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Isolement d'Aristide par les États-Unis : La bourgeoisie haïtienne nourrit des espoirs en Bush

Par Jacques Richard et Bill Vann
Le 9 janvier 2001

La décision de la Cour suprême des États-Unis accordant la Maison blanche à George W. Bush et au Parti républicain a été salué avec une allégresse déchaînée dans au moins un endroit au monde. À Port-au-Prince en effet, les résidents des quartiers aisés surplombant la capitale haïtienne où la pauvreté est endémique, sont descendus dans la rue pour démontrer leur enthousiasme suite à l'annonce de cette décision.

Ce geste de la Cour suprême est survenu quelques semaines seulement après que Jean-Bertrand Aristide, l'ancien prêtre populiste et président haïtien, ait été reporté au pouvoir sans rencontrer la moindre opposition sérieuse. Lors des élections législatives tenues six mois plut tôt, le parti Fanmi Lavalas d'Aristide a remporté 28 des 29 sièges du sénat haïtien et 80 p. 100 des sièges de la Chambre des députés.

L'opposition de droite haïtienne a alors prétendu qu'il y avait eu fraude lors de ces premières élections pour ensuite boycotter le vote présidentiel du 26 novembre. Or, ces deux élections n'ont fait que démontrer que l'alliance politique réunissant les anciens partisans de la dictature de Duvalier, les anciens militaires putschistes et d'anciens alliés politiques d'Aristide ne jouit d'aucun soutien à l'extérieur de la minuscule élite privilégie du pays. Selon les résultats officiels, Aristide, qui doit entrer en fonction le 7 février, a obtenu 92 p. 100 du vote.

Dans l'ensemble, l'élection parlementaire de mai dernier a été reconnue comme juste par les observateurs internationaux. Personne n'a pu présenter la moindre preuve crédible que des irrégularités commises auraient changé le résultat - contrairement aux élections présidentielles américaines. Malgré tout, une fois que le raz-de-marée du parti Fanmi Lavalas est apparut clairement, l'opposition de droite s'est mise à crier à la fraude, une accusation qui fut vite reprise par l'administration Clinton, sans parler du Parti républicain.

Suite au refus du gouvernement haïtien, dirigé par le président René Préval, un allié d'Aristide, de reprendre les élections pour les diverses courses au sénat contestées, les États-Unis, l'Organisation des États américains et l'Union européenne ont boycotté l'élection présidentielle en refusant d'envoyer des observateurs. Encore plus significatif, les États-Unis et l'Europe ont gelé pratiquement toutes formes d'aide économique à ce pays qui est le plus dépourvu des Caraïbes, soi-disant pour protester contre les présumées impropriétés électorales.

Dans une lettre envoyée à Aristide en décembre dernier, le président sortant Bill Clinton réprimandait le président élu d'Haïti. « Le président a parlé de la nécessité d'étapes tangibles en Haïti pour construire une société inclusive autour des objectifs de justice et de la règle de droit, déclarait un porte-parole de l'ambassade des États-Unis à Port-au-Prince. Paraphrasant Clinton, il ajoutait que « les États-Unis et la communauté internationale ont fait comprendre aux autorités haïtiennes que leur refus de corriger des irrégularités électorales constatées par tous remettait en question leur engagement envers la démocratie ». Les médias qui ont rapporté les dénonciations exprimées par le président des États-Unis n'ont pas cru bon de relever toute l'hypocrisie d'un tel sermon prononcé par un gouvernement dont l'appareil judiciaire vient tout juste de décider du sort des élections présidentielles aux États-Unis en interdisant tout simplement aux autorités de l'État de Floride de « corriger des irrégularités électorales constatées par tous ».

Les préoccupations feintes des États-Unis à propos de la « démocratie » haïtienne sont un phénomène pour le moins récent, compte tenu du fait que ce pays ont toujours été le principal souteneur des dictatures dirigées par François « Papa Doc » et Jean Claude « Bébé Doc » Duvalier. Pour imposer sa volonté, cette dynastie corrompue a dominé le pays pendant 30 ans sans tenir la moindre élection, et en faisant appel à la terreur débridée de sa police secrète redoutée, les tonton macoutes.

Aristide est un ancien prêtre catholique qui a critiqué la dictature Duvalier. Partisan de la théorie de la théologie de la libération, il s'est déjà présenté comme étant « socialiste ». Il a remporté les premières élections démocratiques d'Haïti en 1990. Sept mois plus tard, il était renversé par les militaires haïtiens et forcé de s'exiler. Ce n'est qu'en 1994 qu'il reprit brièvement le pouvoir suite à l'occupation militaire du pays par les États-Unis.

Tout comme lors de l'occupation, le véritable objectif que poursuit actuellement Washington, c'est de forger un accord de partage du pouvoir entre Aristide et la vieille élite politique duvaliériste pour maintenir la stabilité du pays et supprimer la lutte des classes. Les États-Unis et le Fonds monétaire international insistent pour que le prochain gouvernement Aristide applique des programmes d'ajustement structurels rigoureux afin de démanteler le peu de ce qui reste du secteur public et maximiser la rentabilité des zones de libre-échange haïtiennes. Ces politiques impliquent donc d'assurer un réservoir intarissable de main-d'uvre à bon marché et de garantir l'absence de grèves au moyen de forces de sécurité « professionnalisées ». C'est l'envoyé spécial des États-Unis, Anthony Lake, qui est allé expliquer les demandes de Washington dans la capitale haïtienne.

Reprenant à son compte les supposées préoccupations de l'administration Clinton en matière de « démocratie », le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a exprimé beaucoup plus clairement les craintes réelles des représentants des gouvernements et des banques des États-Unis et d'Europe. Dans son rapport à l'assemblée générale du mois dernier dans lequel la fermeture de la Mission Civile Internationale de l'ONU en Haïti était proposée, Annan prédisait que cette nation des Caraïbes allait connaître des convulsions politiques : « La crise électorale et politique haïtienne s'est aggravée. Elle polarise la classe politique et la société civile, met en péril ses relations internationales, sape une économie déjà en déclin et accroît le fardeau de la majorité appauvrie, déclare Annan dans son rapport. En l'absence de toute solution à cette crise, le mécontentement populaire semble progresser en réaction aux hausses des prix et à la progression de la pauvreté, ce qui pourrait entraîner une agitation encore plus grande ».

L'« agitation » que craint Annan, c'est la révolte populaire contre les conditions de vie intolérables auxquelles est confrontée la vaste majorité de la population d'Haïti - les travailleurs, les paysans et les pauvres. Deux Haïtiens sur trois sont en effet sans emploi, et le revenu per capita national n'est que de 250 $. Selon un rapport publié récemment par le Programme alimentaire mondial de l'ONU, parmi les 7,7 millions d'Haïtiens, 4,7 millions souffrent de « malnutrition aiguë ». Les conditions de vie des masses ne cessent de se détériorer. La valeur de la devise nationale, la gourde, est passée de 15 pour un dollar américain qu'elle était en 1996, à 24 pour un dollar actuellement.

Ces conditions sont le résultat de la domination et de l'exploitation exercées par les États-Unis tout au long de la majeure partie du XXe siècle, depuis que les Marines ont occupé pour la première fois le pays en 1914 et créé une force militaire locale qui a servit de charpente aux dictatures sanglantes qui ont suivies. Compte tenu des conditions désespérées des masses et du gouffre immense entre les riches et les pauvres, les appels à la « démocratie » et à la « réconciliation » sont grotesques. Ce que Washington exige dans les faits, c'est un régime qui défendra inconditionnellement les intérêts des États-Unis contre toute menace de révolte populaire dans ce pays.

Tout comme pendant son exil dans les années 1990 alors qu'il cherchait le soutien des États-Unis, Aristide tente de s'accommoder des pressions de Washington. Réagissant aux dénonciations de Clinton, il s'est engagé à inclure des membres de l'opposition de droite dans son gouvernement et à subordonner ses politiques économiques encore plus directement aux diktats des institutions financières internationales. Il a également écrit à Clinton qu'il créerait « un nouveau conseil provisoire crédible... en consultation avec des membres de l'opposition », et qu'il tiendrait de nouvelles élections au sénat là où l'opposition soutient qu'il y aurait eu des irrégularités. Finalement, le futur président haïtien a accepté que les navires de la Garde côtière des États-Unis patrouillent les eaux haïtiennes.

Tout laisse penser que le second gouvernement Aristide tentera de s'aligner sur la politique de Washington encore plus que le premier. Reclus derrière les murs d'un hôtel particulier pendant la présidence de Préval, l'ancien prêtre y a noué des liens serrés avec divers éléments corrompus de l'élite haïtienne, alors que ses rapports avec les masses appauvries sont devenus de plus en plus distants. L'enthousiasme populaire moindre pour Aristide s'est reflété dans le faible taux de participation des dernières élections. Bien que le gouvernement prétende que 60 p. 100 de la population soit allé voter, des observateurs de la Communauté des caraïbes (CARICOM) ont plutôt parlé d'un taux de participation inférieur à 20 p. 100.

Ces engagements pris par Aristide n'aideront aucunement à apaiser l'opposition haïtienne et les politiciens républicains qui s'apprêtent à entrer à Washington. Les deux groupes le dénoncent en effet comme étant « marxiste » et voient dans ses partisans une bande de voyous assoiffés de destruction. Le sénateur Jesse Helms, président républicain du comité sénatorial des relations étrangères, a qualifié l'élection d'Aristide de comédie. Conjointement avec le représentant républicain de la Floride, Porter J. Goss, président du comité de renseignement de la chambre des représentants, il a publié un communiqué affirmant que les « narcotraficants, les criminels et autres éléments antidémocratiques qui gravitent autour de Jean-Bertrand Aristide doivent subir tout le poids de la loi des États-Unis ». Cette déclaration se poursuit en exigeant la fin de « tout soutien direct au gouvernement haïtien, tel que stipulé dans les lois américaines actuelles, ainsi qu'une révision intégrale de la politique des États-Unis à l'égard d'Haïti ».

La direction républicaine s'est opposée fortement à l'intervention de 1994 pour restaurer le pouvoir d'Aristide à la présidence haïtienne. Sous l'administration Reagan, Washington a maintenu son soutien
à « Bébé Doc » Duvalier jusqu'en 1986, année où un avion de l'US Air Force fut dépêché à Port-au-Prince pour emmener le dictateur assiégé vers son exil luxueux sur la Riviera française. Par la suite, George Bush père tenta d'assembler un nouveau régime basé sur les militaires duvaliéristes.

En Haïti, l'opposition n'est aucunement intéressée à écouter les appels à la réconciliation lancés par Clinton et Aristide. Compte tenu de la situation économique désespérée qui sévit dans le pays, le contrôle du pouvoir d'État (qui permet de recueillir l'argent de protection des narcotraficants), est devenu l'une des rares sources d'enrichissement pour la soi-disant classe politique et par conséquent devenu l'objet de violentes luttes internes. Les politiciens de la droite haïtienne placent tous leurs espoirs dans l'adoption d'une politique anti-Artistide radicale par la nouvelle administration présidentielle américaine.

La semaine dernière, les leaders de l'opposition du groupe Convergence démocratique tenaient une assemblée de 800 supporters à Port-au-Prince pour annoncer leur intention de mettre sur pied un « gouvernement d'unité nationale ». « Nous voulons arriver à un consensus pour proposer un gouvernement provisoire à M. Aristide car nous ne reconnaissons pas sa légitimité », a déclaré Gérard Pierre-Charles, l'un des leaders de la coalition. Il a ajouté que le groupe attend ce que George W. Bush aura à dire à propos de la présidence d'Aristide uns fois rendu à Washington.

Incapable de recueillir le moindre soutien aux élections, la droite haïtienne attend l'inauguration à Washington car elle s'attend à ce que Bush, un homme qui a pris le pouvoir malgré qu'il ait perdu aux élections américaines dans les faits, déclare la victoire d'Aristide comme « illégale ». Jamais l'hypocrisie des États-Unis qui se targuent toujours de défendre la « démocratie » à l'étranger n'a été aussi clairement démontrée.

L'aboutissement logique des politiques combinées de l'opposition haïtienne et des Républicains à Washington sera un coup d'État militaire ou une autre invasion par les États-Unis afin d'instaurer une nouvelle dictature.


 

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