute à laquelle le 12e amendement de la constitution exige que le pouvoir doive être transmis du gouvernement sortant au nouveau gouvernement.

Le 28 juillet, le Washington Post a publié un article intitulé «Si Trump n’est pas d’accord, une question inimaginable se pose: le président pourrait-il faire appel à l’armée dans une élection contestée?»

L’article pose la question: «Comment les forces armées réagiraient-elles si elles étaient entraînées dans une élection contestée?» Avec les contestations judiciaires attendues sur la certification des votes dans plusieurs États, l’article note la possibilité que les poursuites judiciaires en cours signifient que le Congrès ne pourra pas déclarer un gagnant d’ici le 20 janvier.

Le Post écrit: «Il est crucial qu’un résultat contesté qui se prolonge au-delà du 20 janvier oblige l’armée à prendre une décision implicite sur le choix du commandant en chef. Selon la “Loi sur la succession du Président” de 1947, Trump cesserait d’être président à midi le 20 janvier si le Congrès ne le déclarait pas vainqueur, et son autorité de commandant en chef de l’armée serait transférée au président en exercice: le président de la Chambre des représentants».

Dans un scénario simulé par les participants du groupe, «la Maison-Blanche pourrait demander à l’armée de protéger le président ou, plus probablement, de répondre à d’éventuelles protestations pour des raisons de “loi et d’ordre”, ce qui pourrait amener le président à donner suite à des menaces antérieures d’envoyer des troupes en service dans les villes américaines ou de prendre la direction des membres de la Garde nationale commandés par l’État».

Face à des ordres contradictoires, les fonctionnaires qui suivent des ordres donnés par le mauvais commandant en chef seraient susceptibles d’être arrêtés et poursuivis pour «ne pas avoir empêché une mutinerie ou une sédition», ce qui peut entraîner la peine de mort, note le Post.

Ce n’est pas seulement Trump qui peut faire appel à l’armée pour intervenir et déterminer physiquement le résultat de l’élection. Au début de l’année, le candidat démocrate présumé à la présidence, Joe Biden, a averti que si Trump refusait de quitter la Maison-Blanche, l’armée «l’escorterait avec grande diligence».

En effet, une participante à ces simulations, la professeure de droit Risa Brooks de Marquette, a déclaré au Post: «À bien des égards, il semble que l’armée va devoir réfléchir à son rôle dans la politique intérieure comme elle ne le fait pas normalement».

Ajoutant au climat d’incertitude, la Constitution prévoit également que le prochain Congrès élu en novembre siège le 3 janvier, plus de deux semaines avant l’investiture du président. La plupart des sondages montrent que les démocrates garderaient la majorité de la Chambre basse, ce qui place la présidente démocrate de la Chambre, actuellement Nancy Pelosi, en position de présidence intérimaire.

Mais si l’élection est retardée ou si des contestations judiciaires produisent suffisamment de sièges vacants au Congrès pour empêcher une Chambre à majorité démocrate d’élire un président avant le 20 janvier, le président temporaire du Sénat deviendrait président par intérim. Chuck Grassley, un républicain, occupe ce poste actuellement, mais la direction du Sénat lors des prochaines élections est incertaine. Si l’élection aboutit à une égalité 50-50 au Sénat, la constitution n’a pas de réponse à la question de savoir qui deviendra président temporaire (et donc président par intérim), puisqu’il n’y aura pas de vice-président élu pour présider un Sénat à égalité.

Pour ajouter à la confusion, si l’élection est retardée, il ne resterait que 65 sénateurs (ceux qui ne seront pas soumis à l’élection cette année), et la majorité de ceux qui resteront sera des démocrates. En plus de la possibilité que les républicains fuient Washington pour empêcher les démocrates d’établir un quorum, les gouverneurs des États peuvent également décider de nommer des sénateurs pour combler les 35 sièges vacants. Étant donné que les républicains contrôlent la majorité des gouvernorats, le poste de président temporaire du Sénat – et donc de président par intérim – pourrait être chaudement disputé.

Tout étant sujet à contestation juridique, il est possible qu’au 20 janvier, personne ne sache l’identité du président.

Dans ces conditions d’immense crise politique, les deux grands partis demandent à l’armée de jouer l’arbitre du pouvoir d’État. Les initiés bourgeois qui simulent cette situation sont conscients de la possibilité que différents commandants obéissent aux ordres de différents commandants en chef, et que différentes unités soient déployées pour s’affronter, en particulier dans le district de Colombia, où le contrôle physique est le plus important et où le président commande la Garde nationale.

Dans ce contexte, un article d’opinion du New York Times, rapidement oublié, de l’ancien sénateur Gary Hart, démocrate, prend toute son importance. Dans son article du 23 juillet, Hart a déclaré que l’ancien sénateur démocrate Walter Mondale et lui-même: «ont récemment pris connaissance d’au moins une centaine de documents qui autorisent des pouvoirs présidentiels extraordinaires en cas d’urgence nationale, des pouvoirs presque dictatoriaux sans supervision du Congrès ou du pouvoir judiciaire».

Hart a écrit: «Nous pensons qu’ils peuvent inclure la suspension de l’habeas corpus, la surveillance, l’intrusion dans le domicile, l’arrestation sans mandat judiciaire, les arrestations collectives, voire de masse, etc.»

Sans l’intervention de la classe ouvrière, quelle que soit la fraction de la classe dirigeante qui prend l’initiative, l’establishment politique sera poussé plus loin vers la droite, s’appuyant sur l’armée et risquant l’instauration d’une dictature militaire. Dans la course entre Biden et Trump, il n’y a pas de fraction progressiste.

(Article paru en anglais le 31 juillet 2020)

Loading