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Les libéraux gardent le pouvoir en exploitant l'opposition populaire à la droite

De grands conflits de classes sont à prévoir

par Keith Jones
29 novembre 2000

Les résultats de l'élection fédérale du 27 novembre laissent présager une intensification importante des conflits entre les classes. Alors que la grande entreprise fait pression pour un virage radical vers la droite, la majorité des Canadiens, et surtout de la classe ouvrière, s'oppose au démantèlement de ce qui reste des services sociaux publics, à l'élimination de toute réglementation contraignant la grande entreprise et à ce que soit limiter le droit à l'avortement et d'autres droits démocratiques.

Ce lundi, les libéraux ont gagné 173 des 301 sièges de la Chambre de communes et presque 41 pour cent du vote populaire, formant un gouvernement majoritaire pour une troisième fois consécutive, en se présentant comme une forteresse contre l'Alliance canadienne, un parti de l'extrême-droite. Utilisant l'Alliance comme faire-valoir, les libéraux ont déclaré défendre la tolérance et vouloir préserver le système de santé public universel. Ils ont aussi dénoncé l'Alliance pour proposer un taux de taxation unique ce qui profiterait surtout aux 10 pour cent des Canadiens les plus riches et parce qu'elle défend le point de vue que le gouvernement ne devrait pas empêcher que la société soit encore plus à la merci des forces du marché.

La campagne libérale fut démagogique et hypocrite. Au cours de son premier mandat, de 1993 à 1997, le gouvernement libéral de Jean Chrétien a imposé les plus grandes compressions budgétaires des programmes sociaux de l'histoire canadienne. Et quatre jours avant le déclenchement des élections, les libéraux déposaient un mini-budget offrant des diminutions d'impôts, reprenant des pans du programme de l'Alliance et se méritant l'accueil enthousiaste de la grande entreprise.

Dans des conditions où les syndicats et les sociaux-démocrates, le Nouveau parti démocratique, ont saboté la résistance de la classe ouvrière contre l'offensive de la grande entreprise et ont imposé l'élimination des emplois, les diminutions de salaires et les coupes dans les programmes sociaux, la majorité des travailleurs ont conclu, bien que cela soit manifestement incorrect, qu'un vote pour les libéraux était la meilleure façon de s'opposer à un virage encore plus marqué vers la droite.

Les sondeurs d'opinion publique, les médias et même les représentants du Parti libéral ont admis que le vote libéral était surtout négatif, l'appui aux libéraux manifestant plus un vote d'opposition à l'Alliance qu'un appui aux réalisations du gouvernement Chrétien. Au Québec, où l'Alliance a peu d'appui, les libéraux ont aussi pu profité d'une baisse importante du taux de vote, une baisse de 10 pour cent par rapport aux élections de 1997. Cette diminution, provenant surtout du vote jeune, est principalement due à la désaffection envers le gouvernement provincial du Parti québécois, et l'impopularité croissante de l'option séparatiste avancée par ce dernier, ainsi que par son jumeau fédéral, le Bloc québécois.

Un dur coup pour l'Alliance

Les résultats électoraux furent un dur coup pour l'Alliance. Même si elle demeure l'Opposition officielle, l'Alliance a échoué à atteindre un seul de ses deux principaux objectifs.

Le Parti réformiste, un parti basé dans l'Ouest canadien a réécrit son programme et est devenu l'Alliance canadienne dans l'unique but d'effectuer une percée électorale en Ontario, la province la plus cosmopolitaine, la plus industrialisée et la plus populeuse. Mais, lundi dernier, l'Alliance n'a réussi qu'à gagner 2 des 103 sièges que compte l'Ontario, perdant même le comté qu'elle y détenait déjà. De plus, la part du vote populaire de l'Alliance en Ontario a augmenté t de 5 pour cent seulemenpar rapport au vote réformiste de 1997 pour atteindre 23,6 pour cent.

Cette défaite aura pour conséquence d'intensifier les antagonismes régionaux au sein de l'Alliance. Elle va aussi soulever des questionnements sur le choix de Stockwell Day comme chef du parti, lui qui se présentait comme le meilleur candidat « pour gagner l'Ontario ». Au début de la campagne électorale, Day envisageait gagner 40 sièges en Ontario. « Les vétérans de l'Ouest canadien du Parti réformiste, notait un journaliste, vont considérer que les immenses sacrifices pour gagner l'Ontario se sont soldés dans le rejet. » Un autre disait « qu'une ronde d'introspection angoissante » serait inévitable.

L'Alliance a aussi failli quant à son deuxième objectif : l'élimination du parti traditionnel de la droite au fédéral, le Parti conservateur, même si ce dernier est plus mort que vif. Dans l'année qui a précédé l'élection, on a vu l'aile droite des conservateurs se joindre à l'Alliance, alors que les chèques que le monde des affaires écrivait au nom des conservateurs se retrouvaient plutôt dans la boîte aux lettres des alliancistes. Et lorsque tous les députés conservateurs du Québec, à l'exception d'un seul, sont passés dans le camp des libéraux, les conservateurs fédéraux n'étaient plus qu'un petit groupe basé dans les provinces de l'Atlantique qui ne compte pas pour plus de 10 pour cent de la population canadienne. Mais malgré les meilleurs efforts de l'Alliance, les conservateurs ont pu obtenir 12 sièges, le nombre minimum pour être reconnu comme un parti par le Parlement. Ajoutant l'injure à l'insulte, les conservateurs ont réussi à faire élire leur chef, Joe Clark, dans un comté de Calgary en Alberta, le bastion de l'Alliance.

L'Alliance a accru son nombre de sièges, mais quand même de façon moins importante que les libéraux. Alors qu'en 1997, le Parti réformiste avait gagné 60 sièges et 19,4 pour cent du vote populaire, l'Alliance a réussi à prendre 66 sièges et 25,5 pour cent du vote populaire.

Stockwell Day, lors de son discours de défaite le soir des élections, a déclaré que l'élection venait confirmer que l'Alliance représentait l'alternative au gouvernement des libéraux, mais n'a pu cacher sa déception. L'Alliance ne s'est pas rapproché beaucoup du pouvoir avec seulement deux de ses députés hors des quatre provinces de l'Ouest.

Le réalignement politique de la politique canadienne nous apparaît ainsi dans sa véritable lumière. Ce réalignement n'est pas le fruit d'un réveil politique de grandes sections de la population, même pas d'un type populiste de droite comme celui qui avait fait du Parti réformiste une force politique incontournable au début des 1990. La grande entreprise et les grands médias ont maintenant viré carrément à droite et ont utilisé l'Alliance comme un moyen de demander l'intensification de l'assaut contre la classe ouvrière. Dans ce but, ils ont ouvertement courtisé la droite religieuse et les autres forces réactionnaires dont ils tenaient à se démarquer il y a peu encore. Au même moment, c'est avec un sentiment diffus de colère et d'aversion que la grande majorité des travailleurs ont pris connaissance du programme de l'Alliance.

Et voilà Paul Martin

Durant la campagne électorale, comme l'opposition populaire à l'Alliance se confirmait et que l'inquiétude grandissait quant à ses liens avec la droite religieuse, les sections les plus puissantes de la grande entreprise sont revenues sur leur appui à l'Alliance. Elles furent encouragées en cela, il faut le dire, par le mini-budget des libéraux, élaboré expressément pour démontrer aux conseils d'administration que le Parti libéral pouvait défendre leurs intérêts. Et les libéraux ont pu contenir l'opposition populaire aux mesures qu'on y trouvait en dénonçant l'Alliance pour être encore plus à droite.

Les maladresses de l'Alliance lors de la campagne, sa tentative boiteuse de se distancier du « conservatisme social » qui émaille son programme, ainsi que son échec à pouvoir défendre les changements radicaux chers à la bourgeoisie, comme la privatisation du système de santé, ont aussi pesé dans la balance. L'élite dirigeante a douté de plus en plus de la capacité de l'Alliance à façonner l'opinion publique pour que son programme de droite pro-affaire puisse être mis en oeuvre et à garder la droite religieuse sous contrôle.

Le Globe and Mail, la voix traditionnelle de l'élite du monde des affaires au Canada, a appelé pour un gouvernement libéral majoritaire. Bien qu'il ait louangé le parti de Stockwell Day pour avoir « la plupart des bons instincts », il n'a pas manqué de critiquer l'Alliance pour vouloir affaiblir le gouvernement fédéral au profit des provinces, particulièrement de celles de l'Ouest canadien. « Mais surtout, la campagne a semé les doutes que l'Alliance possède la subtilité intellectuelle nécessaire pour manoeuvrer les leviers d'un pays complexe dans des temps complexes. »

Même le National Post de Conrad Black, qui fait office d'agence de presse pour l'Alliance canadienne, a admis vers la fin de la campagne que l'Alliance « n'avait pas démontrée qu'elle était prête à former le gouvernement. » Le National Post a appelé pour un « appui fort » pour l'Alliance, de façon à ne donner qu'un gouvernement minoritaire aux libéraux, ce qui permettrait « une opposition forte, capable de grandes pressions... afin de faire prendre un cours plus agressif à l'économie canadienne. »

Que les sections les plus importantes de la grande entreprise soient arrivées à la conclusion qu'un gouvernement de réaction ouverte soit un risque trop grand ne signifie en rien qu'elles aient diminué leur pression pour augmenter l'assaut contre la position sociale de la classe ouvrière.

L'Opposition officielle allianciste continuera, bien entendu, à pousser les libéraux vers la droite. Mais les grands médias ont aussi fait savoir qu'ils feront campagne pour que les ambitions du ministre des Finances, Paul Martin, puissent se réaliser.

Le Globe, le National Post et plusieurs autres quotidiens importants ont déjà dit, et même exigé, qu'il fallait que Chrétien parte rapidement pour être remplacé par Martin. Le Globe écrivait dans son éditorial post-électoral : « même si M.Chrétien se réjouit de sa troisième majorité consécutive, il devrait se préparer mentalement pour la difficile mais inévitable prochaine étape : passer le flambeau ... nous espérons qu'il ira à Paul Martin. »

Lui-même un homme d'affaires multimillionnaire, Martin a su se gagner l'appui de ses pairs, tout d'abord en se chargeant de réduire les dépenses publiques au nom de la lutte au déficit, et aujourd'hui en devenant le plus ardent défenseur de diminution d'impôt du gouvernement. Selon des articles parus récemment, Martin et ses aides auraient écrit le mini-budget sans que le bureau du premier ministre ne sans mêle.

Et si Chrétien devait résister, la presse continuera à faire sa une avec des allégations qu'il a outrepassé ses pouvoirs en demandant au président d'une banque fédérale d'accorder un prêt au propriétaire d'une auberge dont il avait été le copropriétaire et d'autres scandales. Le World Socialist Web Site n'a aucune illusion sur Chrétien et sur le patronage des libéraux, mais le scandale fait partie de l'arsenal de la grande entreprise et des médias pour changer les représentants politiques ou les programmes. Il s'agit de faire le plus de fumée possible et ainsi d'empêcher que se tienne un débat public sur les conséquences réactionnaires des changements proposés.

Les libéraux veulent représenter la grande entreprise

Les résultats de l'élection fédérale laissent entrevoir une éruption de la lutte des classes, parce que d'un côté les libéraux vont mettre en oeuvre le programme de la droite de la grande entreprise, qui ne diminuera pas les pressions pour qu'il en soit ainsi, et que de l'autre, ce programme est précisément celui qu'a rejeté la plus grande partie de l'électorat en votant contre l'Alliance.

Déjà plus d'une fois les libéraux ont gagné les élections en faisant campagne contre la droite, pour ensuite adopter son programme. Par exemple, en 1974, ils ont gagné une majorité au Parlement en s'opposant au contrôle des salaires, pour dès l'année suivante l'imposer pour une durée de trois ans ; ou en 1993, lorsque Chrétien a critiqué le gouvernement conservateur pour être obsédé par la réduction du déficit, et peu après avoir pris le pouvoir, a entrepris des compressions des dépenses sociales qui dépassaient de beaucoup celles des conservateurs de Mulroney.

En l'an 2000, la seule différence fut que les libéraux ont commencé à mettre le programme économique de l'Alliance en oeuvre dans leur mini-budget avant même que la campagne électorale ne débute. Mais grâce à l'expansion de l'économie et les projections optimistes de surplus budgétaires colossaux pour le gouvernement fédéral, les libéraux ont pu continuer à faire croire qu'ils pouvaient à la fois diminuer les impôts pour les riches et accroître les dépenses pour les programmes sociaux et les services publics.

Les signes de plus en plus clairs qu'un ralentissement économique serait éminent sont une des raisons pour lesquelles les libéraux ont choisi de se présenter devant l'électorat après seulement trois ans et demi, au lieu d'attendre les quatre ans traditionnels. Lors du prochain ralentissement économique, les masses canadiennes seront choquées de voir que les 100 milliards de diminutions en impôts au cours des cinq prochaines années et les dizaines de milliards supplémentaires qui sont allés au paiement de la dette auront entraîné un trou fiscal et des nouvelles demandes pour des coupes massives dans les services sociaux publics, des privatisations et l'élimination des réglementations régissant la grande entreprise.

La classe ouvrière entrera ainsi en conflit ouvert avec le régime libéral et sera poussée à prendre la voie de la lutte politique. La classe ouvrière devra objectivement avancer son propre programme pour réorganiser radicalement la vie économique pour que ce soit les propriétaires des grandes entreprises qui paient pour leur crise, pas les travailleurs.

Les syndicats et les sociaux-démocrates du NPD ont démontré fois après fois qu'ils étaient parfaitement imbriqués dans l'ordre social existant et qu'ils étaient opposés à la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière. Un parti des travailleurs basé sur un programme internationaliste et socialiste ne pourra être construit que dans une lutte contre eux.

Le NPD n'a gagné que 8,5 pour cent du vote populaire, une diminution de 2,5 pour cent par rapport à 1997, et a pris 13 sièges, soit 8 de moins qu'à la dernière élection. Les grands médias ont fait de leur mieux pour marginaliser le NPD et son appel pour augmenter les dépenses publiques, mais cela ne pèse pas lourd pour expliquer la dégringolade du NPD au cours depuis une décennie. Dans les provinces où le NPD a pris le pouvoir, en Ontario, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, il a entrepris des attaques importantes contre la classe ouvrière. Même si le NPD fédéral a déploré les mesures du mini-budget, les gouvernements néo-démocrates de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan l'ont applaudi. Et quant aux appels du NPD fédéral pour que le gouvernement dépense plus pour les programmes sociaux, ils sont entièrement basés sur les prévisions que l'expansion économique actuelle continuera.

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