Les grèves se multiplient en Biélorussie alors que l’UE et Washington renforcent leur pression

Les protestations antigouvernementales contre le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, continuent de s’intensifier. La répression policière n’a pas réussi à réprimer la colère populaire à l’égard des résultats de l’élection présidentielle de dimanche dernier. Lundi, la Commission électorale centrale du pays a déclaré que Loukachenko avait obtenu 80 pour cent des voix, battant ainsi de manière décisive son principal concurrent, Svetlana Tikhanovskaya. La plupart des gens pensent que le gouvernement, qui a été sous le contrôle de Loukachenko pendant 26 ans, a falsifié le décompte.

Avant-hier, des milliers de manifestants ont afflué dans la capitale Minsk. Les manifestants descendent également dans les rues des petites villes du pays. Les travailleurs de la principale usine automobile du Belarus, BelAZa, se sont mis en grève. Ils ont été rejoints par des collègues d’autres entreprises, notamment dans la métallurgie, l’électronique et la technologie, les produits pharmaceutiques, les engrais, la céramique et d’autres usines. Les travailleurs de la santé et les membres de la Philharmonie de Minsk ont également lancé un débrayage.

Les grèves et les manifestations ont lieu au mépris des arrestations massives et en opposition à l’utilisation de la violence policière pour réprimer l’opposition sociale. Jeudi, le ministère biélorusse de l’Intérieur avait arrêté plus de 6.000 personnes et tué deux manifestants. L’OMON, la force de police militarisée de la Biélorussie, a tenté de repousser les foules avec des canons à eau, des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes.

Un travailleur de l’usine BelAZa a déclaré à la presse que l’OMON avait enlevé un collègue de travail dans la rue. C’était alors qu’il rentrait chez lui après l’usine, et on n’a pas eu de nouvelles de lui depuis. Les grévistes de BelAZa ont soulevé un tollé sur le fait que les agents de l’OMON sont transportés dans les quartiers dans les mêmes véhicules que les ouvriers produisent.

La principale demande formulée jusqu’à présent par les manifestants et les grévistes concerne la démission de Loukachenko. «Sortez» est un slogan commun lors des manifestations et sur les piquets de grève. Les manifestants réclament également la fin de la violence d’État, la libération des prisonniers politiques et la tenue de nouvelles élections. Il y a également des signes de sentiment nationaliste, avec le slogan «Vive le Belarus» crié par les manifestants.

Jusqu’à présent, les revendications sociales et économiques ne semblent pas avoir été au premier plan des grèves. Mais l’oppression politique à laquelle fait face la classe ouvrière biélorusse est entièrement liée à son exploitation intense aux mains de la classe capitaliste – tant nationale qu’étrangère. Des décennies de salaires de misère, de réductions des dépenses sociales et, plus récemment, l’indifférence meurtrière du gouvernement face à la pandémie de COVID-19, alimentent le mécontentement social.

Les débrayages aux usines ont eu lieu en réponse à un appel à la grève générale lancé par NEXTA sur la plateforme de médias sociaux Telegram. NEXTA est une chaîne en ligne gérée par l’ancien auteur sportif et musicien devenu blogueur et opposant Stepan Putilo, qui réside actuellement en Pologne. Il a quitté la Biélorussie en raison de la persécution du gouvernement Loukachenko pour ses activités d’opposition.

Putilo est l’une des nombreuses personnalités des médias sociaux «anti-corruption» qui ont émergé ces dernières années, un type social qui cache le soutien au capitalisme de marché libre sous le couvert d’appels à la «démocratie». L’une des principales demandes de NEXTA est que Tikhanovskaya se voie simplement attribuer la présidence biélorusse.

Tikhanovskaya, qui est entrée dans la course après l’arrestation de son mari, un autre blogueur de l’opposition pro-démocratie, a mené une campagne largement vide qui ne faisait appel qu’à des «élections libres et équitables». Elle a été présentée comme une mère et une femme au foyer courageuse qui s’oppose au régime, et différentes ailes de l’opposition de droite biélorusse l’ont soutenue. Les médias occidentaux l’ont louée. Mais, aucune de ces forces n’a la moindre préoccupation pour les droits démocratiques des masses biélorusses, qu’elles considèrent comme des objets d’exploitation et des pions politiques à utiliser dans la lutte plus large pour le territoire occupé par la Biélorussie qui est important sur le plan géostratégique.

Les États-Unis et l’Union européenne (UE) utilisent l’opposition populaire à Loukachenko – un ancien stalinien profondément corrompu devenu un riche autocrate – pour faire avancer leurs objectifs contre la Russie. Minsk a longtemps été un allié clé de Moscou et est le dernier rempart territorial qui reste contre l’OTAN à la frontière occidentale de la Russie.

Washington s’efforce d’attirer la Biélorussie dans son orbite et, depuis 2019, est en train de restaurer des relations diplomatiques complètes avec ce pays après une interruption de deux décennies et demie. S’il n’y parvient pas avec Loukachenko, il s’efforcera d’y parvenir sans lui. En début de semaine, dans un étalage stupéfiant d’hypocrisie, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a publié une déclaration qui dénonce «la violence continue contre les manifestants et la détention des partisans de l’opposition» en Biélorussie. Ce sont les mêmes actions que le gouvernement Trump mène actuellement dans les principales villes des États-Unis.

Les alliés de droite anti-russes de Washington dans les pays baltes – Lettonie, Lituanie et Estonie – sont poussés à faire pression sur Loukachenko. La Lituanie a donné refuge politique à Tikhanovskaya, et les trois États ont défini un plan en trois points que la Biélorussie doit adopter si elle veut éviter des mesures punitives. En plus de mettre fin à la violence et de libérer les prisonniers, les États baltes exigent que la Biélorussie crée un «conseil national de représentants de l’État et de la société civile, dont le but serait de trouver des moyens de sortir de la crise». Il s’agit d’un dispositif, comme chacun sait, auquel Loukachenko ne peut pas accéder sans perdre en pratique le pouvoir politique.

Mardi, l’UE a annoncé qu’elle se réunirait vendredi pour discuter des sanctions contre la Biélorussie, et les ambassadeurs de l’UE ont fait du théâtre politique jeudi en allant déposer des gerbes de fleurs là où un manifestant antigouvernemental s’est fait tuer. Une déclaration de Bruxelles a indiqué que l’UE s’apprêtait à prendre «des mesures contre les responsables des violences observées, des arrestations injustifiées et de la falsification des résultats des élections».

Les efforts de l’UE pour se présenter, ainsi que ses pays membres, comme les champions de la démocratie biélorusse et les défenseurs des manifestants pacifiques de ce pays sont grotesques. En France, le gouvernement bat, arrête et disperse de force les «gilets jaunes» qui manifestent. En Pologne, les jours mêmes où des manifestants étaient arrêtés en Biélorussie, la police attaquait à coups de matraque et jetait en prison des manifestants pour les droits des LGBTQ. En Allemagne, l’ADF d’extrême droite exerce une grande influence sur l’ensemble du système politique.

Parmi ceux qui condamnent Loukachenko se trouve le gouvernement ukrainien, où des néonazis occupent des postes militaires de haut niveau et où différentes bandes paramilitaires parcourent le pays en tuant leurs opposants.

On ne sait toujours pas comment la contestation et le mouvement de grèves vont évoluer dans les jours et les semaines à venir. Le régime de Loukachenko a lancé jeudi un appel aux citoyens pour qu’ils envoient des enregistrements vidéo des «provocateurs» qui, selon lui, organisent les manifestations. Certains signes montrent que le soutien à Loukachenko au sein même de l’appareil d’État commence à céder. On a publié un enregistrement audio du chef de la Commission électorale centrale de Vitebsk, Sergei Pitalenko, où le bureaucrate déclare que les résultats des élections ont été falsifiés et que les fonctionnaires ont reçu l’ordre de leurs supérieurs de modifier le décompte des voix.

La question centrale à laquelle fait face la classe ouvrière biélorusse est de se mobiliser indépendamment et en opposition non seulement à Loukachenko, mais aussi à tous les prétendus défenseurs de la «démocratie» en Biélorussie. La bataille qui se déroule entre le régime de Minsk et ses opposants au pays et à l’étranger n’est pas une lutte entre autocrates et prétendus partisans des «droits de l’homme» et de la «liberté».

Les puissances impérialistes, les États-Unis en tête, voient la Biélorussie comme un pion dans leur lutte plus large pour établir leur contrôle sur la masse continentale eurasienne. Cela implique, de manière plus centrale, un conflit militaire avec la Russie et la Chine. Elles sont prêtes à déclencher des massacres dans la région, et la population biélorusse – dont 70 pour cent parlent le russe comme première langue – en subira les conséquences. Loukachenko, comme Vladimir Poutine en Russie, n’a pas réussi à conclure un accord avec l’impérialisme qui lui permettrait de continuer à exploiter la classe ouvrière dans la vaste région sous son contrôle. Les deux ont recours à la violence et à l’oppression pour tenter de s’accrocher au pouvoir.

Une lutte unifiée de la classe ouvrière de la Biélorussie et de la Russie, liée à celle des autres travailleurs en Europe, en Asie et en Amérique, est la seule base sur laquelle tant l’impérialisme que la classe dirigeante post-soviétique peuvent être vaincus. Le programme qui s’impose n’est pas celui d’«élections libres et équitables», mais de l’internationalisme socialiste.

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