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Le résultat des élections fédérales de 1997

L'aliénation populaire et le tournant de la politique officielle vers la droite présage une explosion sociale

Par le comité de rédaction

Dans son second mandat, le gouvernement libéral de Chrétien va intensifier l'assaut de la grande entreprise sur le niveau de vie, les services publics et les droits démocratiques de la population.

Les élections à peine terminées, les libéraux mettaient une fin abrupte aux spéculations de certains journalistes que le déclin plus rapide que prévu du déficit fédéral permettrait de débloquer des ressources pour soulager le chômage de masse et la pauvreté croissante. Le premier ministre Jean Chrétien et le ministre des Finances Paul Martin ont réaffirmé leur engagement à démanteler l'État-Providence. Seulement, la subordination de la politique sociale aux demandes de la grande entreprise, menée jusqu'ici au nom de l'élimination du déficit, se fera désormais au nom de la réduction de la dette et des taxes. "La lutte fiscale n'est pas terminée", a déclaré Martin à la sortie de la première réunion du nouveau cabinet. "Les Canadiens veulent qu'on la poursuive jusqu'au bout".

Élus en 1993 en promettant d'arrêter les coupures dans les services sociaux et de se concentrer sur la création d'emplois, les libéraux ont rapidement répudié leurs promesses, et emboîté le pas à leurs prédécesseurs conservateurs. Le gouvernement Chrétien a coupé des dizaines de milliards dans la santé et l'éducation post-secondaire; il a réduit de façon drastique l'accessibilité à l'assurance-chômage; et il a encouragé les provinces à couper dans l'aide sociale et à lier l'octroi de ces prestations à des programmes de travail obligatoire.

Aujourd'hui, pas plus qu'en 1993, les libéraux n'ont aucun mandat populaire pour leur agenda de guerre de classe. Même les sondages révèlent que les priorités de l'électorat, à savoir les emplois et la préservation des services publics, diffèrent radicalement des priorités des libéraux.

L'hostilité envers l'élite politique et la frustration à l'endroit de tout le processus électoral ont atteint des niveaux sans précédent. Et pour cause. Dans les années 90, une petite minorité s'est énormément enrichie. Les actions et les salaires des chefs d'entreprise ont doublé et triplé. Mais pour la vaste majorité, la vie est devenue plus difficile. Les revenus après impôts des travailleurs ont chuté de plus de 10 p. cent au cours de la dernière décennie; les compagnies ont aboli des dizaines de milliers d'emplois; et le filet de sécurité sociale a été percé à plusieurs endroits.

Cet assaut brutal de la classe dirigeante a rencontré à toutes les étapes une large opposition populaire. Mais les organisations qui prétendaient parler au nom des travailleurs -- les syndicats et le NPD -- se sont transformées au cours de la dernière décennie en agences directes de l'élite dirigeante. Ce sont elles qui ont joué le rôle-clé pour paralyser les travailleurs et imposer ainsi les coupures massives dans les emplois, les salaires et les dépenses sociales exigées par la grande entreprise.

Les travailleurs doivent prendre garde: s'ils ne se tournent pas vers une nouvelle perspective -- la réorganisation de la société dans l'intérêt collectif -- et organisent sur cette base un large mouvement anti-capitaliste luttant pour l'égalité sociale, alors le sentiment actuel de colère et de frustration sera exploitée par des politiciens d'extrême-droite, se basant sur une forme ou une autre de chauvinisme et de nationalisme pour imposer les horreurs du capitalisme décadent.

La fraude des élections

La campagne électorale a révélé à quel point le cadre politique est devenu entièrement incompatible avec les besoins élémentaires de la population. Il n'y avait aucun choix véritable le 2 juin pour les travailleurs. Tous les partis officiels -- y compris le parti ouvertement de droite qu'est le Parti Réformiste, le Bloc Québécois souverainiste et le NPD social-démocrate -- ont pris dans les dernières années une part active à l'assaut sur les services sociaux et à la victimisation des pauvres. Tout au long de la campagne, les partis soi-disant rivaux ont tous répété les mêmes dogmes pro-capitalistes. Ils ont tous insisté que les besoins des travailleurs doivent être subordonnés à la campagne des grandes entreprises canadiennes pour conquérir des parts du marché global.

C'est à peine si mention fut faite des 80 mois consécutifs pendant lesquels le taux de chômage est resté au-dessus de la barre des 9 p. cent. Et a-t-on entendu un seul des candidats même noter, comme étant un fait digne de discussion publique, le déclin de 9 p.cent enregistrée depuis 1988 dans le revenu moyen après impôt?

Bien que les libéraux aient gagné 155 des 301 sièges à la Chambre des communes, ils ont en fait récolté les voix d'à peine un peu plus du quart de l'électorat (28%), ce qui est nettement inférieur au pourcentage de Canadiens qui se sont abstenus de voter (32%). Le taux de participation au vote du 2 juin était le plus bas enregistré pour une élection fédérale en 72 ans, et représente une baisse de 3% par rapport à 1993 et d'environ 10% par rapport aux élections de 1984 et de 1988.

Fait significatif, la seule région du pays où il y a eu une hausse appréciable de la participation, c'était dans les provinces atlantiques, où l'opposition populaire aux coupures des libéraux, en particulier l'élimination des prestations de chômage pour les travailleurs saisonniers, s'est traduite par la perte de 20 sièges libéraux.

Une campagne dominée par le chauvinisme et la réaction

Ne pouvant, ni ne voulant, prendre en compte, voir satisfaire, les demandes des travailleurs pour des mesures contre la pauvreté et l'insécurité économique croissantes, les politiciens de la grande entreprise jouent de plus en plus la carte du chauvinisme.

Durant la campagne électorale, toute discussion sur la crise sociale a été délibérément étouffée par des appels basés sur le régionalisme, l'égoïsme individuel et des dénonciations démagogiques du crime et du "big government". Les politiciens de la grande entreprise cherchent ainsi à empêcher la colère populaire montante de se transformer en menace pour le système capitaliste lui-même. Ils veulent détourner cette colère contre les victimes du système -- les pauvres, les assistés sociaux, les immigrants ou les travailleurs d'autres régions ou groupes linguistiques.

Le Parti Réformiste a donné le ton en menant une campagne anti-québécoise. En déclarant que son parti ferait de la partition du Québec une condition de la sécession du Québec, le chef du Parti Réformiste Preston Manning a ouvertement brandi la menace d'une guerre civile.

Les autres partis de la grande entreprise ont accusé le Parti Réformiste d' "extrémisme", mais ils ont tous fait leurs propres appels au nationalisme et au chauvinisme. Pour contrer l'accusation de Manning que son gouvernement libéral est "mou" à l'endroit du Québec et donner plus de poids à sa prétention d'être le principal "défenseur" du Canada, Chrétien a déclaré qu'il ne prendrait pas un vote majoritaire en faveur de la séparation du Québec comme étant une obligation pour le gouvernement fédéral de négocier la sécession du Québec.

Quant aux souverainistes du PQ-BQ, ils parlent pour certaines sections de la grande entreprise québécoise et des couches privilégiées de la classe moyenne qui voient l'établissement d'un Québec indépendant comme le meilleur moyen de forger des liens plus lucratifs avec Wall Street et le capital international. En cela, les souverainistes québécois ne diffèrent pas fondamentalement des autres mouvements régionalistes qui ont pris naissance dans le reste du Canada -- en particulier dans l'Ouest avec le Parti Réformiste de Manning -- ou en l'occurrence à travers le monde: il s'agit dans tous les cas de couches locales de la classe dirigeante, voyant dans l'extrême mobilité acquise par le capital à l'ère de la globalisation, la possibilité de se passer d'un cadre national de plus en plus économiquement dépassé et de se "brancher" directement à l'économie globale.

La tentative de longue date des nationalistes québécois de se donner une couverture progressiste, genre réformiste social-démocrate, a été démasquée par les mesures profondément anti-sociales du gouvernement péquiste Parizeau-Bouchard. La réaction du mouvement souverainiste a été de baser encore plus son appel, lui aussi, sur l'exclusivisme québécois et l'identification ethnique. De ce point de vue, les souverainistes se sont souvent retrouvés sur la même longueur d'onde que les anglo-chauvins du Parti Réformiste. Le soir de l'élection, le vice-premier ministre du Québec, Bernard Landry, avait peine à cacher sa satisfaction de voir le Parti Réformiste succéder le BQ en tant qu'opposition officielle.

Les résultats du vote du 2 juin soulignent le fait que sous le poids de la crise sociale et des tensions de classe sous-jacentes, l'ordre politique traditionnel au Canada s'est effondré. Il y a maintenant cinq partis au Parlement, dont deux sont radicalement opposés à l'ordre constitutionnel actuel et aucun, sauf un, ne peut sérieusement prétendre être une force politique dans plus qu'une ou deux régions.

Le rôle de la bureaucratie ouvrière

Si les appels régionalistes des politiciens de la grande entreprise ont pu trouver un écho parmi certaines couches des travailleurs et de la classe moyenne, c'est grâce aux organisations ouvrières traditionnelles.

Les bureaucrates ouvriers et les politiciens du NPD ont joué un rôle-clé dans la promotion de la politique du nationalisme et du chauvinisme dans la classe ouvrière. Les bureaucrates syndicaux du Québec sont des alliés de longue date du PQ et militent activement pour l'établissement d'un Québec indépendant, appelant les travailleurs québécois à s'identifier, non pas à leurs frères de classe du Canada anglais, mais à la classe capitaliste québécoise sur la base abstraite de la langue et de la culture.

Au Canada anglais, les bureaucrates syndicaux et le NPD ont encouragé le nationalisme canadien, dénonçant le libre-échange d'un point de vue nationaliste et protectionniste, tout en flirtant avec le chauvinisme anti-Québécois. Les premiers ministres NPD de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, Roy Romanow et Glenn Clark, ont tous les deux rivalisé avec le Parti Réformiste de Preston Manning pour le titre de défenseur le plus énergique des "intérêts de l'Ouest".

D'un point de vue plus fondamental, en étouffant depuis plus d'une décennie toute opposition des travailleurs à l'offensive patronale sur les emplois et les services publics, et en participant aujourd'hui de façon active et directe à cette offensive anti-ouvrière, la bureaucratie syndicale et le NPD ont créé un sentiment de paralysie et de frustration qui ouvre la porte à la politique du chauvinisme.

Le NPD embrasse la destruction des programmes sociaux

La campagne électorale a vu les syndicats et le NPD s'associer ouvertement aux efforts de la classe dirigeante pour démanteler ce qui reste des programmes sociaux. Lors du débat télévisé des chefs, la dirigeante du NPD, Alexa McDonough, a annoncé les couleurs de son parti dans les premières minutes de sa présentation: "Nous aussi du NPD, nous pensons qu'il faut éliminer le déficit".

Il est clair aujourd'hui que la "lutte au déficit" ne signifie rien d'autre que la destruction des services sociaux élémentaires, dont dépendent de vastes couches de la population, pour satisfaire la soif de profits des marchés financiers. Ce qui n'a pas empêché McDonough, appuyé par le Congrès du Travail du Canada, de prôner tout au long de la campagne électorale le gouvernement NPD de la Saskatchewan comme un modèle de "responsabilité fiscale". Peu importe que cela s'est traduit par une hausse des taxes sur les gens ordinaires et des coupures drastiques dans les dépenses sociales, y compris la fermeture de plus de cinquante hôpitaux à travers la province!

Il y a aussi toute l'expérience du gouvernement NPD de Bob Rae en Ontario que McDonough et le CTC ont cherché à effacer de la mémoire des travailleurs en insistant que c'était de l'histoire ancienne. En fait, c'est ce gouvernement, au pouvoir de 1990 à 1995 dans la plus province la plus peuplée du pays qui, en répudiant le programme réformiste traditionnel du NPD et en imposant l'agenda patronal de coupures budgétaires et salariales, a préparé le terrain politique pour l'assaut encore plus féroce lancé sur les services publics par les libéraux fédéraux et le gouvernement conservateur ontarien de Mike Harris.

En dépit de l'injonction de McDonough, les travailleurs n'ont pas oublié: le NPD n'a pas gagné un seul siège en Ontario, bien que cette province ait été la scène au cours des deux dernières années d'un vaste mouvement d'opposition aux sauvages coupures budgétaires du gouvernement Harris, y compris la tenue d'une grève de protestation d'un jour suivie d'une manifestation de 150 000 personnes à Toronto en octobre dernier.

C'est avec de véritables cris de joie que les bureaucrates du CTC ont accueilli le regain par le NPD du statut de parti officiel et son obtention de 11 p. cent du vote populaire, le deuxième pire résultat de son histoire. Cela met en lumière les véritables raisons de leur soutien au NPD. Leur but n'est pas de repousser l'assaut lancé sur la classe ouvrière, mais d'augmenter leur influence dans leurs négociations avec l'élite politique et la grande entreprise.

Les syndicats québécois endossent la politique de coupures du PQ-BQ

Au Québec, les syndicats, comme il fallait s'y attendre, ont jeté tout le poids de leur machine bureaucratique derrière la campagne souverainiste du Bloc Québécois. Mais les efforts de toute une génération de bureaucrates syndicaux, secondés par leurs partenaires de la "gauche québécoise", pour donner un vernis progressiste au mouvement souverainiste québécois, ont été démasqués aux yeux de tous.

Le gouvernement péquiste de Parizeau-Bouchard est allé beaucoup plus loin que les gouvernements libéraux précédents de Bourassa et de Jonhson dans la destruction des acquis les plus élémentaires des travailleurs. Des milliards ont été coupés dans la santé, l'éducation, l'aide sociale. Une dizaine d'hôpitaux ont été fermées. Avec la participation directe des chefs syndicaux, ving-cinq mille travailleurs ont été mis à la porte du secteur public, et une fraction à peine d'entre eux sera remplacée, à des salaires beaucoup plus bas.

Ces féroces coupures imposées par le gouvernement péquiste démontrent clairement que le programme des souverainistes québécois est identique, en ce qui a trait aux questions sociales fondamentales, à celui de leurs opposants fédéralistes. Et les travailleurs québécois, comme leurs frères et soeurs de classe à travers le Canada, réalisent de plus en plus qu'ils n'ont aucuns droits, ni aucune voix au chapitre, au sein du système politique actuel. Malgré la forte teneur anti-québécoise d'une bonne partie de la campagne électorale, la part du vote populaire gagnée par le Bloc Québécois est tombée de 49% à 38% et, fait encore plus significatif, son vote total a baissé de 471 000 ou plus de 25%.

L'alternative socialiste

Le tournant marqué de la politique capitaliste vers la droite et son éclatement suivant des lignes régionales constituent à la fois une opportunité historique et un danger pour la classe ouvrière.

La politique officielle repose de plus en plus sur une mince couche sociale: la classe dirigeante et les sections les plus privilégiées de la classe moyenne. Tous les instruments politiques par lesquels la grande entreprise maintient son pouvoir -- des partis capitalistes traditionnels aux récentes formations comme le BQ et le Parti Réformiste, en passant par les syndicats et le NPD chargés de faire la police parmi les travailleurs -- font face à une crise profonde.

Une contre-offensive ouvrière rallierait rapidement un soutien de masse, y compris parmi de larges sections de la classe moyenne. Dans le cas contraire cependant, dans la mesure où la classe ouvrière s'avère incapable de mettre de l'avant une solution progressive à la crise actuelle, le champ devient libre pour que des politiciens "anti-establishment" de droite comme Manning détournent la colère et la frustration populaires dans une direction réactionnaire.

De plus en plus de gens sentent que la soi-disant crise constitutionnelle ne les concerne aucunement. C'est une pré-occupation de l'élite politique. Mais si les travailleurs n'opposent pas consciemment leur unité de classe aux efforts de divers politiciens capitalistes pour encourager des identités nationales ou régionales opposées, il y a le danger que la classe ouvrière soit entraînée dans les disputes entre factions rivales de la grande entreprise. La crise autour de "l'unité nationale" est présentement utilisée pour laver le système de profit de toute responsabilité pour la crise sociale et pour miner le développement d'un mouvement unifié d'opposition à la grande entreprise.

Le fossé grandissant qui sépare l'élite politique des travailleurs ordinaires est le présage de grandes luttes sociales. Mais pour mettre fin aux reculs des deux dernières décennies, les travailleurs devront tirer les leçons de la transformation des syndicats et du NPD en instruments pour imposer les coupures dans les emplois, les salaires et les dépenses sociales. Les besoins des travailleurs ne peuvent être satisfaits sous le système de profit. Le programme national-réformiste visant à humaniser le capitalisme au moyen de conventions collectives et de l'État-providence, visant à faire pression sur la grande entreprise pour l'obtention de réformes au sein d'un marché réglementé au niveau national, ce programme a fait faillite.

La seule voie de l'avant est le développement d'un grand mouvement social, impliquant la participation active des travailleurs, des étudiants, des chômeurs, des professionnels, et luttant pour la réorganisation de la société sur de nouvelles bases: les immenses ressources matérielles et technologiques, qui sont présentement monopolisées par l'élite financière et industrielle à des fins personnelles, doivent être réorientées pour servir l'intérêt collectif.

Un tel mouvement ne se limitera pas au cadre politique établi par le système de profit: le Parlement, le système judiciaire, la négociation collective, les frontières nationales et le système des États-nations. Il défendra énergiquement les intérêts de classe des travailleurs ordinaires, peu importe les conséquences sur les profits des entreprises, les budgets gouvernementaux et les marchés financiers.

La réponse au chauvinisme et au régionalisme est la lutte unifiée pour assurer à tous, peu importe la langue, le pays d'origine, la race ou la religion, l'accès à des emplois, des logements, des soins de santé et une éducation de qualité.

C'est le programme pour lequel lutte le Parti de l'égalité socialiste, et que nous avons commencé à discuter parmi les travailleurs et les jeunes lors de la campagne électorale.

 

Pour lire la déclaration électorale du Parti de l'égalité socialiste, cliquer ici.

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