La répression policière se poursuit pendant la grève nationale en Colombie

Une grève nationale et de grandes manifestations ont eu lieu lundi en Colombie pour dénoncer les récents meurtres policiers, un massacre de manifestants le 9 septembre et la réponse plus large du gouvernement à la crise sociale aggravée par la pandémie COVID-19.

Malgré le caractère pacifique de la manifestation de masse dans la capitale de Bogotá, la police antiémeute l’a dispersée, confirmant la marche du gouvernement d’Ivan Duque et de toute la classe dirigeante colombienne vers la dictature.

Des manifestants se rassemblent à la Plaza de Bolívar le 21 septembre à Bogotá (Source: @InstitucionalTV)

Cela fait suite à la répression sanglante du 9 septembre contre les manifestations de masse à Bogotá qui ont éclaté après que la police ait torturé et tué le travailleur Javier Ordóñez la nuit précédente. La police nationale a ouvert le feu de manière systématique, tuant 14 personnes – huit jeunes travailleurs du secteur des services, deux jeunes ingénieurs, un étudiant universitaire et trois autres dont les identités n'étaient pas bien établies – et laissant 72 personnes blessées par balles.

Lundi, des gens en voiture, à vélo et à pied ont formé des caravanes dans les villes de Bogotá, Medellín, Barranquilla, Carthagène, Bucaramanga et Cali, et des manifestations importantes ont eu lieu dans de plus petites villes sur la côte entre Tumaco et Magangué, dans le sud des Andes à Villavicencio et à Arauca à proximité de la frontière vénézuélienne. Des milliers de manifestants ont gonflé des marches socialement hétérogènes à Medellín et Bogotá.

Dans l'après-midi, la police a signalé des rassemblements importants dans 107 municipalités (sur 1103) et a répété à plusieurs reprises qu'ils étaient «tous pacifiques». Ils respectaient également largement les protocoles de santé pour minimiser les infections. Néanmoins, la maire de Bogotá, Claudia López de l'Alliance verte, a appelé nerveusement les gens à rentrer chez eux à 19 h.

Avant 17h, cependant, alors qu'un rassemblement de masse sur la Plaza de Bolívar de Bogotá ne cessait de croître, López a signalé un incident isolé et suspect de pillage, dans une zone fortement patrouillée, pour ordonner à l'escadron mobile antiémeute (ESMAD) de disperser tous les manifestants, y compris les médias et observateurs des droits de l’homme. L'ESMAD est intervenu violemment avec des véhicules blindés, des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes, des matraques et des balles en caoutchouc.

Des dizaines de personnes ont été immédiatement embarquées dans des véhicules de police, tandis que d'autres ont été poursuivies et passées à tabac. Des cartouches de gaz lacrymogène et des grenades assourdissantes ont été tirées directement sur les manifestants, entraînant des blessures graves dans certains cas. La maire López a ensuite tweeté une vidéo montrant une phalange de policiers antiémeutes entourant la Plaza de Bolívar vidée des manifestants, avec le commentaire: «Il n'y a pas de blessés et le calme a été rétabli.»

La répression s'est produite au même moment qu'une nouvelle vidéo sur téléphone portable a commencé à circuler en ligne, montrant Javier Ordoñez à l'agonie et menotté sur le sol d'un poste de police, sous le regard amusé des policiers. La vidéo réfute la version officielle de la police affirmant qu'Ordoñez «s'est lui-même blessé» au poste de police.

Les manifestations de lundi ne sont que la pointe de l'iceberg. Des millions de travailleurs indignés sont impatients d’en découdre avec le régime meurtrier de Duque et considèrent la répression policière comme une défense de niveaux intolérables de pauvreté, de chômage et d’inégalités.

Lundi, les manifestants ont appelé à «mettre fin aux abus policiers», pour des «emplois et revenus», «pas de privatisations» et à «mettre fin à la cession des ressources de notre pays».

Avec une moyenne sur sept jours de 7000 nouveaux cas quotidiens, la Colombie compte le cinquième plus grand nombre de cas au monde, avec plus de 770.435 cas et près de 25.000 décès. Les décès ont été concentrés parmi les couches les plus pauvres, qui ont été contraintes de s'exposer au risque pour gagner leur vie, tandis que les efforts officiels pour contenir la pandémie ont été abandonnés.

Le Comité national de grève, composé des trois principales centrales syndicales, a axé ses revendications sur «une restructuration de la police nationale et la démission du ministre de la Défense». Il a également appelé à l'annulation du décret 1174 – qui, selon eux, favorise l'emploi à temps partiel – et à la suspension d'un prêt de 370 millions de dollars à la compagnie aérienne en faillite Avianca.

La véritable raison de la déclaration de grève a été résumée par l'ancien candidat à la présidentielle Gustavo Petro, qui a tweeté dès le 10 septembre: «Je vous ai demandé, les centrales syndicales d'appeler à la grève, mais vous pourriez ne pas la faire. Les gens vont [faire grève] quand même.» En d'autres termes, avec seulement 4,6 pour cent de travailleurs affiliés à des syndicats, ces appareils servent simplement de façade à l'establishment politique bourgeois pour intervenir en période de troubles sociaux afin de les contenir.

Petro, la maire López et toute l'«opposition» de l'establishment à Duque centrent également leurs appels sur les démissions du ministère de la Défense et la «réforme» de la police nationale.

Ces syndicats et partis, dont des milliers de membres et de dirigeants ont été assassinés par les forces de sécurité colombiennes, comprennent plus que quiconque la futilité d'appeler à une refonte superficielle de la police.

En fait, leurs revendications révèlent leur défense acharnée du capitalisme et de l’impérialisme colombiens, dont la crise existentielle a été aggravée par la pandémie, et visent à duper les travailleurs et les jeunes avec des illusions sur les perspectives de réformes démocratiques et sociales dans le cadre de la politique bourgeoise, alors que les préparatifs sont en cours pour une nouvelle répression.

Le gouvernement Duque et les grands médias s'emploient déjà à criminaliser toutes les formes de protestation. De manière similaire au New York Times aux États-Unis, Noticias RCN a publié le 10 septembre un reportage fabriqué de toutes pièces par les agences de renseignement colombiennes affirmant que les manifestations étaient «coordonnées» par les guérilleros sur les réseaux sociaux.

Le lendemain, Semana en a rajouté en publiant une vidéo sur «les causes cachées des manifestations», affirmant que les médias sociaux incitaient à «des manifestations violentes injustifiées» menées par «des criminels et des anarchistes organisés». La vidéo appelle ensuite au renforcement de la police de Bogotá.

RCN appartient à Carlos Ardila Lulle (fortune personnelle de 1,5 milliard de dollars), un partenaire d’affaire de Rupert Murdoch. Semana appartient au banquier Jaime Gilinski Bacal (fortune personnelle de 3,5 milliards de dollars), qui est devenu le principal bienfaiteur de la privatisation de Banco de Colombia, en levant des fonds auprès d'investisseurs internationaux pour l’acheter.

Washington, pour sa part, a approuvé le massacre de manifestants en Colombie. Alors qu'ils continuaient à verser des larmes de crocodile sur la «démocratie» au Venezuela, le département d'État américain et le Pentagone n'ont fait aucune déclaration pour condamner la répression en Colombie et ont poursuivi comme si de rien n’était les activités conjointes avec la police nationale colombienne.

L'ambassade américaine a tweeté le 12 septembre: «La Colombie compte sur les États-Unis dans les moments difficiles. Alliés et amis.» Cela a été suivi de jeux de guerre conjoints et d'une visite du secrétaire d'État Michael Pompeo à Bogotá, visant à menacer le gouvernement vénézuélien.

Le jour du massacre, la US International Development Finance Corporation a accordé à la banque colombienne Davivienda 250 millions de dollars pour surmonter la crise. La banque appartient au Grupo Bolívar, un important bailleur de fonds de Duque.

Cette attitude ne se limite pas au gouvernement Trump et aux républicains. Selon un câble publié par WikiLeaks, l'inspecteur général de l'armée colombienne a déclaré à l'ambassadeur américain en février 2009 que «le problème des exécutions extrajudiciaires de l'armée était monnaie courante» et découlait de «l'insistance de certains commandants militaires sur les décomptes de corps comme une mesure du succès […] associé aux liens de certains commandants avec des criminels et des narcotrafiquants». Le gouvernement démocrate d’Obama au pouvoir à l'époque continuait de verser des milliards de dollars en aide militaire.

Alors que Washington intensifie ses affrontements contre ses rivaux géopolitiques – principalement la Russie et la Chine – et fait face à des troubles sociaux croissants internes, l'État vassal en Colombie constitue un bastion militaire et économique pour l'impérialisme américain pour assurer sa domination sur l'Amérique latine. La police colombienne, en particulier, a été constituée par l'impérialisme américain en tant que force quasi militaire pour mener des opérations contre-insurrectionnelles contre la guérilla et l'opposition de la classe ouvrière, alors qu'elle organise encore plus de formations des forces spéciales régionales parrainées par les États-Unis que l’armée colombienne elle-même.

La lutte contre les abus policiers et l'autoritarisme constitue une lutte contre toute l'oligarchie colombienne, ses patrons impérialistes et leurs larbins dans les syndicats et les partis politiques. Cela inclut les forces qui, tout au long de la période post-Seconde Guerre mondiale, se sont présentées comme socialistes et même révolutionnaires uniquement pour canaliser l'opposition derrière des affirmations selon lesquelles l'une ou l'autre fraction de la bourgeoisie nationale était plus «démocratique», à savoir principalement le Parti communiste stalinien de Colombie (PCC) et le Parti socialiste des travailleurs (PST). Ce dernier a été fondé par le révisionniste anti-trotskyste Nahuel Moreno.

Tous deux ont rejoint le cirque des appels à la «restructuration» et aux démissions de la police, le PST plaidant pour «de bons policiers et soldats qui refusent de réprimer leurs frères de classe».

L'ONG Temblores a documenté 664 meurtres par les policiers depuis 2017, tandis que beaucoup d'autres ont été tués par l'armée.

Les 330.000 soldats et 167.000 policiers colombiens – à titre de comparaison il y a 321.000 enseignants officiels en activité – constituent le noyau de l'État capitaliste, compris par les marxistes comme des «détachements spéciaux d'hommes armés» engagés à faire respecter le pouvoir de classe.

S'inspirant de cette conception, le révolutionnaire russe Vladimir Lénine a écrit dans L’État et la Révolution qu'«il en résulte qu’à ce «pouvoir spécial de répression» contre le prolétariat par la bourgeoisie, contre des millions de travailleurs par une poignée de riches», doit être aboli par la révolution et remplacé par un État ouvrier. «Et c’est en cela que consiste l’acte de prise de possession des moyens de production au nom de la société».

La seule organisation politique qui lutte pour ce programme, ancré dans une longue histoire de lutte contre toutes les formes de stalinisme, de nationalisme bourgeois et de la pseudo-gauche au plan international, est le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), le Parti mondial de la révolution socialiste. La seule voie révolutionnaire à suivre est de construire une section du CIQI en Colombie et dans tous les pays.

(Article paru en anglais le 24 septembre 2020)

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