La hausse du prix de l’or, signe d’une crise financière émergente

La publication par le Financial Times (FT) d'un commentaire de l'un de ses principaux éditorialistes sur la flambée du prix de l'or est une indication que cette question commence à inquiéter les milieux financiers quant à ses implications pour la stabilité du système monétaire mondial, basé sur le dollar américain.

Lingots d'or [AP Photo/Seth Wenig]

L'article de Rana Foroohar publié lundi et intitulé «L'or est de retour – et il a un message pour nous», commençait ainsi: «Il est facile de se moquer des amoureux de l'or, mais leur moment est peut-être enfin venu.»

Elle souligne plusieurs facteurs immédiats à l’origine de cette hausse, qui a vu le prix de l’or passer d’environ 1 800 dollars l’année dernière à près de 2 400 dollars. Il s'agit notamment d'une inflation plus élevée que prévu aux États-Unis, de l'anxiété liée à la géopolitique, des élections présidentielles américaines et de l'incertitude concernant la politique monétaire.

Des facteurs à plus long terme entraient cependant en jeu, comme une inflation plus élevée à long terme qui, hormis un «miracle de productivité induit par la technologie», semblait être une perspective réelle.

L’un des principaux facteurs auxquel elle fait référence est le profond changement dans l’ordre économique mondial.

«Ce n’est un secret pour personne que le consensus de Washington – qui attendait des nations émergentes qu’elles s’alignent sur les règles du libre-échange écrites par l’Occident – et la Pax Americana d’après-guerre sont révolus.»

Les tensions commerciales avec la Chine s'accentuaient et l’utilisation du dollar comme arme après le déclenchement de la guerre en Ukraine – où les États-Unis et les puissances européennes ont gelé les actifs financiers de la banque centrale russe – avaient «accéléré les démarches dans de nombreux pays, notamment en Chine, pour vendre des bons du Trésor et et acheter de l’or pour se protéger contre la puissance financière américaine ».

Ce qu’elle appelle un «mouvement de balancier» avait conduit de nombreux analystes à prédire une «hausse massive de l’or».

Deux stratèges économiques de BNP Paribas Fortis, une grande banque européenne, avaient prédit que l'or pourrait passer de son niveau actuel de 2 347 dollars l'once – déjà un niveau record en termes monétaires, mais pas encore après ajustement à l'inflation – à 4 000 dollars dans «un avenir pas trop lointain».

Comme le disait l'un des analystes, «ce n'est pas seulement une question de taux d'intérêt. Les gens se protègent contre un nouveau monde ».

Ce «nouveau monde» se caractérise avant tout par la guerre et la division du monde en blocs rivaux sur les fronts économique et politique. Un certain nombre de pays, et pas seulement la Chine, ont pris des mesures pour effectuer leurs paiements commerciaux dans leur propre monnaie et contourner le dollar.

Un récent rapport de la Currency Research Association, cité dans l’article, notait: «L’achat d’or et la vente de bons du Trésor par la Chine reflète la façon dont les banques centrales européennes ont commencé à échanger des dollars contre de l’or à la fin des années 1960, alors que le système de Bretton Woods commençait à se désagréger.»

Le système de Bretton Woods, qui visait à restaurer le système financier international détruit par la Grande Dépression des années 1930, a fait du dollar américain la monnaie mondiale. Il était adossé à l’or au taux de 35 dollars l’once.

Mais il était marqué par une contradiction profonde, identifiée dès le début des années 1960. Le fonctionnement du système nécessitait une sortie de dollars des États-Unis vers le reste du monde pour financer le commerce et les investissements. Dans le même temps, l’accumulation de dollars en dehors des États-Unis minait sa capacité à être échangé contre de l’or.

Ce n’était pas un problème au départ en raison de l’énorme force des États-Unis par rapport aux autres grandes puissances capitalistes. Mais à mesure que ces économies se remettaient des ravages de la guerre et que des méthodes industrielles plus productives étaient introduites, la suprématie compétitive des États-Unis s’est érodée.

Le tournant survint lorsque la balance commerciale américaine est devenue négative, ce qui conduisit le président américain Nixon à abolir la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971.

Depuis, le monde fonctionne avec le dollar comme monnaie mondiale fiduciaire. Contrairement à l’or, qui incarne la valeur, les dollars papier n’ont aucune valeur intrinsèque. Ils peuvent fonctionner comme une monnaie mondiale, facilitant le commerce, les investissements, le crédit et agissant comme réserve de valeur dans la mesure où ils sont soutenus par la puissance économique de l’État américain et de son système financier.

Cette puissance est aujourd’hui de plus en plus remise en question. Elle a été durement ébranlée par la crise financière mondiale de 2008, née de l’orgie spéculative des banques américaines qui, sans l’intervention massive de la Réserve fédérale, aurait conduit à l’effondrement du système financier mondial.

Depuis, celui-ci a subi de nouveaux chocs majeurs, notamment en mars 2020, au début de la pandémie. Le marché du Trésor américain s’est figé pendant plusieurs jours – il n’y avait aucun acheteur pour la dette américaine, censée être l’actif financier le plus sûr au monde – et la Fed a dû à nouveau intervenir à hauteur d’environ 4 000 milliards de dollars.

Le rôle joué par le dollar a apporté d’énormes avantages à l’impérialisme américain. Cela lui a permis d’accumuler des déficits et des dettes dont une grande partie fut utilisée pour financer les dépenses militaires et les guerres, comme il eut été impossible à aucune autre économie de le faire.

Il existe désormais des indications très claires que, suite à ce processus, une nouvelle crise se prépare, comparable à celle de 1971, mais à un niveau beaucoup plus élevé.

Comme Foroohar le note dans son commentaire, faisant écho aux sentiments exprimés aux plus hauts échelons du système financier américain, y compris par le président de la Fed Jerome Powell, l’accumulation de la dette publique américaine «devient rapidement insoutenable».

«Les projections les plus récentes du Congressional Budget Office (CBO, Bureau du Budget du Congrès américain) placent la dette américaine à 99 pour cent du PIB à la fin de cette année, et elle est en passe d'atteindre 172 pour cent d'ici 2054. Si cela se produit, le résultat serait la monétisation [une situation où les actifs basés sur la dette deviendraient essentiellement sans valeur], l'inflation, la répression financière et une période de chaos extrême dans la politique monétaire et les marchés. »

Une telle situation ne se produira pas dans 30 ans mais se présente comme une réalité émergente d’aujourd’hui en raison de la croissance accélérée de la montagne de la dette. Lorsque les taux d'intérêt étaient proches de zéro, grâce au programme d'assouplissement quantitatif de la Fed, le problème pouvait être oculté.

Ce n’est plus le cas maintenant, avec un taux de la Fed aux alentours de 5 pour cent, le taux le plus élevé depuis 20 ans.

Selon le CBO, le déficit budgétaire américain augmentera de près des deux tiers au cours de la prochaine décennie, passant de 1 600 milliards de dollars à 2 600 milliards de dollars, les trois quarts de cette augmentation provenant du remboursement des intérêts ; ce qui en fera une composante plus importante que le budget pléthorique de la Défense.

La possibilité d'une crise financière dans un avenir proche a été évoquée par le directeur du CBO, Phillip Swagel, dans une interview accordée au FT le mois dernier.

Il a déclaré que la situation budgétaire des États-Unis suivait une trajectoire «sans précédent», augmentant le risque d’une crise financière à la Liz Truss, lorsque l’éphémère Première ministre britannique avait tenté, en septembre 2022, de financer des réductions d’impôts pour les entreprises et les riches en augmentant la dette.

Il y a des questions sociales, économiques et politiques décisives – c’est-à-dire des questions de classe – dans la situation actuelle.

Il semble parfois que le système financier fonctionne bien au-dessus de la vie quotidienne, prenant même un caractère illusoire dans la mesure où les banques centrales créent de la monnaie à partir de rien en appuyant simplement sur un bouton d’ordinateur. Mais en dernière analyse, il est dépendant de la valeur qui peut être extraite de la classe ouvrière dans l’économie réelle.

Comme l’ont révélé les expériences amères de 2008, une crise financière signifie des attaques de grande envergure contre les salaires, la destruction d’emplois et la casse de services sociaux vitaux.

Une autre crise, pour laquelle toutes les conditions sont réunies, entraînera un assaut encore plus vaste. L’un des signes avant-coureurs en est la hausse du prix de l’or, la réserve de valeur ultime historiquement déterminée.

Les travailleurs ne peuvent y répondre au niveau de l’usine ou du lieu de travail dans une lutte contre des employeurs individuels. La classe ouvrière toute entière doit l’affronter, armée d’une stratégie politique visant le système capitaliste de profit dans son ensemble et dont l’objectif est son renversement, point de départ pour le développement du socialisme.

(Article paru en anglais le 19 avril 2024)

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