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Un an depuis le transfert de la formation professionnelle

Le gouvernement du Québec veut transformer les assistés sociaux en main-d'oeuvre à bon marché

Par Jacques Richard
8 juin 1999

Emploi Québec, l'organisme provincial chargé de la formation professionnelle, a été l'objet ces dernières semaines de vives critiques de la part des médias et de l'opposition libérale. Dénonçant le cafouillis bureaucratique qui règne au sein de l'organisme, ces critiques ont cependant éludé le point essentiel, à savoir la politique pro-patronale du gouvernement péquiste en matière d'emploi.

Les récriminations ont commencé en mars dernier, après qu'Emploi Québec eût échoué à présenter un rapport au terme de la première année d'administration provinciale, tel que prévu par une entente conclue avec Ottawa au printemps 1997 sur le transfert des responsabilités en formation et placement de la main-d' oeuvre.

Mais les données nécessaires n'avaient pas été recueillies, ou bien l'avaient été autour de minces échantillons régionaux, trop insignifiants et trop incompatibles avec les données compilées depuis des années par Ottawa pour permettre un suivi. L'organisme provincial aurait en outre trafiqué les rares données disponibles, baissant en cours de route sa cible en termes de placement pour faire passer son taux de réussite de 67 à 100 pour cent.

Voilà plus qu'il n'en fallait pour déclencher une série de commentaires et d'éditoriaux qualifiant les pratiques d'Emploi Québec de « cafouillage ». Certains sont allés jusqu'à offrir une explication : « Après trente ans de revendications, occuper ce champ de juridiction était en quelque sorte devenu une fin en soi », a écrit un éditorialiste de La Presse.

Cette remarque comporte un fonds de vérité : les chicanes de juridiction qui dominent la vie politique canadienne sont invariablement présentées comme des luttes de principes où prime l'intérêt public, alors que les acteurs politiques impliqués ont rarement de sérieuses divergences sur les questions de fond. En ce sens, c'est le même scénario qui se répète aujourd'hui : après s'être joints au gouvernement du Québec pour exiger une juridiction provinciale sur la formation professionnelle, les partenaires pour l'emploi, coalition de centrales syndicales et d'associations patronales, réclament maintenant un plus grand rôle dans l'allocation des budgets.

Malgré « la grogne qui se fait sentir au sommet [et] est décuplée en région », malgré le geste d'éclat de la ministre de l'emploi Diane Lemieux qui a réuni les cadres de l'organisme pour « leur parler dans le blanc des yeux », pas une voix ne s'est élevée pour remettre en cause la politique fondamentale du gouvernement Bouchard en matière d'emploi. Certains journalistes se sont avisés de qualifier toute cette agitation de « problèmes existentiels » pur Emploi Québec, tout en évitant soigneusement de soulever la question évidente de l'origine de cet organisme.

Le fait est que tout l'establishment politique a appuyé l'initiative gouvernementale qui devait donner naissance à Emploi Québec, à savoir : la réforme de la sécurité du revenu. Celle-ci a débuté en décembre 1996 avec le dévoilement de l'orientation générale du gouvernement dans un Livre vert, pendant qu'étaient mises sur pied les structures administratives nécessaires à son application : la création en juin 1997 du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, puis la fusion en un seul organisme (l'actuel Emploi Québec) des centres Travail-Québec, des bureaux de la société québécoise du développement de la main-d'oeuvre et ceux du Développement des ressources humaines du Canada.

Le projet de loi 186 sur la sécurité du revenu, déposé en décembre 1997 par la ministre du Travail et de l'Emploi d'alors, Louise Harel, allait finalement être adopté en juin 1998, avec quelques amendements mineurs. Sa pièce-maîtresse est l'obligation pour les jeunes assistés sociaux de 18 à 24 ans de participer à un « parcours individualisé vers l'emploi », sous peine de voir la maigre prestation de $450 par mois réduite à $340. S'il fallait en outre que le prélèvement à la source des loyers des assistés sociaux, voté en décembre 1997 par le Conseil national du PQ, acquière force de loi, des milliers de jeunes assistés sociaux pourraient se retrouver littéralement sans un sou en poche.

Les véritables objectifs du gouvernement péquiste ont été ouvertement débattus par les médias à l'époque. Dans un éditorial en date du 24 décembre 1997, La Presse mettait à nu, en des termes fort élogieux, la brutalité de la réforme et de la société qui l'a engendrée :

« L'un des principaux obstacles au retour au travail reste le fait que les emplois faiblement rémunérés ne constituent pas une solution de rechange attrayante à l'aide sociale. La fameuse mesure qui menace d'une compression de $150 les jeunes qui refusent de participer à un parcours d'insertion contribue à ce double objectif : rendre le statut d'assisté social moins attrayant, et donner des outils qui permettront, on l'espère, à ces jeunes assistés de devenir des jeunes travailleurs.

«  Oui, il y a là un élément de coercition. Oui, cet élément rompt avec la vision traditionnelle selon laquelle le chèque d'aide sociale est un droit inaliénable et inconditionnel. Les menaces de compressions n'ont-elles pas quelque chose d'humiliant, qui marginalise ces jeunes? Au contraire, avec ce tordage de bras, on traite ces jeunes assistés sociaux comme les autres jeunes. À la maison, à l'école, lors des premiers pas sur le marché du travail, les jeunes sont soumis à des contraintes, à des mesures de résultats, à des règles. Disons-le, le 'coup de pied au cul' fait partie des outils d'apprentissage. Au nom de quelle logique soustrairait-on les jeunes bénéficiaires d'un cadre auquel les autres jeunes sont soumis? »

Les paramètres financiers d'un tel « cadre » avaient été clairement définis quelques mois plus tôt par le professeur Pierre Fortin, expert attitré en matière de politique gouvernementale : « Un stage de travail n'est pas la même chose qu'un travail; dans les pays socialement les plus avancés (?), les stagiaires sont rémunérés à 40 % du salaire minimum tout au plus. Il ne saurait en être autrement au Québec. »

Cette tentative de transformer les jeunes assistés sociaux en main-d'oeuvre à bon marché a été vivement dénoncée dans les milieux populaires et communautaires. « Depuis plusieurs années », relate par exemple Le Devoir dans un jargon bureaucratique, « la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse considère que le non-assujetissement des programmes de développement de l'employabilité aux normes applicables à l'ensemble de la main-d'oeuvre constitue une forme de discrimination fondée sur la condition sociale. »

La commission en question avait également fait savoir que &laqno; la réinsertion de dizaines de milliers de travailleurs, dont plusieurs ne sont que minimalement scolarisés, sur un marché dont la croissance n'assure actuellement qu'un très faible taux de création d'emplois, ne saurait qu'être lente et progressive. Il est clair que les personnes n'ayant pas réussi à se tailler une place sur le marché de l'emploi seront maintenues dans des conditions de pauvreté extrême ».

Même les chefs syndicaux, ardents promoteurs de la réforme, (qualifiée par Henri Massé, alors secrétaire-général de la Fédération des Travailleurs du Québec, d'&laqno; axe majeur dans la mise en place d'une politique active du marché du travail »), avaient dû prendre leurs distances envers ses éléments les plus frauduleux. Dans une lettre datée du 12 décembre 1997, les dirigeants des centrales syndicales du Québec écrivaient :

« En 1994, près de 50.000 prestataires ont participé à des mesures d' 'employabilité' sans pour autant réintégrer le marché de l'emploi. De surcroît, presqu'autant de personnes étaient en attente d'une place disponible dans ces programmes. Soulignons aussi que le nombre de jeunes de 18 à 24 ans et de femmes chefs de familles monoparentales, groupes visés particulièrement par la réforme, est supérieur au nombre de places disponibles dans les mesures d' 'employabilité '.»

Mais le témoignage le plus éloquent a été livré en février 1997, durant les audiences de la Commission parlementaire sur la réforme, par les délégués de centaines de familles pauvres de plusieurs régions du Québec.

« Comment les personnes exclues depuis tellement longtemps de la vie sociale et économique, dont plusieurs n'ont même pas complété leur primaire, pourront-elles bénéficier des mesures mises en place, alors qu'il y a beaucoup de coupures dans l'éducation aux adultes et dans l'alphabétisation? Tout orienter sur les parcours vers l'emploi risque de maintenir les préjugés et les jugements en direction de ceux et celles qui ne pourront pas entrer sur le marché du travail. Le risque est grand alors de séparer les pauvres en deux catégories : les 'bons pauvres' qui arrivent à avoir du travail et les 'mauvais pauvres' qui n'en ont pas et qu'il faut pénaliser. Les personnes les plus pauvres ne pourront pas bénéficier de la réforme si elles continuent de vivre dans l'insécurité permanente, sans revenu minimum garanti et sans perspectives d'avenir pour elles et pour leurs enfants. »

Mais rien ne fit. Le gouvernement Bouchard se tint à son véritable agenda, celui de créer une source abondante de « cheap labor » tout en réduisant le déficit sur le dos des sans-emploi. En votant la loi 186 en juin dernier, la seule concession du gouvernement fut de reporter de quelques mois (de décembre 1998 à septembre 1999) l'entrée en vigueur de la pénalité de $150.

Une fois la loi passée, Québec a cherché de moins en moins à maintenir la prétention de vouloir favoriser la réintégration des jeunes assistés sociaux au marché de l'emploi. À la politique du fouet (épais) et de la carotte (naine), il ne reste plus que le fouet.

Le bugdet alloué par Québec est en effet passé de 204 millions à 182 millions par année. Une certaine partie de ces fonds étant déjà dépensée, le montant d'argent disponible est passé de 140 à 81 millions, et plusieurs programmes et même des formations en cours ont été coupés. Dans ce contexte, les 30 millions additionnels annoncés récemment ne sont qu'un bémol.

Le mois dernier, la Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main-d'oeuvre, ainsi que plusieurs organismes oeuvrant dans la réinsertion des personnes sans travail, ont dénoncé les coupes du gouvernement québécois qui empêcheront dès juillet nombre d'assistés sociaux d'avoir une chance d'accéder au marché du travail.

Céline Charpentier, directrice générale de la Corporation de développement économique communautaire, a évoqué la « contradiction totale du gouvernement québécois » qui, il n'y a pas si longtemps disait vouloir en faire plus afin d'aider les sans-emploi à se réinsérer.

À Intégration-Jeunesse, qui travaille auprès des jeunes de 18-30 ans, le projet d'atelier-boutique de rembourrage est tombé à l'eau malgré une promesse écrite de Québec d'avancer les fonds. Pour ce qui est de la formation professionnelle (l'organisme forme des vendeurs d'articles de sports, des conseillers animaliers), il n'y a plus d'argent malgré un taux de placement de 80% pour les 75 jeunes qui y passent chaque année, a appris la directrice, Sylvie Baillargeon, qui qualifie la situation de catastrophique. Quant à l'aide à l'emploi et au placement qu'on offre à quelque 180 jeunes, on ne sait pas encore ce qu'il en adviendra.

« Je pense que les élus n'ont pas encore réalisé l'ampleur de l'impact de cette décision prise par des fonctionnaires de couper dans le communautaire », lance Denis Boily, directeur du Service externe de main-d'oeuvre des personnes handicapées du Centre du Québec et président de la table régionale regroupant les organismes d'intégration.

Une chose est claire : le gouvernement péquiste de Bouchard s'est avéré dans ce dossier, tout autant que les Libéraux de Chrétien à Ottawa ou les Conservateurs de Harris à Toronto, un serviteur de la grande entreprise et des marchés financiers. À la première, il a livré des milliers de jeunes assistés sociaux qui auront été dépourvus de toute ressource financière et forcés de se vendre sur le marché du travail au plus bas prix, exerçant ainsi une forte pression à la baisse sur tous les salaires. Aux seconds, il va amener, dans le cadre de la politique du 'déficit zéro', des millions additionnels soutirés des programmes d'aide aux sans-emploi.


 

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