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Les élections canadiennes : les dessous du débat sur la santé

21 novembre 2000
Par Jacques Richard

La population canadienne a exprimé à maintes reprises son inquiétude face à la détérioration du système public des soins de santé qui se manifeste par l'allongement des listes d'attente, l'engorgement des urgences et la fermeture de nombreux hôpitaux partout au pays.

Mais la controverse autour du système de santé qui domine la campagne pour les élections fédérales du 27 novembre ne prend aucunement en compte cette inquiétude générale. Elle représente plutôt une tentative de la classe dirigeante d'élaborer, dans le dos du peuple canadien, un plan visant à subordonner davantage le système de santé, et la politique sociale en générale, à sa course aux profits.

La première chose à dire sur cette question c'est que tous les principaux partis en lice ont leur part de responsabilité dans les coupures budgétaires qui ont dévasté le système de santé. Mais chacun d'eux essaie de jeter le blâme sur ses opposants électoraux.

Ainsi, lors du débat des chefs en anglais, le chef conservateur Joe Clark a durement attaqué le gouvernement libéral de Jean Chrétien pour avoir mis la hache au système de santé. Pourtant ce sont les conservateurs qui, sous la gouverne de l'ancien premier ministre Brian Mulroney, ont imposé pour la première fois des coupures massives dans les dépenses sociales au nom de la « lutte au déficit ».

Clark a été secondé dans ses attaques sur les libéraux par le chef de l'Alliance canadienne, un parti qui a proclamé son désir d'implanter au niveau fédéral le type de mesures qui ont été adoptées par les gouvernements provinciaux conservateurs de l'Alberta et de l'Ontario. Ces deux régimes, plus que tout autre gouvernement au Canada, ont sabré sauvagement dans les services publics et sociaux afin de réduire les taxes pour les bien nantis.

Alexa McDonough, dirigeante du Nouveau parti démocratique (NPD), d'orientation social-démocrate, s'est montrée la plus criarde dans ses dénonciations des libéraux fédéraux. Elle a fait valoir que la santé à deux vitesses, c'est-à-dire un accès privilégié à des soins de qualité pour ceux qui peuvent se le payer, existe déjà à toutes fins pratiques. Mais McDonough a passé sous silence l'expérience du gouvernement NPD en Saskatchewan. Ce dernier a non seulement fermé plus de cinquante hôpitaux en milieu rural pour devenir la première province du pays à éliminer son déficit, mais il a aussi marché sur les traces de son voisin conservateur de l'Alberta en faisant passer les coupures de taxes loin devant un financement accru en santé.

Il ne fait aucun doute que l'appel du NPD fédéral en faveur d'une injection massive de fonds dans le système de santé sera attrayant pour une bonne partie de l'électorat. Mais il ne représente aucune véritable alternative au système actuel, car il est entièrement basé sur l'existence d'énormes surplus budgétaires qui vont rapidement disparaître au premier creux du cycle commercial, sans parler d'une crise financière majeure.

Le Bloc Québécois (BQ) séparatiste s'est joint aux dénonciations des coupures libérales dans la santé, mais surtout pour en faire un exemple de la façon dont Ottawa « s'impose » aux provinces. Le BQ craint un débat sérieux sur la crise de la santé parce qu'il ne veut pas ramener à l'esprit des travailleurs du Québec le bilan de son alter ego provincial, le Parti Québécois (PQ). Élu pour la première fois en 1994, le gouvernement provincial péquiste a imposé des coupures de deux milliards de dollars par année dans le budget du Québec pour la santé, ainsi que l'élimination de 15.000 emplois dans le réseau et la fermeture de nombreux hôpitaux et centres médicaux.

Le premier ministre Jean Chrétien a défendu le bilan de son gouvernement en alléguant que le chaos financier causé par le gouvernement conservateur précédent n'avait laissé aux libéraux d'autre choix que d'imposer des coupures massives. Il a aussi prétendu que, suite à un accord conclu entre Ottawa et les provinces en septembre, le gouvernement fédéral allait faire « le plus gros investissement en santé de toute l'histoire de notre pays ».

En fait, le premier ministre se montre peu consciencieux avec les chiffres car son plus gros investissement de l'histoire, quelque $22 milliards sur les 5 prochaines années, est inférieur à ce que les libéraux ont coupé dans les dépenses en santé entre 1995 et l'année fiscale courante.

Selon l'accord fédéral-provincial sur la santé, le Transfert canadien pour la santé et les services sociaux va augmenter l'année prochaine à $18,3 milliards. Ce montant est inférieur aux $18,7 milliards qu'Ottawa transférait aux provinces (qui sont responsables de la santé selon la constitution) en 1994, et il ne tient compte ni de l'inflation ni de la croissance de la population.

Mais même en oubliant le passé, il n'en demeure pas moins que les élections fédérales sont basées sur une prémisse fondamentale, à laquelle adhèrent tous les partis en lice (sauf le NPD fédéral) et les gouvernements de tous les niveaux et de toutes les affiliations politiques (y compris le NPD), à savoir que le gros des énormes surplus budgétaires projetés devraient aller, non pas à la santé (ou à l'éducation ou à d'autres services vitaux), mais à des coupures de taxes qui profitent surtout aux riches et aux richissimes.

Création d'une base sociale pour la privatisation

La question la plus controversée du débat sur la santé a été la croissance des services privés de soins de santé.

C'est un fait bien connu que l'Alliance canadienne veut élargir la médecine privée à but lucratif, sinon établir tout un réseau médical privé. Mais ce parti a évité de déclarer ouvertement ses intentions par crainte de provoquer un vaste mouvement populaire d'opposition. Mais après que plusieurs haut dirigeants de l'Alliance canadienne aient dévié de la ligne officielle du parti et exprimé leur soutien pour un rôle accru du privé dans la santé, les libéraux sont passés à l'offensive. La réélection des libéraux de Chrétien a été présentée comme la seule façon de stopper les plans de l'Alliance pour un système de santé « à deux vitesses », où les riches auront accès aux meilleurs soins de santé alors que la majorité doit se résigner à un système public décrépit.

Le chef de l'Alliance Stockwell Day a nié les accusations libérales, proclamé le soutien de son parti pour le réseau public, et exigé que les libéraux retirent une annonce à la télévision qui accusait l'Alliance de faire la promotion d'un « système privé de santé de type américain ».

Les deux partis font de la surenchère électorale et ont chacun, en vérité, un plan secret en ce qui concerne le réseau de la santé. Ni l'un ni l'autre ne peut présenter au grand jour son programme pour la santé ou expliquer la véritable nature de leurs différends sur la question.

Il y a un consensus général dans les milieux dirigeants que le réseau public de la santé, tel qu'il est présentement organisé et conçu, ne fonctionne pas. Mais ce qui inquiète la grande entreprise et ses représentants politiques, ce n'est pas que les patients doivent attendre des semaines, voire des mois, pour le traitement de maladies qui mettent leurs vies en danger; mais que le réseau public de la santé consomme une trop grosse part des ressources financières de l'état.

Il existe de véritables différences entre les libéraux et l'Alliance, mais elles portent sur la façon de prodiguer des soins de santé le plus économiquement possible pour l'état et la grande entreprise, tout en augmentant les occasions de profit dans ce qui constitue l'un des secteurs de l'économie mondiale ayant le plus haut taux de croissance.

Le manifeste de l'Alliance sur la santé dit qu'un gouvernement de l'Alliance « garantirait l'avenir de la santé » en maintenant les principes actuels de la Loi canadienne sur la santé (qui établit des normes nationales pour le réseau public), et en y ajoutant un nouveau qui « garantisse le financement fédéral » par un transfert du pouvoir de taxation vers les provinces. Puis il affirme dans un passage clé qu'un gouvernement de l'Alliance « remplacerait la confrontation fédérale-provinciale par une approche plus coopérative ». C'est un langage codé pour permettre à l'Alberta, au Québec, à l'Ontario et aux autres provinces de poursuivre leurs « expériences » consistant à donner plus de place aux compagnies privées dans l'octroi de soins médicaux et à utiliser les « mécanismes du marché » dans l'allocation du financement et des ressources pour la santé.

Stockwell Day, il faut le rappeler, était ministre des Finances dans le gouvernement conservateur de l'Alberta au moment où celui-ci formula la loi 11. Cette loi élargit le champ des traitements et des opérations qui peuvent être légalement effectués par des hôpitaux privés, certains étant payés par le gouvernement, et d'autres, les soi-disant « services étendus », directement par les patients.

Comme un député de l'Alliance et partisan déclaré de la médecine privée, Keith Martin, l'a admis dans une entrevue accordée à Ottawa Citizen, son parti ne veut tout simplement pas affirmer publiquement qu'il soutient la médecine à but lucratif, parce que « Ça pourrait être dur à vendre politiquement ».

Défense frauduleuse de la santé par les libéraux

Les libéraux font preuve d'autant de duplicité. Un bref aperçu de la véritable structure des dépenses canadiennes en matière de santé montre à quel point sont démagogiques les haut cris lancés par les libéraux quant à la volonté de l'Alliance d' « introduire » un système « à deux vitesses ».

Les dépenses totales en soins de santé au Canada s'élevaient à quelque $86 milliards en 1999. Environ 70 pour cent venaient du gouvernement et couvraient en grande partie les frais hospitaliers et les honoraires des médecins. Le secteur privé assurait les 30 pour cent restants (comparativement à 56 pour cent aux États-Unis), qui consistaient essentiellement en dépenses pour médicaments, soins dentaires, soins à domicile et soins à long terme.

Comme en a conclu le National Post, « Il ne s'agit pas d'un nouveau système à deux vitesses, mais en fait d'un système à plusieurs vitesses qui opère depuis de nombreuses années, le gouvernement libéral en étant non seulement conscient mais aussi favorable ».

En considérant les prétentions des libéraux d'être opposés à une médecine à « deux vitesses », il faut rappeler une fois de plus que ce sont leurs coupures massives dans la santé qui ont mené le réseau public au bord de l'effondrement, et créé par conséquent la demande pour un système parallèle, à but lucratif, qui serait disponible pour ceux qui en ont les moyens.

De plus, le gouvernement libéral savait depuis de nombreuses années, sans soulever la moindre protestation, que certaines provinces signaient des ententes avec des « entrepreneurs de la santé ». C'est seulement au cours de la campagne électorale actuelle que les libéraux ont fait tout un tapage après avoir soudainement « découvert » l'existence au Québec et en Alberta de cliniques privées qui offrent des services de diagnostic, comme l'imagerie par résonance magnétique, moyennant des frais de plusieurs centaines de dollars.

En 1996 cependant, Ottawa endossait un document du gouvernement albertain intitulé Douze principes provinciaux encadrant le système albertain de soins de santé, dont le quatrième donne une bonne idée du contenu général : « Assurer un rôle important du secteur privé dans la santé, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des systèmes financés par l'état. »

Il faut aussi noter que, malgré tout leur chahut après l'adoption de la loi 11 par l'Alberta, les libéraux ont fini par soutenir celle-ci. Ils ont voté dans la Chambre des communes, aux côtés des conservateurs et de l'Alliance, pour rejeter une motion du NPD qui aurait rendu la loi 11 illégale en bannissant tout financement public d'hôpitaux privés à but lucratif.

Si les libéraux ne s'opposent pas à un système privé de santé comme ils l'ont prétendu tout au long de la campagne électorale, quelles sont alors leurs véritables divergences à l'endroit du programme de l'Alliance?

Un premier point de dissension porte sur les rôles respectifs du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux dans la gestion du système de santé, y compris la croissance d'un secteur privé à but lucratif. Les libéraux représentent une section de la classe dirigeante qui favorise le maintien d'un rôle important pour l'état fédéral, alors que l'Alliance pense qu'un contrôle provincial serait la voie la plus rapide pour atteindre son objectif de transformer le système de la santé d'un réseau public de qualité en aide de dernier recours.

Deuxièmement, comme le premier ministre Jean Chrétien en a fait mention durant le débat des chefs, les libéraux et des secteurs importants de la classe dirigeante considèrent le système public de santé comme un avantage compétitif sur leurs rivaux américains. Les entreprises qui s'installant au Canada peuvent compter sur le système public pour fournir une assurance médicale à leurs employés, au lieu de payer de leurs poches des régimes privés d'assurance-maladie.

Enfin, et différence peut-être la plus importante, comme ils l'ont démontré sur toutes les autres questions socio-économiques, les libéraux se présentent à la grande entreprise comme étant le parti le plus apte à imposer le programme de celle-ci, et ce, sans provoquer de troubles sociaux majeurs.

Alors que l'Alliance a débattu de l'opportunité de préconiser ouvertement la levée de toutes les barrières légales à la médecine à but lucratif (même si Day a éventuellement évité de faire un tel appel au cours de la campagne électorale), les libéraux ont plutôt opté, au nom de la « défense de la loi canadienne sur la santé», pour une campagne de « privatisation passive », pour reprendre l'expression utilisée par le nouveau président de l'Association médicale canadienne, Peter Barrett.

La loi canadienne sur la santé a été adoptée il y a plus de 15 ans, à une époque où les soins de santé étaient essentiellement associés à des médecins oeuvrant en milieu hospitalier. La liste des services assurés dans ce cadre n'était même pas clairement définie, étant plutôt laissée à la discrétion des gouvernements provinciaux. De plus, aucune clause ne couvrait les médicaments administrés hors d'un hôpital, ou les soins fournis à domicile, domaines qui sont devenus, en partie à cause des progrès technologiques, des éléments importants de l'arsenal de la médecine moderne.

En combinant des coupures budgétaires massives à une « défense » bornée de la loi canadienne sur la santé, c'est-à-dire le refus du moindre élargissement de sa portée, les libéraux font en sorte que le système public de santé se retrouve incapable de faire face aux besoins croissants et variés de la population canadienne. La conséquence inévitable est de permettre à la médecine privée à but lucratif d'entrer dans le système, ne serait-ce que par la porte arrière.

Franc-parler du National Post

Une analyse du débat sur la santé ne serait pas complète sans considérer la façon dont il est vu par les médias officiels. N'étant pas impliqués dans la course aux votes, les grands empires médiatiques de la grande entreprise n'ont pas toujours besoin de cacher les vues de ceux pour qui ils parlent, et ils peuvent parfois, pour leurs propres raisons, se montrer très ouverts à ce sujet.

Accueillant l'appel du co-président de l'Alliance canadienne Jason Kenney pour un nombre accru de cliniques privées, le Globe & Mail, porte-parole traditionnel de l'élite financière canadienne, avait ceci à dire : « Au moins la question a été propulsée au premier plan de la campagne. Les Canadiens veulent une meilleure idée de qui ferait quoi au système surchargé duquel nous dépendons. »

Une évaluation plus candide, voire brutalement réaliste, du débat sur la santé a été fournie par le National Post. Celui-ci a préconisé un « leadership politique prêt à dire ouvertement ce que messieurs Chrétien, Day et Clark reconnaissent par leurs actions mais nient dans leurs discours, à savoir que le système de santé à guichet unique est une fraude utopique, et que sa sclérose va empirer tant et aussi longtemps qu'elle n'est pas traitée avec imagination par une dose judicieuse de médecine privée. »

Comme toujours, ce promoteur fanatique du capitalisme du libre-marché et organe officieux d'une Alliance canadienne qui penche vers l'extrême-droite, n'explique nulle part pourquoi la médecine privée à but lucratif serait un modèle supérieur. Il ne prend pas la peine de considérer la simple question suivante : pourquoi les États-Unis, qui ont le système médical le plus privatisé au monde, dépensent près de deux fois plus par habitant que le Canada en soins de santé, tout en laissant 40 millions d'Américains sans la moindre assurance-maladie?

Et ne faudrait-il pas tirer certaines leçons de l'expérience de l'Australie, qui a permis un secteur privé complet de santé aux côtés du système public, sans diminuer la pression sur ce dernier (les listes d'attente dans les hôpitaux publics ont augmenté), ni faire baisser les coûts (le gouvernement fédéral australien doit subventionner l'industrie privée de la santé)?

Dans le débat sur la santé qui domine présentement la campagne électorale, les travailleurs chercheraient en vain un parti prêt à dire la vérité sur les véritables positions de Jean Chrétien, Stockwell Day et cie, et prêt à opposer à leur plateforme commune de coupures de taxes et de privatisation de la santé un programme de financement massif et de large expansion du système public d'assurance-maladie.

Un tel programme ne pourrait être appliqué que dans le cadre d'une restructuration complète de la vie économique par les travailleurs, ayant pour objectif de faire passer les besoins de la majorité avant les profits d'une petite minorité. La construction d'un parti politique de la classe ouvrière apte à diriger une telle lutte reste la tâche urgente à l'ordre du jour.

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