La Grèce dépense des milliards en armes françaises dans un contexte de tensions de guerre avec la Turquie

Samedi, le Premier ministre grec conservateur, Kyriakos Mitsotakis, a annoncé l’achat de milliards d’euros d’armement français et une forte augmentation de la taille de l’armée grecque. Cette augmentation massive des dépenses militaires, par un pays que l’Union européenne (UE) a dévasté avec des milliards d’euros de coupes draconiennes dans les dépenses sociales au cours de la dernière décennie, marque une escalade majeure dans l’impasse militaire actuelle de la Grèce avec la Turquie.

Mitsotakis a indiqué que la Grèce achètera 18 avions de combat Rafale, quatre frégates françaises avec des hélicoptères de la marine, et une grande quantité d’armes antichars, de torpilles et de missiles. Elle demandera également aux entreprises françaises de moderniser quatre frégates grecques déjà en service. Enfin, Mitsotakis a déclaré que l’Armée grecque recrutera 15.000 soldats supplémentaires.

«C’est le moment de renforcer nos forces armées […] C’est un programme important qui formera un bouclier national», a déclaré Mitsotakis lors d’un discours à Thessalonique.

Cette vente intervient après des mois de menaces croissantes et une collision directe, le mois dernier, entre des navires de guerre grecs et turcs en Méditerranée orientale. Athènes et Ankara revendiquent les mêmes eaux territoriales et fonds marins riches en pétrole dans la région. Dans ce conflit, Paris a soutenu agressivement Athènes, en envoyant plusieurs navires de guerre et avions de chasse en Méditerranée orientale pour contrebalancer la supériorité numérique de la Turquie sur la Grèce.

Paris cherche également à affaiblir la position de la Turquie en Afrique et plus particulièrement en Libye, où le président français Emmanuel Macron soutient le seigneur de guerre Khalifa Haftar et le président turc Recep Tayyip Erdoğan soutient le gouvernement d’accord national (GNA). Haftar et le GNA dirigent actuellement les deux principales fractions dans la guerre civile en Libye. Elle dure depuis dix ans. La guerre de l’OTAN contre le pays en 2011 a créé les conditions qui l’ont déclenché.

Jeudi, Macron avait rencontré d’autres chefs d’État d’Europe du Sud lors d’un sommet dit Med7 (avec l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, Malte et Chypre) dans la ville corse d’Ajaccio. Une première discussion a eu lieu sur la pandémie COVID-19. La conclusion des puissances du sud de l’Europe était de chercher de nouveaux financements de sauvetage de l’UE. Au-delà de cette discussion, les membres du Med7 se sont engagés à renouveler les plans de la France pour une Union de la Méditerranée, auxquels Berlin a opposé son veto il y a une décennie. Ils ont également émis des critiques communes sur les revendications maritimes de la Turquie dans les eaux également revendiquées par la Grèce ou Chypre.

Les pays de la Méditerranée ont adopté une déclaration qui appelle à «renouveler le partenariat méridional entre l’Union européenne, ses États membres et nos voisins du Sud». Nous attendons avec intérêt le forum régional de l’Union de la Méditerranée du 27 novembre». Ils se sont également engagés à coordonner la politique au Sahel, où ils visent à empêcher les réfugiés africains d’atteindre l’Europe et à aider la France à poursuivre sa guerre sanglante au Mali.

Ils ont «salué» les plans de sauvetage de banques et d’entreprises de l’UE à plusieurs milliers de milliards d’euros. L’objectif de ces plans était d’enrichir l’aristocratie financière pendant la pandémie de COVID-19. Les États du Med7 ont également critiqué la Turquie. Surtout, ils ont déclaré: «Nous réitérons notre plein soutien à Chypre et à la Grèce, alors que leur souveraineté est menacée à plusieurs reprises et que la Turquie prend des mesures agressives.»

Lors d’une conférence de presse pendant le sommet, Macron a déclaré que le gouvernement turc «se comporte aujourd’hui de manière inacceptable» et devrait «clarifier ses intentions». Il a ajouté que, du point de vue des États Med7, «la Turquie n’est plus un partenaire dans la région méditerranéenne».

Samedi, Erdoğan a répondu en critiquant les politiques néocoloniales de la France dans la région. Il a attaqué verbalement le président français: «Macron, ce n’est pas le dernier problème que vous aurez avec moi. Vous ne connaissez pas l’histoire. Vous ne connaissez même pas l’histoire de la France. Ne vous moquez pas de moi. Ne jouez pas avec la Turquie.» Citant la sanglante guerre coloniale française de 1954-1962 en Algérie et sa complicité dans le génocide rwandais de 1994, au cours duquel on a tué 800.000 personnes. Erdoğan a ajouté: «Vous ne pouvez pas nous faire la leçon sur l’humanité.»

Erdoğan a enjoint à la Grèce de ne pas suivre la politique française, «ne prenez pas ces chemins. Vous vous trouverez tout seuls». Il a ajouté que la Grèce devrait «faire preuve d’un comportement de bon voisinage. Heureusement, nous prenons nos propres décisions. La Turquie peut livrer n’importe quel combat, si nécessaire.»

Toutes ces déclarations soulignent le danger urgent et croissant d’une guerre dans un contexte d’effondrement de l’alliance de l’OTAN et de tensions militaires croissantes en Méditerranée orientale.

L’armement de la Grèce par la France et les tensions croissantes avec la Turquie sont le résultat de décennies de guerre dans les Balkans et au Moyen-Orient depuis la restauration stalinienne du capitalisme en URSS en 1991. La lutte acharnée pour l’accès aux bénéfices pétroliers et gaziers et aux routes commerciales déclenchée par les guerres de l’OTAN en Libye et en Syrie en 2011 a des conséquences explosives. La France rassemble une alliance qui comprends: la Grèce, Chypre, l’Égypte et les Émirats arabes unis pour isoler et menacer son «allié» officiel au sein de l’OTAN, la Turquie.

Quant au régime de Erdoğan, il est discrédité par sa politique draconienne d’immunité collective qui vise les travailleurs en Turquie. Il jalonne agressivement les concessions pétrolières tout en adoptant une position populiste et «anti-impérialiste» pour tenter de limiter l’opposition croissante chez lui. Cette posture est cependant vide de sens: les procurations de la Turquie en Libye sont elles-mêmes le produit officiellement reconnu de la guerre néocoloniale de 2011 de l’OTAN en Libye, dont Erdoğan a lui-même soutenu en fin de compte.

Par-dessus tout, la Grèce va dépenser des milliards d’euros pour une augmentation majeure de son arsenal militaire. Mais c’est la classe ouvrière qui doit payer les coûts de ces menaces de guerre réactionnaires. Alors que, l’UE a imposé des dizaines de milliards d’euros de mesures d’austérité depuis 2008, réduisant les niveaux de revenus réels de 30 à 40 pour cent en moyenne. Athènes s’engage néanmoins à trouver des milliards à dépenser en armements dont le pays n’utilisera que dans une guerre régionale totale.

Le risque d’un tel conflit, dans un contexte de montée des tensions géopolitiques mondiales liées aux menaces de guerre de Washington contre la Chine et à la pandémie COVID-19, s’accroît rapidement. Ces tensions sont très directement liées à la région, puisque les navires et les avions de guerre russes opèrent à partir de la Syrie, qui possède également un littoral proche de la Méditerranée orientale.

L’annonce vendredi dernier de l’arrivée de troupes chinoises qui vont rejoindre ceux venus de Russie, d’Iran, du Pakistan, du Myanmar, d’Arménie, et d’Azerbaïdjan. Il s’agit d’exercices militaires communs dans le Caucase. C’est un signe des tensions croissantes entre les grandes puissances dans la région. Ces exercices doivent impliquer 80.000 soldats ainsi que des chars et des véhicules de combat.

De retour en Amérique depuis le Qatar, où il avait participé à des discussions avec les talibans sur l’Afghanistan, Pompeo s’est arrêté samedi à Chypre et a rencontré le président de la République de Chypre, Nicos Anastasiades. Il a noté que «des développements cruciaux ont lieu dans l’est de la Méditerranée». Il a déclaré: «Nous restons profondément préoccupés par les opérations de prospection des ressources naturelles en cours en Turquie dans les zones sur lesquelles la Grèce et Chypre affirment leur juridiction sur la Méditerranée orientale.»

Il indiquait que Washington et Paris mènent désormais des politiques différentes et conflictuelles dans la région. Pompeo a appelé à une désescalade des tensions au sein de l’OTAN: «L’augmentation des tensions militaires n’aide personne d’autre que les adversaires qui voudraient voir la division dans l’unité transatlantique.»

Toutefois, ceci n’était nullement un appel à une politique de paix. Pompeo a ensuite demandé à Chypre de rompre ses relations de longue date avec la Russie, dans le contexte du face-à-face dans lequel se trouvent les troupes américaines et russes en Syrie. Il l’a dit à Anastasiades: «Nous savons que tous les navires militaires russes qui font escale dans les ports chypriotes ne mènent pas de missions humanitaires en Syrie, et nous demandons à Chypre et au président de tenir compte de nos préoccupations.»

L’escalade du chaos et des divisions entre les grandes puissances régionales et mondiales souligne l’urgence de l’unification des travailleurs à l'échelle internationale dans un mouvement socialiste et contre la guerre.

(Article paru d’abord en anglais le 14 septembre 2020)

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