Le mensonge des syndicats aux travailleurs de la santé du Québec: les autorités vont vous protéger

Le vendredi 31 juillet, des infirmières de la Cité-de-la-Santé de Laval ont déclenché un sit-in pour protester contre la surcharge de travail qui s’est exacerbée avec la pandémie de COVID-19. Cette action fait partie d’une série de manifestations et arrêts de travail qui ont eu lieu ces derniers mois à des établissements de santé au Québec et ailleurs au Canada.

Plusieurs de ces actions de protestation ont été organisées sur les réseaux sociaux par des travailleurs de la base, indépendamment des syndicats. Ces travailleurs dénoncent, comme leurs homologues aux États-Unis et à l’international, des conditions de travail intolérables et en particulier le manque chronique d’équipements de protection individuelle (ÉPI).

La colère palpable du personnel de la santé est liée à une opposition montante parmi toutes les sections de la classe ouvrière contre la réponse désastreuse de l’élite dirigeante à la crise du coronavirus. Mais loin de canaliser cet esprit combatif vers une contre-offensive ouvrière après des décennies d’austérité capitaliste, les syndicats font tout pour l’étouffer.

C’est ce qui ressort d’un article que le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley, a écrit et fait paraître mardi dans la page Opinion du quotidien montréalais Le Devoir. L’article porte les signatures des présidents des sections locales de la santé affiliées à la CSN (Confédération des syndicats nationaux), la plus importante centrale syndicale du réseau de la santé au Québec.

Le but de l’article est d’apaiser la colère bouillonnante des travailleurs de la base envers la négligence criminelle des autorités gouvernementales, et le refus de leurs propres directions syndicales de s’y opposer. Mais un examen attentif de son contenu ne peut qu’accroître le sentiment de rébellion des membres contre leurs syndicats impotents.

Sous le titre «Répéter les erreurs de la première vague n’est pas une option», l’article accepte et relaie le mensonge de l’élite dirigeante que la pandémie aurait pris les autorités par surprise et que leur gestion catastrophique de la crise serait due à de simples «erreurs». En réalité, c’est le fruit d’une politique délibérée consistant à faire passer le profit avant les vies humaines.

Pendant des années, les divers paliers de gouvernement au Canada et au Québec ont ignoré les avertissements répétés des scientifiques concernant le danger d’une pandémie mondiale, poursuivant et intensifiant les compressions budgétaires qui ravagent le réseau de la santé depuis des décennies. Et lorsque la pandémie de coronavirus a atteint l’Amérique du Nord en début d’année, et que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) a sonné l’alarme, ils n’ont rien fait pendant les deux premiers mois critiques pour assurer la protection de la population.

Les chefs syndicaux sèment ensuite l'illusion que les travailleurs de la santé peuvent se protéger par le biais de la CNESST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail), appelant celle-ci à «forcer les employeurs à rehausser les mesures de protection au travail».

En réalité, la CNESST fait partie intégrante de l’État capitaliste et agit comme service d’assurance pour protéger les employeurs de lourdes poursuites judiciaires lors d’accidents sur les lieux de travail. Depuis le début de la pandémie, elle a refusé la grande majorité – sinon la totalité – des plaintes provenant d’employés qui invoquaient un droit de refus de travail à cause de conditions non-sécuritaires. La moitié de son conseil d’administration est composée de représentants syndicaux, tels que la vice-présidente de la CSN Caroline Senneville et le président de la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec) Daniel Boyer.

Poursuivant son article, Begley tend la main au gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec), dirigé par le multi-millionnaire et ex-PDG François Legault, qui combine une forme extrême de chauvinisme québécois avec une politique de droite faite de privatisations, baisses salariales et profondes coupes sociales. «Le gouvernement, la santé publique et la CNESST», plaide Begley, «doivent prendre leur responsabilité».

Aucune revendication précise n’est soulevée dans la lettre au nom des intérêts des travailleurs. Autrement dit, les syndicats ne lèveront pas le petit doigt pour protéger leurs membres face à la pandémie de coronavirus qui a fait une hécatombe dans les centres pour aînés du Québec et de l’Ontario, contaminé plus de 13.500 employés de la santé au Québec en faisant plusieurs morts, et provoqué une catastrophe sanitaire, économique et sociale à l’échelle internationale.

Les chefs syndicaux vont plutôt poursuivre la collaboration avec le gouvernement Legault dont ils ont fait preuve depuis le début de la pandémie.

Ils ont d’abord accepté de suspendre les discussions sur le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public, avant de reprendre quelques jours plus tard un blitz de négociations autour des demandes gouvernementales. Depuis des mois, ils gardent leurs membres dans le noir tandis qu’ils négocient à huis clos avec le gouvernement Legault un nouvel assaut sur les salaires et conditions de travail.

Dans son article au Devoir, Begley passe entièrement sous silence les décrets ministériels qui donnent au gouvernement les pleins pouvoirs – déjà utilisés – pour réorganiser les tâches sur les lieux de travail, éliminer des vacances estivales et lancer toutes sortes d’attaques contre les travailleurs. C’est parce que les syndicats n’ont aucune intention de s’y opposer, tout comme ils n’ont rien fait contre la dégradation continuelle des conditions de travail depuis des années.

Au Canada, les syndicats soutiennent la politique du gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau qui consiste à renflouer la grande entreprise et l’aristocratie financière à coup de centaines de milliards de dollars, tandis que des miettes sont laissées aux travailleurs ordinaires. Ils appuient également la campagne assidue de tous les paliers de gouvernement pour un retour au travail prématuré, alors que le coronavirus mortel demeure plus présent que jamais dans les communautés.

Les actions syndicales en temps de pandémie s’inscrivent dans leur suppression de la lutte de classe au cours des dernières décennies, une période qui a vu les syndicats systématiquement isoler les grèves, saboter les luttes ouvrières et canaliser la colère de leurs membres vers des appels futiles aux représentants de l’élite dirigeante.

Devant l’incapacité et le refus des syndicats pro-capitalistes de défendre leurs intérêts, les travailleurs de la santé doivent prendre les choses en main pour protéger leurs conditions de travail, la santé du public et la leur, et ultimement des milliers de vies humaines. La lutte contre une deuxième vague du virus mortel dépend entièrement de leur propre initiative: la formation de comités de sécurité, entièrement indépendants des syndicats.

Ces comités de la base devront mettre en place et faire respecter les mesures nécessaires dans les établissements de santé (nombre d’employés, horaires, mesures sanitaires, organisation du travail, etc.) sur la base des besoins réels – et non ce que le gouvernement et les gestionnaires prétendent être financièrement possible.

Ils doivent exiger un réinvestissement massif dans le réseau public de la santé, ainsi qu’une protection financière des travailleurs face aux conséquences économiques de la pandémie, dans le cadre d’une lutte politique plus large pour l’égalité sociale.

Par ces comités, les travailleurs de la santé pourront tisser des liens étroits avec les employés de tout le secteur public et de l’industrie – non seulement au Québec mais dans le reste du Canada et à l’international – qui font face aux mêmes attaques patronales sur les emplois, les conditions de travail et leurs vies mêmes.

Les travailleurs souhaitant établir de tels comités devraient contacter le World Socialist Web Site.

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