Les campements anti-génocide se multiplient à travers le Canada

Tandis que le premier campement de protestation contre le génocide au Canada, installé à l'université McGill de Montréal, est érigé depuis une semaine, des camps de protestation contre l'assaut d'Israël sur Gaza voient le jour sur les campus de tout le pays. Les étudiants, soutenus par de nombreux professeurs et d'autres travailleurs, exigent que les universités se désengagent des entreprises, en particulier des fabricants d'armes, qui ont des liens avec Israël, et demandent l'arrêt immédiat du massacre et de la privation de nourriture des Palestiniens par le régime israélien.

Le campement de McGill est passé d'une vingtaine de tentes samedi dernier à des milliers de mètres carrés sur la pelouse de l'université. Un flot continu de passants et de participants à d'autres marches de protestation au centre-ville ont rejoint le campement ou fait des dons.

Une section du campement anti-génocide de McGill

Depuis le début, l'administration de McGill et le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) réclament l'intervention de la police pour mettre fin à la manifestation, comme cela a été fait avec une grande violence à Columbia, UCLA et dans d'autres universités américaines.

La tentative de criminaliser le campement par le biais d'une action en justice intentée par deux étudiants juifs, qui affirmaient que la manifestation les avait fait se sentir «en danger», a échoué mercredi, lorsqu'un juge de la Cour supérieure du Québec a refusé d'émettre une injonction contre la manifestation. La juge Chantal Masse a estimé qu'il n'y avait aucune preuve que les manifestants anti-génocide avaient menacé de causer des dommages ou de bloquer l'accès à l'université. Elle a ajouté que «la liberté d'expression et de réunion pacifique serait atteinte de façon importante» par une injonction.

Pour contrer les allégations calomnieuses selon lesquelles les manifestants auraient entonné des slogans antisémites, leur conseiller juridique a fait remarquer que les étudiants juifs représentent une part importante des participants au camp de protestation.

La direction de l'université, qui vient tout juste d'inciter les membres du corps enseignant à servir de briseurs de grève contre leurs collègues lors d'une récente grève des assistants d'enseignement, n'a cessé de qualifier les manifestants d'antisémites et prétend en avoir la preuve, bien qu'elle ait manifestement omis de rendre publique la moindre de ces «preuves».

Même la police de Montréal s'est sentie obligée de noter qu'«aucun crime n'est commis» dans le camp de protestation. Un porte-parole de la police cité par la CBC a décrit la manifestation comme une «action ordonnée».

L'université a également tenté de retourner contre les manifestants le large soutien dont ils bénéficient de la part des habitants de Montréal, en dénonçant la manifestation pour avoir inclus des personnes, telles que des étudiants d'autres universités montréalaises, qui ne fréquentent pas McGill.

Comme l'a dit Rahul, un étudiant en informatique, à une équipe de journalistes du World Socialist Web Site qui a visité le campement vendredi, «les arguments sur les “étrangers” ne tiennent pas la route. Tout d'abord, les policiers sont les étrangers. Et même s'il y a des gens de l'extérieur, ils protestent à juste titre contre un génocide. Qu'attendez-vous d'êtres humains normaux ? C'est un argument absurde contre les campements.»

Le revers juridique pour les autorités et l'aveu de la police qu'aucun crime n'a été commis n'ont pas empêché le Premier ministre québécois de droite, François Legault, de qualifier jeudi la manifestation d’«illégale» et d'exiger que le campement soit «démantelé» immédiatement. Accordant à la police toute latitude pour agir à sa guise, il a ajouté qu’il «compte sur les policiers pour démanteler de la façon qu’ils pensent qui est le mieux». Le gouvernement de la CAQ de Legault s'est montré encore plus inflexible dans son soutien inconditionnel au génocide israélien dans la bande de Gaza que le gouvernement libéral fédéral dirigé par Justin Trudeau.

Rahul a critiqué la menace d'une intervention policière, soulignant que «c'était l'une des demandes de la contre-manifestation sioniste d'hier, que la police intervienne». La contre-manifestation de jeudi était une provocation délibérée, les sionistes agitant des drapeaux israéliens aux portes de l'université et utilisant un écran géant pour diffuser des allégations non fondées selon lesquelles des membres du Hamas auraient commis des viols collectifs lors de leur incursion en Israël le 7 octobre 2023.

Nelly

Nelly, une résidente de Montréal qui a participé à la manifestation de vendredi pour montrer sa solidarité, a condamné la menace d'une répression policière dans des commentaires adressés au WSWS. «Je pense que c'est illogique et j'espère que les gens s'y opposeront», a-t-elle déclaré.

Des camps de protestation contre le génocide ont également été établis à l'université de Colombie-Britannique à Vancouver et à l'université de Victoria dans la capitale provinciale. En Ontario, un camp composé d’une vingtaine de tentes a été installé mardi à l'université d'Ottawa. Jeudi matin, des étudiants de l'université de Toronto et des sympathisants ont franchi une clôture récemment érigée pour installer un camp de protestation devant le King's College. Après que les autorités ont exigé que le site soit libéré avant 22h, une foule de plus de 1000 personnes s'est rassemblée pour soutenir les étudiants protestataires et éviter une éventuelle attaque de la police. L'université a ensuite annoncé qu'elle n'ordonnerait pas l'évacuation du camp s'il restait «pacifique».

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Le Premier ministre Justin Trudeau, dont le gouvernement minoritaire soutenu par les syndicats a envoyé des dizaines de millions de dollars d'équipement militaire à Israël depuis le 7 octobre, a déjà donné son aval à une répression violente des manifestations pro-palestiniennes sur les campus canadiens, à l'instar de ce qui se passe aux États-Unis. Dans un communiqué publié mardi, il a déclaré avec cynisme : «Les universités sont des lieux d'apprentissage, des lieux de liberté d'expression [...] mais cela ne fonctionne que si les gens se sentent en sécurité sur le campus. À l'heure actuelle, les étudiants juifs ne se sentent pas en sécurité. Ce n'est pas normal.»

La position de Trudeau sur les manifestations ne se distingue pratiquement pas de celle de son plus proche allié et de celui de l'impérialisme canadien, «Joe le génocidaire» Biden, et de l'impérialisme américain. Biden s'est exprimé jeudi à la Maison-Blanche pour défendre la répression policière nationale des manifestations, au cours desquelles plus de 1700 étudiants et professeurs ont été arrêtés au cours des deux dernières semaines.

Une réponse appropriée à l'affirmation calomnieuse de Trudeau et de l'élite dirigeante selon laquelle les manifestants sont antisémites a été fournie par Nahman, membre d’Independent Jewish Voices et participant au campement de McGill. Il a déclaré à la CBC : «Nous ne cessons d’entendre les allégations d'antisémitisme utilisées contre notre mouvement. Le fait est que nous sommes des Juifs antisionistes depuis bien avant le mois d'octobre. [...] Le sionisme et le judaïsme doivent être dissociés.»

Les libéraux de Trudeau comptent sur le soutien du Nouveau Parti démocratique (NPD), soutenu par les syndicats, pour assurer leur majorité au Parlement. En mars, les deux partis se sont associés pour transformer ce qui était apparemment une motion de soutien à l'«autodétermination» palestinienne en une déclaration approuvant le génocide israélien soutenu par l'impérialisme. Soulignant le caractère pro-guerre et pro-génocide de l'alliance syndicale, néo-démocrate et libérale, les politiciens du NPD ont collaboré en apportant plus d'une douzaine de révisions à la motion qu'ils avaient initialement présentée afin de la rendre conforme à la propagande de guerre diffusée par la Maison-Blanche et le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou.

En octobre, le NPD a contribué à lancer la chasse aux sorcières contre les opposants au génocide lorsque la direction du parti ontarien a expulsé Sarah Jama de son caucus législatif à Queen's Park. Le «crime» de Sarah Jama était d'avoir décrit Israël comme un «État d'apartheid», une désignation soutenue par les Nations unies et d'innombrables organisations d'aide, et d'avoir déclaré sa solidarité avec les Palestiniens. L'action du NPD a ouvert la voie aux progressistes-conservateurs du premier ministre de droite Doug Ford, qui ont censuré Jama, l'empêchant de s'exprimer sur quelque sujet que ce soit à l'Assemblée législative jusqu'à ce qu'elle présente des «excuses».

Ce bilan souligne l'absurdité de la tentative du chef du NPD, Jagmeet Singh, de se poser en allié des étudiants protestataires. «Je suis solidaire des étudiants et des militants anti-guerre», a-t-il écrit jeudi sur X. «Ce qui se passe actuellement aux États-Unis est très dangereux et alarmant. Au Canada, je veux que les étudiants le sachent : vous avez le droit de manifester pacifiquement et je défendrai ce droit. Les néo-démocrates continueront à défendre la paix et la justice, à protéger les droits garantis par la Charte et à veiller à ce que chaque étudiant se sente en sécurité et bienvenu sur les campus.»

La vérité est que le NPD «continuera à défendre» le génocide en cours, la participation de l'impérialisme canadien à la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre la Russie, et les dépenses militaires massives pour préparer la guerre impérialiste dans le monde entier. Les sociaux-démocrates canadiens, qui ont soutenu toutes les guerres d'agression impliquant l'impérialisme canadien depuis le bombardement de la Yougoslavie par l'OTAN en 1999, continueront également à soutenir le gouvernement libéral. Ils continueront à empêcher les candidats pro-palestiniens de se présenter sur leur liste aux élections et à bloquer la discussion des motions qui condamnent Israël lors de leurs congrès.

La réticence de la Cour supérieure du Québec et de l'Université de Toronto à autoriser une répression violente des camps de protestation – pour l'instant – ne doit en aucun cas être interprétée comme une défense de principe des droits démocratiques. Ceux qui, à commencer par le gouvernement Trudeau, sont prêts à tolérer un génocide à l'étranger n'hésiteront pas à bafouer les droits des étudiants et des travailleurs dans leur pays. Une telle attaque a déjà été préparée politiquement par l'incessant dénigrement des manifestations en les qualifiant d'antisémites et par la clameur croissante de personnalités telles que Legault, Pierre Poilievre et son opposition officielle conservatrice, le National Post et les divers tabloïds de Canwest, en faveur d'une répression policière contre les manifestants «pro-terroristes».

Cette retenue, du moins pour l'instant, s'explique par la crainte de la classe dirigeante qu'une tentative d'écraser les manifestations ne se retourne contre elle et n'alimente encore davantage l'opposition déjà largement répandue au génocide israélien et à la complicité du Canada dans ce domaine. Des centaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations hebdomadaires dans tout le pays, dans un contexte où des grèves et des luttes contractuelles importantes sont en cours, notamment pour les travailleurs du secteur public du Québec, les cheminots, les travailleurs de la santé de l'Alberta et les facteurs de Postes Canada.

Les demandes formulées par les étudiants pour que les universités se désengagent des sociétés ayant des liens avec Israël et des entreprises tirant profit du génocide sont légitimes. Mais elles ne peuvent être satisfaites par des appels aux administrations universitaires qui entretiennent des liens étroits avec l'élite patronale et l'establishment politique. Arrêter le génocide à Gaza nécessite une mobilisation politique de la classe ouvrière en opposition à l'ensemble de l'establishment politique – fédéraliste et pro-indépendance du Québec, ouvertement de droite ou apparemment «de gauche» – qui appuie universellement le régime d'extrême droite de Netanyahou dans son assaut contre les Palestiniens.

Les étudiants doivent se tourner vers la classe ouvrière et faire appel à sa solidarité pour repousser la répression de l'État par les mêmes institutions et partis qui ont imposé des conditions de travail dangereuses pendant la pandémie de COVID-19 et qui ont utilisé une législation briseuse de grève pour pratiquement abolir le droit de grève des travailleurs. Les travailleurs doivent reconnaître l'importance de se porter à la défense des étudiants en s’engageant dans la lutte pour construire un mouvement international dirigé par la classe ouvrière en opposition à la guerre et au génocide, ainsi qu'au système capitaliste qui les engendre.

(Article paru en anglais le 4 mai 2024)

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