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Derrière le procès de Milosevic : les États-Unis, l'Europe et la tragédie des Balkans

par Chris Marsden et Barry Grey
4 juillet 2001

Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur l'ancien président yougoslave Slobodan Milosevic - le World Socialist Web Site ne fait pas partie des défenseurs de cet ancien apparatchik stalinien devenu nationaliste serbe et avocat de la restauration du capitalisme - les événements entourant sa capture et son transfert à La Haye tourne en farce les prétentions des gouvernements occidentaux qu'ils défendent les droits démocratiques et la loi dans les Balkans.

Plus d'un commentateur bourgeois a reconnu que l'ancien chef d'État a été pratiquement enlevé, et ce, dans le dos du président yougoslave Vojislav Kostunica et au mépris d'un jugement rendu quelques heures plus tôt par la Cour constitutionnelle de Yougoslavie qui suspendait l'ordre d'extradition contre Milosevic. Il fut livré au Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPI) à La Haye comme contrepartie d'une entente commerciale sordide entre les États-Unis et le premier ministre serbe Zoran Djindjic : Washington mettrait un terme à sa menace de boycotter la «conférence des donateurs» à Bruxelles et soutiendrait une aide de plus d'un milliard de dollars US à Belgrade en échange du transfert de Milosevic au TPI.

Le caractère ouvertement corrompu de cet échange a provoqué l'inquiétude chez une partie de la bourgeoisie européenne qui craint, et avec raison, que ce geste des Américains discréditera de façon irréversible le tribunal de La Haye et l'exposera en tant qu'instrument de la politique américaine aux Balkans. Le quotidien suisse Le Temps se plaignait : «Il n'est pas exagéré de dire que l'extradition de l'ancien dictateur a été le fait d'un accord d'affaire ... Peu importe celui qui est visé - et ceci d'autant plus qu'il est détesté- la loi est la loi, et ce geste n'était rien de moins qu'un coup de force qui contrevenait aux principes généralement en cours dans l'Ouest.» [traduit de l'article anglais].

En dépit du barrage de rhétorique sur les droits humains et la justice, l'enlèvement de Milosevic est un autre exemple du peu de cas qu'ont les grandes puissances au regard de la souveraineté des petits pays et de leur dédain pour les droits des gouvernements élus, même, comme pour le cas qui nous occupe, s'ils ont été très impliqués dans leur prise du pouvoir. Le TPI a pour rôle de couvrir d'une feuille de vigne le retour aux interventions colonialistes des pays impérialistes contre les petits pays.

Le TPI avait déjà abandonné toute prétention à l'impartialité lors même de la toute première accusation de Milosevic pour prétendus crimes de guerre au plus fort de la guerre aérienne des États-Unis et de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999. La parution de ce document, au moment même où l'opinion publique commençait à s'interrroger sur la légitimité des attaques de l'OTAN sur des cibles civiles en Serbie, était, comme l'avait alors expliqué le WSWS, un geste politique déguisé en acte judiciaire (voir «The Milosevic indictment: legal document or political diatribe?», 1er juin 1999).

Étant les circonstances, la notion que le procès puisse respecter les normes généralement admises d'impartialité et d'équité est absurde à sa face même. Aussi importantes qu'aient été les exactions de Milosevic contre la population d'origine albanaise du Kosovo, les procédures pendantes devant le tribunal de La Haye prendront le caractère d'un procès bidon.

Ceux qui ont orchestré le procès, les gouvernements des États-Unis et de l'Europe, les mêmes qui ont mené la guerre des Balkans en 1999 et ont supervisé le démantèlement de la Yougoslavie, ont intérêt a relancé la campagne de propagande contre Milosevic et le décrire comme un génie du mal et l'unique responsable du désastre qui s'est abattu sur la région au cours des dix dernières années.

Cet objectif politique est d'autant plus pressant étant donné les résultats désastreux des politiques occidentales dans les Balkans - la transformation de la Bosnie en un protectorat divisé selon des lignes ethniques, l'expulsion forcée des Serbes par les alliés séparatistes albanais de l'OTAN, le KLA (Armée de libération du Kosovo) et le début de la guerre civile en Macédoine - et les révélations selon lesquelles les États-Unis et l'Otant ont utilisé le mensonge et l'exagération afin de manipuler l'opinion publique avant et durant les frappes aériennes contre la Serbie.

La poursuite intentée contre Milosevic baigne dans les contradictions. En premier lieu, l'accusation du TPI ignore le rôle des frappes aériennes de l'OTAN dans le déclenchement de l'expulsion de masse des Kosovars albanais par les forces serbes. Il ne prend pas non plus en compte le rôle de la CIA américaine et des agences de renseignement européennes qui ont appuyé le KLA dans les mois qui ont précédé la guerre, où on a vu des guérilleros albanais lancer une violente campagne contre la police serbe en même temps qu'une campagne de menaces et de violences isolées contre les civils serbes au Kosovo.

Il n'y a pas de doute que Milosevic ait adopté une politique chauvine qui comportait des attaques violentes contre la population d'origine albanaise, mais Washington et les capitales européennes ont eux entrepris une campagne de subversion et de déstabilisation qui ne pouvait avoir d'autre issue que la guerre ethnique.

Selon la presse, le TPI prévoit augmenter l'ampleur de ses accusations contre Milosevic en leur ajoutant les supposés actes de génocide durant la guerre civile en Bosnie. Pourtant, ce sont bien les États-Unis et l'Europe qui ont fait de Milosevic le principal garant des Accords de Dayton de 1995 qui avaient mis fin à la guerre et établi le contrôle des Nations Unies. Si le tribunal de La Haye voulait faire preuve de logique et de cohérence et prendre en considération la vérité historique, il devrait citer les dirigeants occidentaux, tel que l'ancien président américain Clinton, à procès pour complicité de génocide après le fait.

Et comment faut-il comprendre le double standard qui habite la passion déclarée de l'Occident pour les droits de l'Homme et la poursuite des crimes de guerre? Washington était ouvertement opposé à la poursuite du dictateur chilien Augusto Pinochet lorsque le général fasciste et assassin de masse était arrêté au Royaume-Uni et confrontait l'extradition en Espagne.

Il ne faut pas une grande perspicacité pour faire le lien entre ce manque d'enthousiasme et le rôle de Washington dans le renversement du gouvernement démocratiquement élu de Allende et l'appui qu'il a donné au coup d'état de Pinochet en 1973 ainsi qu'au règne de terreur qui l'a suivi. Et en fait, les principaux dirigeants américains qui ont joué un rôle dans les événements de cette époque au Chili font présentement l'objet d'une poursuite en Belgique et en Amérique du Sud sur cette question. Il n'est pas surprenant que l'administration Bush ne coopère pas avec ces enquêtes.

Rien de moins que l'ancien procureur général des Nations Unies, le juge Richard Goldstone a dit que le premier ministre israélien, Ariel Sharon, devait être poursuivi comme criminel de guerre pour le rôle qu'il a joué dans le massacre de milliers de Palestiniens. Mais qui doute que Sharon continuera à jouir de l'appui des États-Unis et que son régime sera équipé des armes les plus sophistiquées et financé à coup de milliards ?

Si la loi internationale était appliquée de façon impartiale dans les cas de crimes contre l'humanité, Milosevic serait plutôt bas dans une liste qui compterait les représentants politiques des États-Unis et de l'Europe dont les opérations en Corée, en Afrique, au Vietnam et ailleurs ont résulté en millions de morts. Pour ne prendre qu'un exemple récent, la guerre contre l'Iraq a entraîné la mort de milliers de personnes, et celle de plusieurs centaines de milliers d'autres à cause des suites des sanctions et des bombardements d'un pays défait, fait sans précédent dans l'histoire et qui continue jusqu'à ce jour.

Les États-Unis ont fait tout en leur pouvoir pour s'assurer que ses politiciens et ses soldats soient à l'abri de toute poursuite pour crime de guerre. Les États-Unis se sont opposé à l'établissement de la Cour internationale de justice élargie qui a déjà reçu l'aval de trente-cinq pays il y a trois ans, mais qui en demandait soixante pour voir le jour. En 1984, l'administration Reagan a répudié la juridiction d'une précédente Cour internationale de justice après qu'elle ait statué que le minage des ports nicaraguayens par Washington violait le droit international.

Loin de rechercher la vérité historique, le procès de Milosevic sera utilisé pour détourner l'opinion publique internationale du rôle crucial qu'ont joué les puissances impérialistes dans la tragédie qui s'est abattue sur les Balkans. Dans tous les commentaires des médias, aucune des questions fondamentales en ce qui concerne l'histoire des Balkans n'a été abordée. Et ce n'est pas par accident. Washington en particulier compte sur l'ignorance générale du public sur l'origine de la catastrophe des Balkans pour avoir les mains relativement libres dans sa politique prédatrice dans la région.

La Yougoslavie est née à la fin de la Deuxième guerre mondiale en conséquence d'un mouvement populaire contre l'occupation nazie et les forces royalistes serbes. Le soulèvement partisan était mené par Josip Broz (Tito) et le Parti communiste yougoslave. Tito a établi une fédération délicatement équilibrée de groupes et de régions ethniques disparates. Dans les circonstances historiques particulières de la guerre froide, le régime de Tito a pu manoeuvrer pendant bon nombre d'années entre les États-Unis et l'Union soviétique tout en maintenant une fédération unifiée basée sur les garanties constitutionnelles pour ses diverses composantes ethniques : les Serbes, les Croates, les Bosniaques, les Musulmans, les Kosovars albanais, etc.

Les origines des conflits en Bosnie et au Kosovo de la dernière décennie remontent à la désintégration de l'ancienne Yougoslavie à la fin des 1980, début 1990, sous l'impact des politiques dictées par les puissances occidentales et imposées à l'aide des programmes d'ajustement du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le but de l'Ouest était le démantèlement de l'économie étatique et la restauration de la domination sans partage du capital international sur la Yougoslavie.

Les pressions de l'Ouest ont résulté en une explosion inflationniste et une disparition massive d'emplois à la fin des 1980 et au début des 1990, ce qui a alimenté une série de grèves et de manifestations de masse de la part de la classe ouvrière yougoslave. Cherchant à atténuer l'antagonisme entre les classes, les anciens bureaucrates staliniens, comme Milosevic et Franjo Tudjman en Croatie, ont commencé à promouvoir les sentiments nationalistes et à se concurrencer pour le soutien des gouvernements occidentaux. Milosevic était au début le protégé de l'Ouest et un défenseur des politiques de marché capitalistes.

L'Allemagne, suite à la réunification de 1991, a décidé qu'elle serait mieux servie dans les Balkans en faisant la promotion de la sécession de la Slovénie relativement prospère d'avec la Yougoslavie, suivie de la sécession de la Croatie. Les États-Unis, qui au départ étaient opposés au démantèlement de la Yougoslavie, ont fait un virage à 180 degrés et sont vite devenus le principal avocat occidental de l'indépendance de la Bosnie.

Les historiens connaissant l'histoire des Balkans et de la Yougoslavie ont donné l'avertissement qu'un démantèlement précipité de la Yougoslavie ne pourrait mener qu'à une éruption de guerres communalistes. La sécession de la Croatie et celle de la Bosnie, par exemple, ont soudainement privé les minorités ethniques de ces régions des protections constitutionnelles dont elles bénéficiaient sous la fédération yougoslave. Les politiciens nationalistes comme Milosevic en Serbie, Tudjman en Croatie et Alija Izetbegovic en Bosnie ont exploité la crainte populaire pour mettre en oeuvre leurs politiques. En terme de «nettoyage ethnique» et des autres formes de terreur contre les minorités, il est bien difficile de faire une distinction entre ces trois dirigeants nationalistes.

L'appui au démantèlement de la Yougoslavie a forcé l'Ouest, et surtout les États-Unis, à entrer en conflit avec Milosevic. Washington a conclu que l'élite dirigeante serbe avait le plus grand intérêt à maintenir un État unique dans lequel elle avait le rôle principal. Et comme plusieurs auparavant, par exemple Noriega au Panama, Saddam Hussein en Iraq, un allié de l'impérialisme américain, dans ce cas Milosevic, allait devenir son cible.

L'appui clandestin des États-Unis au KLA et l'appui ouvert qu'il a donné aux forces nationalistes albanaises juste avant le début de la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN était une partie intégrante de sa politique antiserbe. L'accusation de Milosevic par le TPI n'est que le prolongement de cette même politique agressive.

L'OTAN a tenté de justifier sa campagne de bombardement de soixante-seize jours en la présentant comme une guerre humanitaire pour stopper le génocide contre les Kosovars albanais. Milosevic fut décrit comme le «Hitler serbe».

Décrire Milosevic comme un Hitler moderne est un amalgame d'exagération grossière et de cynisme. Pour commencer, Milosevic est un dirigeant bourgeois d'un petit pays économiquement faible, et pas une puissance impérialiste comme l'Allemagne nazie. En second lieu, il n'y a aucune preuve qu'il ait adopté une politique de liquidation de masse, ni que le niveau des morts chez les civils au Kosovo approche de quelque façon les atrocités de l'Holocauste nazi.

Depuis la fin de la guerre de l'OTAN et des États-Unis, le TPI a admis que le nombre total des corps découverts lors du conflit au Kosovo serait probablement «moins de 10 000». À ce jour, le nombre de corps retrouvé est loin de ce chiffre.

Milosevic sera le premier ancien chef d'État à être jugé par une cour criminelle internationale. Cela est accueilli comme le début d'une ère nouvelle où les criminels de guerre ne pourront plus faire valoir une position officielle pour se protéger. Accepter à sa face une telle affirmation est faire montre d'une extrême naïveté politique.

Malgré tous les crimes qu'ils ont commis, l'idée que le droit international puisse être défendu par les classes dirigeantes des États-Unis et de l'Europe, ou par les organismes internationaux qu'ils contrôlent, est ridicule. Milosevic peut bien être, pour des raisons politiques, considéré comme digne d'une poursuite, mais de telles poursuites n'inquiéteront jamais un dirigeant impérialiste ou un larbin de l'impérialisme en faveur.

 

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