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La campagne électorale canadienne

le Parti libéral offre des diminutions de taxes aux riches et de la démagogie populiste aux travailleurs

par Keith Jones
27 octobre 2000

Le parti au pouvoir au Canada, le Parti libéral, a déposé un "mini-budget" ce 18 octobre, se vantant d'offrir les plus grandes diminutions d'impôts de l'histoire et qui selon la quasi-unanimité des médias a été construit de la plate-forme électorale de l'Alliance canadienne. Ensuite, quatre jours plus tard, le premier ministre Jean Chrétien a lancé la campagne électorale des libéraux pour l'élection qui aura lieu le 27 novembre avec des dénonciations populistes de l'Alliance.

Dans son premier discours de la campagne, Chrétien a attaqué l'Alliance pour se préoccuper « seulement des forces du marché » et pour s'opposer au mini-budget des libéraux sur la base qu'il ne diminuait pas suffisamment les impôts des millionnaires. Le ministre des Finances, Paul Martin, lui-même un dirigeant de grande entreprise avant de se lancer en politique il y huit ans, a quant à lui décrit l'Alliance comme un parti d'extrémistes dangereux dont la proposition pour un taux de taxation unique ne profiterait « qu'à quelques privilégiés » aux dépens de la classe moyenne. Les propositions pour le budget par l'Alliance, a dit Martin, « ne sont pas seulement en dehors de ce qui est la norme de la société canadienne », mais elles sont opposées « à la façon dont la société démocratique a évolué... La classe moyenne est la colonne vertébrale de tout pays. »

Les libéraux comblent les grandes entreprises

Le mini-budget libéral a accéléré et grandement bonifié le programme d'élimination sur cinq années de 58 milliards de dollars d'impôts sur le revenu, sur les gains en capitaux et sur les sociétés annoncé dans le budget de février dernier. Les recettes fiscales seront diminuées d'un 42 milliards supplémentaire, doublant presque la valeur totale des réductions d'impôts qui atteindront maintenant 100 milliards, et plusieurs de leurs plus importantes mesures ont été seront mises en oeuvre plus tôt, débutant dès le début de l'an 2001.

Chrétien et Martin ont dénoncé la proposition de l'Alliance de remplacer l'impôt progressif par un taux de taxation unique. Mais pourtant, leurs propres diminutions d'impôts ne profitent presque exclusivement qu'aux biens nantis, la plus grande part, et de beaucoup, des gains en termes réels revenants aux riches et aux ultra riches, qui est en fait la même couche qui s'est approprié de la croissance de la richesse depuis une décennie. Alors que les libéraux diminuent le taux de taxation sur le premier 31 000 dollars de revenus de seulement 1 point, ils coupent le taux de taxation sur les revenus compris entre 61 000 et 100 000 dollars du triple, soit 3 pour cent.

De plus, les libéraux ont aboli la surtaxe de 5 pour cent sur les revenus de plus de 85 000 dollars et augmenté la part des gains en capitaux exempts d'impôts à 50 pour cent. Les deux tiers de la somme totale de ces dernières diminutions d'impôts iront à seulement 2 pour cent des contribuables les plus aisés. Dès le 1er janvier, les PDG et les capitalistes canadiens ne paieront plus en fait que 14,5 pour cent d'impôts sur les revenus provenant de la vente d'actions, de biens immobiliers ou d'autres investissements, alors que les travailleurs au salaire minimum seront taxés au taux de 16 pour cent sur leurs salaires. (Pour une analyse plus détaillée, voir Le « mini-budget » canadien permet aux riches de s'approprier une plus grande part de la richesse sociale)

En 1997, les libéraux avaient promis pour se faire réélire d'attribuer la moitié de tout surplus budgétaire gouvernemental au réinvestissement dans les services publics sociaux, et l'autre moitié aux diminutions d'impôts et au repaiement de la dette nationale. Mais sous pression de la grande entreprise, les libéraux ont oublié les programmes sociaux et consacré le plus gros de leur « dividende fiscal » aux diminutions d'impôts et au repaiement de la dette. À lui seul, le programme libéral de diminutions d'impôts s'est vu attribuer 100 des 120 milliards de surplus prévus pour les cinq prochaines années.

Le mini-budget de la semaine dernière offrait aussi quelques changements mineurs destinés à aider les familles à faibles revenus, mais aucun argent neuf pour les programmes sociaux. La crise du logement, la pauvreté croissante et les promesses passées des libéraux eux-mêmes d'offrir un programme de soins au foyer, une assurance-médicaments et des garderies ont été complètement ignorées.

Les libéraux, toutefois, ont réussi à trouver un 10 milliards de dollars supplémentaire à consacrer au repaiement de la dette nationale de 564 milliards de dollars. Ceci signifie qu'au cours des deux dernières années budgétaires, le gouvernement de Chrétien a dépensé 22,3 milliards de dollars pour réduire la dette (en plus de 40 milliards par année en intérêt). En comparaison, les libéraux, après des années de compressions draconiennes ont accepté d'augmenter les paiements de transferts du fédéral aux provinces pour aider au financement du système de soin public et d'autres programmes sociaux d'un grand total de 22,3 milliards pour les cinq prochaines années.

Le mini-budget était tellement près des demandes de la grande entreprise canadienne et de la droite politique en ce qui a trait à la politique fiscale que leurs porte-parole ont été pris au dépourvu. "Les libéraux ont déposé un budget allianciste" a proclamé le National Post de Conrad Black, le quotidien qui plus que tout autre s'est fait le défenseur de l'Alliance et de "la colère contre les taxes".

Thomas D'Aquino, président du Conseil canadien des chefs d'entreprise (Business Council on National Issues), une organisation qui a pour membres les dirigeants des 150 plus importantes entreprises canadiennes, a dit qu'il n'avait jamais été aussi enthousiaste pour un budget libéral. « Nous avons fait pression sur les libéraux et nous avons embauché plusieurs agents de presse précisément dans ce but... Aujourd'hui, ils nous ont répondu et nous ont donné ce qui paraissait impossible il y a six mois seulement... Les partis [le Parti libéral et l'Alliance] sont maintenant très près. » L'idéologue de droite, Terrence Corcoran, a dit porté par l'enthousiasme : « Les règles du jeu de la politique canadienne ont considérablement changé... Les réductions d'impôts à grande échelle ont maintenant acquis une respectabilité au niveau national, et il n'y a pas de retour en arrière. »

Mais quelques jours plus tard, les médias s'étaient ressaisis. On peut résumer ainsi le consensus auquel était arrivé l'élite : « Maintenant que les libéraux ont mis en oeuvre nos demandes pour des diminutions d'impôts radicales, le temps est venu de hausser la barre. » Soudainement, les éditorialistes et les chroniqueurs ont demandé aux libéraux de faire au moins mieux que la promesse de l'Alliance de diminuer la dette nationale de 6 milliards de dollars par année et les ont avertis de ne pas tenter d'améliorer leurs chances de se faire réélire en annonçant même de modestes hausses de dépenses des dépenses publiques. Ce qu'a écrit Edward Greenspon, chroniqueur politique au Globe and Mail, offre un exemple typique de ce qu'on pouvait lire un peu partout. « De mauvaises décisions quant aux dépenses dans la prochaine phase de la campagne des libéraux pourraient toujours venir contrecarrer le message conservateur [du budget]. »

Pendant ce temps, l'Alliance s'est fait demander par les apôtres du libre marché et les sections les plus rapaces de la grande entreprise de montrer de quel bois elle était faite et de continuer à demander des diminutions d'impôts encore plus importantes. « Quant à savoir si Stockwell Day [le chef de l'Alliance] peut trouver suffisamment de courage politique pour défendre les riches... et dénoncer la politique de guerre de classe des libéraux, écrivait le chroniqueur du National Post, sera le premier grand test de ses capacités de meneur. »

Construire une nouvelle force de droite

Dans les jours qui ont suivi le mini-budget, les grands médias et les autres porte-parole de l'establishment déclaraient que les libéraux avaient finalement cédé au sentiment populaire. Ce n'est que foutaise. Si on fait exception des conseils d'administration des grandes entreprises et des banlieues les plus cossues, « la colère contre les taxes » n'a reçu qu'un accueil mitigé, malgré le fait que depuis une décennie les travailleurs ont vu leurs impôts augmenter alors que la qualité des services publics s'est détériorée sérieusement.

Selon les sondages des grands médias eux-mêmes, la crise du système public de santé est la plus importante préoccupation des électeurs et ceux-ci préfèrent un réinvestissement dans l'assurance-maladie, l'éducation et les autres services publics aux diminutions d'impôts. Et lorsque les travailleurs ont contesté l'assaut contre les services publics, même si c'était plutôt d'une façon plutôt élémentaire et très peu articulée politiquement, comme lors de la grève des professeurs en Ontario en 1997 ou la grève des infirmières en 1999, les gouvernements pro-entreprises soi-disant populaires ont montré leur grand isolement politique.

Mais parce que la classe ouvrière a été trahie et abandonnée par ses organisations traditionnelles, les syndicats et les sociaux-démocrates du Nouveau parti démocratique (NPD), la grande entreprise a toute liberté pour pousser pour des politiques de plus en plus à droite.

Dans d'autres articles, le World Socialist Web Site a analysé la signification de la transformation du Parti réformiste, un parti de droite populiste basé dans l'Ouest canadien, en l'Alliance canadienne ainsi que de l'accueil qu'a reçu le nouveau parti de la part de sections importantes de la bourgeoisie et l'aile la plus à droite du Parti conservateur. Les travailleurs doivent se méfier lorsque les médias affirment que l'Alliance se déplace vers le centre de l'échiquier politique et devient un « parti traditionnel ».

Il tout à fait vrai que l'Alliance ne promet plus de mettre un taux de taxation unique de 17 pour cent au cours de son premier mandat. (Le programme électoral de l'Alliance annonce que les revenus dépassant 100 000 dollars seront temporairement taxés à 25 pour cent.) Et il vrai aussi que le chef de l'Alliance, Stockwell Day, après avoir courtisé la droite religieuse pour gagner la direction du parti, ne fait plus mention de retirer le droit à l'avortement ou à restaurer la peine de mort.

Mais l'Alliance a présenté le programme le plus à droite jamais vu dans une élection canadienne de la part d'un prétendant sérieux au pouvoir. S'il formait le gouvernement, l'Alliance a promis une nouvelle ronde de compressions budgétaires importantes ; de privatiser des sociétés de la Couronne (des entreprises publiques) ; de réduire encore les prestations d'assurance-chômage et d'éliminer tous les programmes de soutien à l'emploi; de considérablement réduire les allocations versées aux autochtones, une des sections les plus pauvres de la population ; d'augmenter substantiellement les budgets de l'armée, de la police et des cours; de financer les écoles religieuses et les écoles privées ; de retirer au gouvernement fédéral tout pouvoir d'empêcher la privatisation des soins ; et finalement de faciliter les campagnes de la droite religieuse contre l'avortement.

Si l'Alliance, un amalgame volatil et imprévisible de conservateurs sociaux, d'idéologues du libre marché, de sections durement éprouvées de la petite bourgeoisie et de sections de la grande entreprise, peut être décrite autrement que comme le meilleur exemple de ce qu'est la réaction, ce n'est que parce que la politique officielle est elle-même allée tellement à droite depuis deux décennies.

La réponse des libéraux au défi de l'Alliance

Au cours des élections de 1993 et 1997, les libéraux ont pu bénéficier de la soi-disant « division du vote de la droite » entre le jeune Parti réformiste et le Parti conservateur, l'autre parti traditionnel des grandes entreprises. Jusqu'à tout récemment, il était admis qu'il était dans l'intérêt des libéraux que cet état de fait continue. Mais depuis la formation de l'Alliance, et l'arrivée de Day à sa tête, il est évident que des sections puissantes de l'élite entrepreneuriale du Canada, qui avaient jusqu'alors hésité à appuyer le Parti réformiste de Preston Manning à cause de ses prétentions populistes et de son chauvinisme antiquébécois et parce qu'il était trop associé aux intérêts particuliers de l'Ouest canadien, étaient maintenant prêtes à appuyer l'Alliance. Les libéraux ont répondu à ce réalignement politique en adoptant une nouvelle tactique : il fallait choisir entre deux alternatives supposément aussi différentes que le noir et le blanc, c'est-à-dire les libéraux et les alliancistes.

Les libéraux croient qu'en faisant appel à l'anxiété de la population par rapport au programme socioéconomique de droite de l'Alliance, et à son association avec la droite religieuse, ils pourraient se gagner un appui populaire, y compris les électeurs qui votent traditionnellement pour le NPD ou les conservateurs. Mais leur but n'est pas simplement d'attirer des votes. Plutôt, en gagnant ces votes au moyen d'une démagogie populiste, tout en mettant en oeuvre l'essentiel des politiques fiscales de l'Alliance avec leur mini-budget, les libéraux cherchent à convaincre la grande entreprise et aux grands médias qu'ils sont toujours le meilleur véhicule politique pour défendre leurs intérêts.

Un vieil adage dit que le Parti libéral du Canada fait campagne à gauche et gouverne à droite. Il est une manifestation du fait que le Parti libéral, au pouvoir pour la plus grande partie du siècle précédent, a une longue tradition de manipulation de sentiments populistes et anti-multinationales pour finalement mieux défendre les intérêts à long terme du capital. En fait, Chrétien et Martin défende l'idée qu'un gouvernement allianciste irait à l'encontre des intérêts de la bourgeoisie en imposant de façon trop crue et trop dure les politiques de la grande entreprise et en essayant d'accommoder la droite religieuse. Les libéraux prétendent mieux défendre les intérêts du capital en exploitant ce qui reste d'illusion pour le libéralisme, en utilisant leurs bonnes relations avec les syndicats et en utilisant l'Alliance comme faire-valoir de la droite.

Les libéraux font aussi appel aux inquiétudes de l'élite dirigeante que les plans de l'Alliance d'affaiblir le pouvoir central dans le but de réduire à néant les programmes sociaux et de donner plus de pouvoir à la bourgeoisie de l'Ouest du Canada, pourrait tellement réduire l'État fédéral qu'il ne pourrait en fait plus défendre les intérêts des sections les plus puissantes du capital canadien, en d'autres mots défendre ces « intérêts nationaux » contre ses compétiteurs étrangers et ses rivaux régionaux plus faibles.

La classe ouvrière sans voix politique

La classe ouvrière n'a en réalité aucune voix politique dans les élections actuelles.

Au Québec, les syndicats se sont ligués derrière le Bloc québécois, un parti séparatiste. Le BQ lance bien quelques phrases populistes pour dénoncer les compressions des programmes sociaux par les libéraux. Mais le gouvernement provincial québécois, où le Parti québécois est au pouvoir, très lié au BQ, a une évolution assez semblable à celle des libéraux de Chrétien. Après avoir fait de l'équilibre budgétaire par de brutales compressions dans le secteur social l'axe de ses politiques socioéconomiques, le PQ se tournait vers la diminution des impôts une fois l'équilibre atteint.

Le NPD encore une fois lutte pour sa survie. Son objectif principal, comme en 1993 et en 1997, est de gagner suffisamment de sièges pour être reconnu comme un parti politique au Parlement. Pendant des dizaines d'années, le NPD fut continuellement le troisième parti de la politique canadienne. Il était utilisé par la bureaucratie syndicale pour faire avorter tout mouvement pour une véritable indépendance politique de la classe ouvrière et pour faire pression sur les partis de la grande entreprise, surtout les libéraux, pour qu'ils entreprennent des réformes. À la fin des 1980, alors que la bourgeoisie intensifiait sa campagne pour mettre un terme aux concessions accordées aux travailleurs depuis la fin de la Seconde Guerre, il y eut une montée de l'appui au NPD. Mais aussitôt qu'il eut le pouvoir dans le coeur industriel du Canada, l'Ontario, il renia alors son modeste programme de réformes et entra en collision frontale avec la classe ouvrière.

Le président des Travailleurs canadiens de l'auto, Buzz Hargrove, qui est présentement en pleine dispute bureaucratique avec le Congrès du travail du Canada, a accusé le NPD de se tourner encore plus vers la droite pour accommoder le programme de diminution des impôts des grandes entreprises canadiennes. « Selon moi, le NPD va subir toute une raclée dans ces élections », a-t-il dit quelques jours avant que les élections débutent officiellement. « Je crois que notre parti n'a jamais eu de meilleures occasions qu'aujourd'hui. Il y a tellement d'espace à gauche,... tant de gens à la recherche de solutions, mais nous essayons d'être comme les autres, ces partis avec une image plus douce et plus gentille. » Pourtant, Hargrove a lui aussi participé à la suppression par la bureaucratie syndicale de la résistance des travailleurs au gouvernement ontarien du Parti conservateur, et lors de la dernière élection provinciale en Ontario, a appelé à un « vote stratégique » pour les libéraux.

Le tournant important de la bourgeoisie canadienne vers la droite, tel qu'il se manifeste dans le programme de diminutions d'impôts des libéraux et de l'Alliance, ainsi que la collusion et l'impuissance des syndicats et du NPD montre l'urgence pour les travailleurs de trouver un nouvel axe politique, la lutte pour construire un parti ouvrier révolutionnaire de masse dans le but de lutter pour un programme socialiste et internationaliste.

Voir aussi:
Le « mini-budget » canadien permet aux riches de s'approprier une plus grande part de la richesse sociale 27 octobre 2000


 

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