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La Cour Suprême donne aux autorités scolaires le droit de fouiller les jeunes

Par François Legras
19 décembre 1998

Le 26 novembre dernier, la Cour Suprême du Canada rendait un jugement qui aura pour effet de réduire les droits civils des élèves et augmenter de beaucoup le pouvoir des enseignants et des directeurs dans les écoles primaires et secondaires. Huit des neufs juges du plus haut tribunal d'appel au pays ont en effet jugé que les élèves à l'école n'avaient pas droit aux protections constitutionnelles normales. Selon la Cour, un directeur, son assistant ou un enseignant, avec ou sans la présence et l'aide de la police, peut fouiller un élève et son cassier, ainsi que saisir des biens pour les remettre à la police et ce, sommairement et sans mandat, sans que les exigences légales et constitutionnelles établies par les précédents jugements du même tribunal ne puissent être invoqués.

Le jugement s'inscrit parfaitement dans la politique sociale générale de la bourgeoisie canadienne. Tout en invoquant indirectement la crise sociale, la Cour passe sous silence l'origine de cette situation afin d'en imposer de façon très simpliste le blâme et le fardeau aux victimes, soit les jeunes et les travailleurs.

Déjà la décision de la Cour Suprême a eu des répercussions. Dès le lendemain de cette décision, la direction de l'école secondaire de Kingsville en Ontario distribuait une directive concernant les fouilles d'élèves mentionnant qu'il pouvait être raisonnable pour un directeur ou son adjoint de fouiller un élève ou son cassier s'il y avait des motifs. Quelques jours plus tard, une vingtaine d'élèves de 14 à 15 ans ont subi une fouille corporelle, pour la majorité à nu, effectuée par l'un des professeurs et le directeur adjoint de l'école. La fouille a été entreprise après qu'un élève ait rapporté s'être fait voler une somme de 90 $. Les sacs des élèves ont donc été fouillés et les élèves ont par la suite été fouillé un à un en privé par les deux responsables. Ces derniers ont saisis de l'argent sur différents élèves pour une somme totale de 80 $. Les deux responsables de la fouille ont été suspendu par la direction de l'école et des excuses publiques ont été données.

La Cour justifie sa décision en décrivant le milieu scolaire comme un ghetto malfamé, où circule les armes et la drogue. Selon la Cour, dans ce milieu, les autorités scolaires, incluant les enseignants, ont pour responsabilité légale d'assurer la protection des élèves. Le juge Cory, qui signe la décision au nom des les huit juges majoritaires, écrit dès le troisième paragraphe de son jugement : « Les écoles d'aujourd'hui sont confrontées à des problèmes extrêmement difficiles qui étaient inimaginables il y a une génération. L'introduction d'armes dangereuses dans les écoles est un phénomène croissant auquel s'ajoute la présence trop fréquente de drogues illicites, ce qui est source de problèmes graves et urgents. »

Les faits de la cause devant la Cour Suprême

À l'origine de cette cause, c'est une fouille effectuée par le directeur adjoint d'une école secondaire néo-écossaise sur la personne d'un élève de 13 ans soupçonné d'avoir en sa possession des stupéfiants. Le directeur adjoint avait été informé par d'autres élèves connaissant le jeune en question que ce dernier serait présent à la soirée dansante organisée à l'école, en possession de stupéfiants dans le but d'en vendre. Selon les politiques en vigueur à l'école, lorsqu'un élève est surpris en possession de stupéfiants ou d'alcool, il est suspendu, et s'il y a matière à incrimination, les autorités scolaires doivent appeler la GRC.

Le jour de la fouille, le directeur adjoint a donc demandé à un agent de la GRC d'être présent à l'école. Le directeur adjoint a ensuite emmené le jeune homme dans son bureau et lui a demandé s'il avait de la drogue, l'avisant qu'il serait fouillé. Quelques instants avant de procéder à la fouille de l'élève, le directeur adjoint et le policier, en tenue civile, s'étaient entretenus en privé. Le jeune a ensuite été fouillé par le directeur adjoint alors que l'officier était assis dans un coin. Les stupéfiants saisis ont immédiatement été remis au policier qui a procédé à l'arrestation.

Selon la Cour, deux principes contradictoires devaient être conciliés dans l'affaire : celui du maintien de l'ordre dans les écoles par les autorités scolaires, et les principes du droit constitutionnel. La Cour a résolu cet épineux dilemme en sabrant les droits constitutionnels des élèves.

Avant même la décision de la Cour, les autorités scolaires pouvaient fouiller le casier d'un élève. Comme le casier appartenait à l'école et que cette dernière n'est pas un endroit « privé », l'école avait le droit de le fouiller s'il y avait des motifs de soupçonner une illégalité. Par contre, la fouille corporelle était toujours considérée illégale. Or, c'est ce que la Cour vient de modifier. Sous prétexte qu'à l'école les élèves ont une attente raisonnable moindre qu'ailleurs à la vie privée (la Cour va même jusqu'à dire que les élèves sont en quelque sorte détenus à l'école), que le milieu scolaire confronte une grave situation (armes, drogue, etc.), la fouille corporelle sans mandat peut être permise à condition qu'elle soit raisonnable et porte atteinte le moins possible à la dignité de l'élève.

Néanmoins, ce pouvoir de fouille dépasse largement celui de la police. En effet, cette dernière ne peut fouiller une personne sur la simple base d'informations aussi vagues que celles permettant la fouille à l'école. Une fouille et une saisie sans mandat effectuées par la police sont présumées illégales, sauf dans des cas biens particuliers. La police est tenue de justifier son action et la raison pour laquelle elle a omis de demander la permission à un juge par le biais de l'émission d'un mandat de perquisition.

Le raisonnement de la Cour est difficile à suivre. À la lecture de la décision, très brève pour la Cour Suprême (33 pages), les motifs socio-politiques semblent l'emporter sur le raisonnement juridique. La Cour voulait rendre ce jugement. D'ailleurs la dissidence du juge Major porte en partie sur le fait que, selon lui, tant la Cour d'Appel que la Cour Suprême n'avaient de motifs pour casser la décision de première instance. Car la conclusion du juge selon laquelle il lui semblait évident qu'il y avait « une stratégie concertée » entre le directeur adjoint et le policier, de même qu'au moment de la fouille une enquête criminelle « battait son plein » n'était pas déraisonnables. Pour le reste, il est d'accord sur le principe de l'adoption d'une protection constitutionnelle moindre dans les écoles jugeant que cela « va de soi ».

L'évacuation de la protection constitutionnelle standard en matière de fouille et de perquisition est essentiellement basée sur un argument qui est très douteux ou semblant pour le moins une exagération alarmiste de la situation dans les écoles. Le principe de la protection moindre dans les écoles vient des tribunaux des États-Unis. La situation dans certaines écoles là-bas n'a pas encore de parallèle au Canada. Mais si la situation est si terrible et que l'éducation est une responsabilité et une tâche dont l'importance est « difficile à imaginer », pourquoi aucun juge n'a posé la question ou même fait allusion aux causes de la terrible dégradation du milieu scolaire ? Cette dernière est sans aucun doute la répercussion d'une grave crise sociale dont les juges sont très conscients. La réalité américaine démontre que la politique de destruction des programmes sociaux, des emplois et des conditions de travail créée justement les conditions qui font des écoles des centres de détentions plus que des lieux d'apprentissage. Au Canada, la bourgeoisie mène le même type de politique de coupures qu'aux États-Unis et c'est justement pour faire face à la dégradation des conditions de vie dans les écoles que la Cour a décidé de donner plus de pouvoirs aux autorités scolaires. Elle invoque la protection des élèves mais en même temps leur jette le blâme et les pénalise. La répression est sa solution.

La lutte contre la délinquance invoquée par les juges n'est pas nouvelle. La lutte contre le terrorisme, contre le crime organisé, le maintien de la loi et de l'ordre sont des arguments de plus en plus souvent avancés par les gouvernements un peu partout dans le monde pour justifier les exactions policières et la violation des droits civils.

Cette décision donne des pouvoirs aux autorités scolaires que même les policiers n'ont pas et renforce celui de l'État. Dans une école donc, ce que la police ne pourra faire, ce sont les enseignants et les directeurs qui s'en chargeront : effectuer des fouilles, des perquisitions et des saisies sans mandat, sur la simple base d'informations vagues, expulser un élève et porter des accusations au criminel.

 

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