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La défaite des conservateurs est le signe d'une opposition croissante à l'austérité capitaliste

Les tâches politiques posées aux travailleurs par les élections françaises

 

Traduit de International Workers Bulletin, le journal trotskyste américain

Le résultat des élections françaises soulève des questions politiques cruciales pour les travailleurs de tous les pays. Comme pour la défaite électorale cinglante des conservateurs en Angleterre, la défaite en France de la coalition gouvernementale de droite, dirigée par le premier ministre Alain Juppé, représente un rejet par des masses de travailleurs des politiques d'austérité appliquées à la demande du capital international.

Mais comme en Angleterre, où le nouveau gouvernement a immédiatement pris les mesures pour intensifier les attaques contre les sans emplois et ce qui reste de l'État-providence, la coalition des partis Socialiste et Communiste en France va rapidement trahir le mandat donné par la classe ouvrière et conclure une entente avec le président gaulliste de Jacques Chirac pour appliquer les diktats de la grande entreprise.

Le décompte final des bulletins de vote était a peine terminé dimanche soir, que déjà le dirigeant du Parti Socialiste, Lionel Jospin, commençait de reculer sur sa promesse de réduire la semaine de travail sans perte de salaire et de créer des centaines de milliers de nouveaux emplois dans le secteur public. « Ça n'exprime pas [le résultat] un désir de tout avoir en même temps», a-t-il averti ses supporters. Le marché boursier parisien ne craint pas les promesses de Jospin, les prix des actions ayant augmenté de 2% le lendemain des élections.

Les élections britanniques et maintenant less élections française ont tous deux clairement mis a jour la contradiction entre le militantisme et la résistance croissante de la classe ouvrière et l'absence d'un parti de masse pour défendre leurs intérêts. Tous les vieux partis réformistes et staliniens se proclamant «ouvrier», «socialiste» ou «communiste» ont adopté le programme d'austérité capitaliste.

L'élection de Clinton aux États-Unis et le virage subséquent de son administration toujours plus vers la droite fait partie du même tableau. Des millions de travailleurs ont voté pour Clinton en 1992 et encore en 1996 pour manifester leur opposition aux politiques républicaines de réduction du déficit au détriment des programmes sociaux. Mais chaque victoire des démocrates devenait une occassion pour eux d'embrasser encore plus le programme républicain.

Les travailleurs à travers l'Europe et aux États-Unis font face à la tâche nécessaire de construire de nouveaux partis de masse, indépendants de la classe capitaliste et de tous ses représentants politiques, et basés sur l'unification de la classe ouvrière internationale dans la lutte pour l'alternative socialiste au système de profit.

En France, la coalition de centre-droite du président Chirac a vu sa majorité parlementaire s'effondrer, passant de 464 sièges à 256 sur un total de 577 sièges à l'Assemblée Nationale. Le Parti Socialiste, dont la présence au Parlement avait été réduite à quelques sièges suite aux élecions de 1993, après plus d'une décennie au pouvoir, a vu sa délégation augmenter à 272 sièges. Ses alliés dans le nouveau gouvernement, less staliniens du Parti Communiste et le Parti Vert, ont obtenu respectivement 38 et 9 sièges.

Ce virage massif de l'électorat ne représente pas un élan d'enthousiasme pour les partis Communiste et Socialiste. Comme pour les élections en Angleterre, l'électorat en a profité pour exprimer sa colère contre le gouvernement en place et ses politiques sociales destructives. Plusieurs n'ont simplement pas voté du tout. À 67.8%, le taux de participation était le plus faible jamais enregistré et près de 5% des électeurs ont annulé leur vote au lieu de supporter l'un ou l'autre des partis. Le taux d'abstention et le nombre de bulletins annulés étaient particulièrement élevés dans les grandes villes et régions industrielles, bastions traditionnels des socialistes et des communistes.

En l'absence d'une alternative socialiste progressive présentée par la classe ouvrière, les néofascistes du Front National ont augmenté leur part du vote au premier tour à 15%, leur plus haut score dans une élection nationale. Ce parti dirigé par l'ancien parachutiste Jean-Marie Le Pen est maintenant le troisième en importance en France, derrière le Parti Socialiste et le parti gaulliste de Chirac. Pour la première fois depuis 1988, le Front National a gagné un siège au Parlement.

Les diktats de la grande entreprise

Pour respecter l'échéancier prévu pour l'entrée au sein de l'Union Monétaire Européenne et l'établissement de l'«euro» en tant que monnaie européenne commune en 1999, les gouvernements européens se sont engagés à réduire leur déficit à 3% du produit intérieur brut. Pour la France cela signifie une coupure a partir du présent niveau de 4,2%.

Le capital financier français et international exigent le démantèlement de l'État-providence français peu importe les résultats électoraux. La revue britannique, The Economist, faisait le point sans détour en déclarant dans son éditorial du 24 mai: « Le défi auquel fait face le nouveau gouvernement est immense: rien de moins que de repenser la nature de l'État et de réorienter le cours de la France dans l'arène mondiale. La France demeure un grand pays. Mais elle a besoin de se resaisir...En fait, les élections françaises sont plus importantes que celles en Angleterre, précisément parce que la grande bataille entre l'État interventioniste et le marché doit encore être livrée.»

Le président Chirac a appelé les élections neuf mois plus tôt pour établir le type de gouvernement nécessaire à l'application de ce programme. Alors que le gouvernement Juppé détenait une importante majorité au Parlement, la base sociale sur laquelle il s'appuyait a virtuellement disparu.

La faiblesse du gouvernement a été révélée en 1995 lorsque ses plans ont provoqué le plus important mouvement de grève depuis des décennies. Initié par les cheminots, puis suivie par des centaines de milliers d'autres travailleurs du secteur public, le mouvement de protestation a paralysé le pays tout entier. La crise politique intense provoquée par ce mouvement n'a été résolue que lorsque les dirigeants des syndicats, appuyés pas les socialistes et les communistes, ont conclu une entente avec le gouvernement Juppé et appelé les travailleurs à retourner au travail les mains vides.

En appelant des élections anticipées, Chirac savait très bien que sa coalition de centre droite allait perdre l'élection ou se retrouver avec une très faible majorité au parlement. Mais suite aux événements de 1995, de puissantes sections de la classe dirigeante française avaient tiré la conclusion que la collaboration plus directe des socialistes et des communistes était nécéssaire pour imposer leur politique à la classe ouvrière.

Après le premier tour de scrutin, lorsque la victoire socialiste était apparente, Chirac a paru à la télévision pour encourager la formation « d'une coalition la plus large possible ». Pour sa part, Jospin déclarait que les socialistes allaient être capables de former le gouvernement et «cohabiter» avec le président gaulliste dont le mandat se poursuit jusqu'en 2002.

Le professeur Renata Fritsch-Bournazel, dans une entrevue à l'émission d'information Deutsche Welle, déclarait tout haut ce que beaucoup dans les cercles dirigeants de la bourgeoisie française pense tout bas: qu'un gouvernement socialiste/communiste travaillant en tandem avec le président gaulliste pourrait bien être la meilleure option pour le capital français. Expliquant les mérites de la «cohabitation», elle a dit: « Il faut avoir la solidarité entre la gauche et la droite pour pouvoir mener à bien un programme commun. Ceci pourrait bien être la meilleur solution pour Chirac ».

L'expérience historique ne laisse aucun doute sur le fait que la direction du Parti Socialiste et du Parti Communiste va se ranger derrière les diktats des banques internationales. Durant 14 ans, la présidence a été entre les mains du dirigeant du Parti Socialiste, François Mitterand et, pendant tout ce temps sauf un intervalle de quelques années, le Parti Socialiste contrôlait aussi le parlement. C'est précisément durant ces années que les politiques d'austérité et de chômage de masse ont été introduites, propulsant le taux de chômage à 12,8% et dévastant le niveau de vie de la classe ouvrière française.

Le première coalition de socialistes et de communistes de Mitterand a remporté les élections en 1981 avec la promesse de nationaliser les industries-clés et d'étendre les programmes sociaux. Quelques mois seulement après Mitterand abandonna ses promesses et adopta un programme d'austérité pour répondre aux exigences des marchés financiers.

Le défi politique

Les élections ont dressé la table pour une confrontation sociale explosive. De vastes couches de la classe ouvrière ont voté contre les politiques que les socialistes vont imposer, malgré toutes leurs promesses. Mais les travailleurs n'ont pas d'instrument de masse pour assurer la défense de leurs intérêts.

La classe ouvrière coure le danger qu'en l'absence d'une alternative socialiste et internationaliste, la crise sociale et économique du capitalisme ne trouve une «solution» réactionnaire. Sur la base d'une campagne composée d'un mélange de chauvinisme français, de racisme anti-immigrant et d'appel démagogique pour la création d'emplois, les éléments fascistes dirigés par Le Pen, cherchent à combler le vide politique en exploitant l'insatisfaction ressentie par beaucoup à l'égard des partis politiques officiels, tant de gauche que de droite, responsables de la crise sociale actuelle.

De plus, autant le Parti Socialiste que Communiste ont fait campagne contre le traité de Maastricht, qui établit les conditions pour l'Union Économique Européenne, sur la base du nationalisme français, encourageant les sentiments anti-allemand, anti-américain et anti-anglais, nourrissant par conséquent le terrain pour la propagation du chauvinisme de Le Pen.

La classe ouvrière a besoin de sa propre stratégie politique. Il n'y a pas de solution française aux problèmes de la classe ouvrière, pas plus qu'il n'y a de solution britannique, allemande ou américaine. Pas plus que la classe ouvrière ne peut défendre ses intérêts en supportant le Traité de Maastricht, cette alliance entre puissances capitalistes vouée à renforcer la position économique de l'Europe aux dépens de ses rivaux du Japon et des États-Unis.

Des sections de la bourgeoisie ont déjà commencé à tirer less conclusions de la chute du gouvernement Juppé: la politique d'élimination des emplois et de destruction des avantages sociaux ne peut plus être imposée, en France comme partout ailleur, à travers le cadre habituel du parlementarisme.

L'éditorial principal du Times de Londre portant sur le vote français exprimait l'impatience grandissante que provoque la procédure démocratique bourgeoise. Le quotidien britannique dénonçait les prétentions réformistes de Jospin, déclarant: « Son plan pour la création d'emplois en réduisant la durée de la semaine de travail sans réduction de salaire, et pour l'augmentation de la liste de paie déjà trop longue dans le secteur public, aurait dû être traité avec mépris par n'importe quel électorat éduqué. La France a voté pour une injection de morphine.» Le New York Times a comparé la France à la République de Weimar, le régime parlementaire de crise en Allemagne qui ouvrit la porte aux Nazis.

Des confrontations de classe majeures sont à l'ordre du jour partout en Europe aussi bien qu'aux États-Unis et au Canada. Pour assurer la victoire aux travailleurs, des partis politiques de masse doivent être construits dans la classe ouvrière sur la base du programme de l'internationalisme socialiste. De tels partis ne peuvent être construits qu'en tant que sections du Comité International de la Quatrième Internationale, le mouvement trotskyste mondial. Le CIQI et ses sections européennes, le Parti de l'égalité socialiste en Angleterre et en Allemagne, propose pour contrecarrer le plan d'appauvrisement de la classe ouvrière contenu dans le traité de Maastricht, l'établissement des États unis socialistes d'Europe. En France, la lutte pour cette perspective signifie la construction d'une section du Comité International de la Quatrième Internationale.

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