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L'Alliance et le Bloc se font du genou

par Guy Charron
8 août 2000

Plus d'un fut surpris par une récente déclaration de Stockwell Day, le nouveau chef de l'Alliance canadienne, l'Opposition officielle à Ottawa. II se disait prêt à faire une coalition avec le Bloc québécois pour évincer les libéraux du pouvoir dans le cas où ces derniers seraient minoritaires à la Chambre des communes après les prochaines élections qui devraient avoir lieu à l'automne ou au printemps prochain.

Day avait déclaré vendredi, le 28 juillet, que son parti serait prêt à forger des liens politiques avec n'importe qui, y compris les séparatistes, s'ils partageaient ses vues conservatrices. « Je ne suis pas très fanatique des étiquettes », a dit Day. « Si quelqu'un accepte les politiques de l'Alliance canadienne, et croit que nous avons besoin d'un gouvernement fédéral de plus petite taille, respecte les provinces et veut des impôts plus bas, je ne suis pas intéressé aux positions politiques qu'il a pu prendre dans le passé. »

« La position de l'Alliance canadienne est d'être ouverte à tous ceux qui sont intéressés à une forme véritablement conservatrice de gouvernement », a-t-il ajouté.

Rahim Jaffer, un député de l'Alliance qui accompagnait Day, a admis que certains représentants de l'Alliance avaient approché des députés du Bloc pour discuter d'une éventuelle coalition : « Je crois qu'ils seraient très ouverts à ce que nous travaillions ensemble, mais je ne crois pas qu'ils quitteraient nécessairement leurs rangs pour joindre les nôtres. » « Nos politiques sont très différentes dans plusieurs secteurs, mais en terme de politique fiscale et de modification du système fédéral, il y aurait terrain d'entente. »

Le lendemain, Louis Aucoin, porte-parole du Bloc québécois répondait dans les médias : « Si jamais nous étions dans la position d'avoir à décider si nous devons former un gouvernement avec l'Alliance canadienne, nous le considérerions.» « Ce n'est pas une idée à laquelle nous nous attardons présentement, mais il est évident que nous en avons discuté dans le parti. »

Dès lundi toutefois, les déclarations reprennaient le ton habituel, pour la galerie, les avances que ce font les deux partis devant se limiter aux appels du genou sous la table.

« Jamais, pour aucune raison, le Bloc québécois ne formera de coalition avec Stockwell Day ou l'Alliance canadienne. Cela n'a jamais été considéré, et ne le sera jamais » a déclaré Michel Gauthier, député et ex-dirigeant du Bloc. Le vice-premier ministre, Bernard Landry, du Parti québécois, le parti indépendantiste au pouvoir au Québec, a expliqué : « Les deux partis n'ont pas la même philosophie. Ils n'ont rien en commun. Mais en politique, la question de coalition se discute toujours après les élections, là où se joue la cruciale question du pouvoir. C'est arrivé en Espagne avec la Catalogne. »

Remous et arithmétique

Si la question a fait tant de remous, c'est que les médias présentent les deux forces en présence comme les antagonistes de la politique canadienne : d'un côté, l'Alliance canadienne, basée dans l'Ouest canadien, avec ses teintes d'anglo-chauvinisme, son appui à la peine de mort, son opposition à l'avortement; de l'autre le Bloc québécois, séparatiste, expression de la solidarité, de la générosité et de la tradition des droits collectifs du peuple québécois, et social-démocrate.

D'autres, ne manquant pas de faire remarquer le niveau de cynisme actuel en politique, expliquent qu'un simple décompte mathématique explique les manoeuvres entre le Bloc et l'Alliance. La Chambre des communes compte 301 sièges, dont 75 au Québec. L'Alliance ne peut de façon réaliste espérer un gouvernement majoritaire sans sièges au Québec.

Par contre, les libéraux ont une faible majorité de 5 sièges à l'heure actuelle, grâce surtout aux 101 sièges qu'ils détiennent sur les 103 que compte l'Ontario. En tenant compte que les votes de la droite ne soient plus divisés entre les conservateurs et les réformistes/alliancistes, les libéraux pourraient perdre entre 15 et 20 sièges en Ontario et ainsi leur majorité au Parlement. Le Bloc québécois détenant 44 des 75 sièges du Québec pourrait détenir la balance du pouvoir, et les manoeuvres entre le Bloc et l'Alliance n'ont pas d'autres causes qu'une simple loi de l'arithmétique.

Bien que le cynisme des politiciens soit un fait indéniable, et que l'arithmétique soit exacte, cette dernière explication est incomplète et ne tient pas compte d'un aspect fondamental de la politique canadienne et québécoise : les liens entre les nationalistes québécois et la droite anglo-canadienne.

Les prétentions sociales-démocrates du Bloc ne dépassent pas la promesse électorale et l'arrivée de l'Alliance sur l'échiquier politique fédéral n'est pas perçue comme une menace importante, puisque le « créneau » des politiques pro-affaires est déjà bien rempli au Québec.

Pierre de Savoie, un député bloquiste délégué au dernier congrès de l'Alliance, réunie pour élire son chef, déclarait qu'il ne craignait pas que l'Alliance puisse se faire élire au Québec : « Nous proposons déjà l'allégement fiscal. Et les valeurs collectives sont trop importantes au Québec pour que l'Alliance soit populaire ici. Nous représentons la seule alternative aux libéraux au Québec. »

Avant même les discussions sur une coalition postélectorale que les deux partis ont admis avoir eues, il y a toujours eu d'importantes discussions entre les deux forces. Rodrigue Biron, ancien député péquiste, ancien chef de l'Union nationale, a participé, avec l'autorisation de Lucien Bouchard, le premier ministre québécois péquiste, au comité dirigeant de l'Alternative unie, la première tentative de Manning pour unir le Parti conservateur et le Parti réformiste dans une organisation unique de la droite. Biron a déclaré que Day était un « véritable provincialiste ».

Éric Duhaime, un ancien conseiller du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, et collaborateur au Fraser Institute, un des plus importants think-thank de la droite au Canada, a été parmi les principaux organisateurs de la campagne à la chefferie de Day au Québec. Dès 1998, il donnait son appréciation du Parti réformiste : « Étonnamment, les réformistes ont fait bonne impression au Bloc. Nous avons découvert qu'il y avait beaucoup de gens avec plein de bon sens dans le Parti réformiste. J'ai découvert que beaucoup de gens de l'Ouest ont les mêmes préoccupations que les Québécois, alors la solution n'est pas tellement loin. »

Luc Lavoie, un ancien conseiller en communications de Brian Mulroney, et conseiller de Lucien Bouchard, a organisé un dîner privé avec Day et des hommes d'affaires influents québécois lors de sa campagne à la direction de l'Alliance canadienne. Cette rencontre a été orchestrée après que Day ait rencontré Brian Mulroney en janvier, avant même que sa campagne à la direction de l'Alliance ne soit officiellement lancée.

Les nationalistes québécois s'accommodent fort bien de la politique de l'affaiblissement de l'État fédéral mise de l'avant par Day, y voyant une façon d'accaparer plus de pouvoirs. Ils sont prêts à s'entendre avec les factions régionalistes de l'élite des affaires de l'Ouest canadien pour que chacun reste dans sa cour, et entreprenne ses affaires de la façon qui lui semble la plus profitable avec les États-Unis, plutôt que d'avoir à supporter les politiques qui favorisent l'Ontario, plus industrialisée.

Cette politique de « chacun dans sa cour » trouve aussi son écho sur la question de la langue. Les nationalistes québécois sont prêts à abandonner les francophones hors Québec à leur sort en échange de pouvoir gérer comme ils l'entendent la question linguistique au sein de la province elle-même.

La coalition « contre-nature » des indépendantistes québécois et de l'Alliance canadienne sera utilisée par les libéraux fédéraux qui joueront à fond la carte du nationalisme canadien pour tenter de détourner l'attention sur le fait qu'ils ont pratiquement mis en oeuvre le programme du Parti réformiste, maintenant l'Alliance canadienne, depuis qu'ils sont au pouvoir en 1993.

Les nationalistes québécois collaborent avec la droite canadienne

Les manoeuvres entre les nationalistes québécois et la droite canadienne n'ont rien d'exceptionnel. Le nationalisme québécois a une longue tradition de droite au Québec, et on a vu à maintes reprises les nationalistes au Québec rejoindre les régionalistes de l'Ouest et la droite canadienne au cours des dernières décennies.

Par exemple, les conservateurs albertains se sont souvent solidarisés avec les gouvernements québécois, qu'ils soient formés du Parti québécois ou du Parti libéral, sur la question du libre-échange ou pour demander une plus grande autonomie provinciale, par exemple.

Qu'on se rappelle que Duplessis en mettant sa machine électorale au service de Diefenbaker lui avait permis d'obtenir la plus grande majorité de l'histoire à la Chambre des communes ; ou encore du « beau risque » de René Lévesque, un des fondateurs du Parti québécois, alors premier ministre du Québec, qui avait mené les conservateurs au pouvoir au fédéral en 1984.

Les conservateurs avaient alors été portés au pouvoir en remportant 211 sièges des 288 que comptaient alors la Chambre des communes. Les nationalistes québécois avaient mis leur machine électorale au service de Brian Mulroney et fourni plusieurs candidats, comme Lucien Bouchard par exemple, ce qui avait permis aux conservateurs de remporter 58 sièges dans la province québécoise.

Le Bloc québécois lui-même vient d'une scission avec le Parti conservateur, auquel se sont joints quelques libéraux dissidents, après que l'accord du lac Meech (une proposition pour modifier la Constitution canadienne de 1982 qui avait pour but, entre autres, de la faire accepter par le gouvernement québécois) ait échoué.

La couverture de gauche des nationalistes québécois

L'existence d'une aile de droite au sein du mouvement nationaliste québécois est constamment cachée par un incessant travail de camouflage de la part de la bureaucratie syndicale et des radicaux de gauche, québécois ou canadiens. Parce que le Québec subirait « l'oppression nationale », la bourgeoisie québécoise est drapée d'une auréole de sainteté, et la formation d'un État québécois est progressiste.

Les bureaucrates de la CSQ, de la CSN et de la FTQ sont la plus importante couche sociale au Québec sur lequel s'appuie le PQ. Ils ont été les premiers à répondre à la demande pour « l'union sacrée de tous les Québécois » que lançait Bouchard lorsque les libéraux fédéraux ont avancé leur projet de loi de la clarté. Dernièrement, ils ont avancé la nécessité d'un « front commun » du gouvernement québécois et des « forces vives » du Québec pour augmenter les paiements de transfert du gouvernement fédéral au Québec.

De façon générale, l'idéologie nationaliste s'est profondément modifiée au cours des années 1960, alors que le militantisme de plus en plus important de la classe ouvrière au cours des 1960 et 1970 était canalisé par la bureaucratie syndicale vers des demandes qui améliorait la position de la bourgeoisie québécoise. Il en est né un « modèle québécois », où les syndicats collaborent étroitement avec l'État et la grande entreprise pour créer une « économie forte » au Québec.

Au référendum de 1995 sur la sécession du Québec, les indépendantistes clamaient haut et fort qu'un Québec souverain permettrait d'éviter que le Québec ne soit gagner par le vent de droite qui soufflait sur l'Amérique du Nord. Aussitôt le référendum terminé, le PQ s'embarquait, avec l'appui des appareils syndicaux, dans une série de compressions budgétaires et de diminutions de services dans l'ampleur a dépassé ce qui s'est fait en Ontario, province dirigée par le gouvernement conservateur ouvertement à droite de Mike Harris.

Les bureaucrates syndicaux bénéficient de l'aide des « gauchistes » pour effacer la nature de droite du nationalisme québécois. Pour donner un exemple caractéristique du type de couverture qu'offre les radicaux au nationalisme québécois, voici ce que Gauche socialiste écrivait : « Pourtant la revendication de l'indépendance est le tendon d'Achille de la bourgeoisie canadienne. La domination de cette bourgeoisie, malheureusement, n'est aucunement menacée ni par les luttes ouvrières et populaires, ni par les luttes nationales aborigènes, ni par les luttes des femmes, etc.. Mais elle rage de ne pas pouvoir casser la volonté du peuple québécois de remettre en question jusqu'à l'existence même de son État, la base territoriale de son pouvoir. D'où l'essence anticapitaliste, et certainement donc anti-néolibérale, de la lutte de libération nationale du peuple québécois pour son indépendance. »

Que ce soit le nationalisme ouvertement réactionnaire du Chanoine Groulx et de l'Union nationale de Maurice Duplessis, ou celui plus « progressiste » du Parti québécois, parti fondé en 1968 d'une faction qui s'est séparé du parti de la grande entreprise au Québec, le Parti libéral, et a fini par absorbé les restes de l'Union nationale dans les 1970, le nationalisme a toujours eu une (souvent deux) importante aile de droite.

Une coalition entre le Bloc québécois et l'Alliance est loin d'être « contre-nature ». Plutôt, ce serait une autre étape dans la longue collaboration entre la droite canadienne et le nationalisme québécois.

Voir aussi :

L'Alliance canadienne : le nouveau visage de la réaction politique 19 juillet 2000

Le Parti réformiste change de nom pour devenir l'Alliance canadienne; Un remaniement dans le but de gagner la grande entreprise 27 avril  2000

 

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