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Jour d'exécution en Amérique

Par Barry Grey
13 juin 2001

Lundi était jour d'exécution en Amérique. Le pays à peine réveillé a vu les reporters-vedettes souriants de la télévision annoncer en direct d'Oklahoma City et de Terre Haute en Indiana que le compte à rebours final pour l'exécution de Timothy McVeigh avait commencé. Bonjour Amérique!

Les mots ne sont pas suffisants pour décrire le spectacle qui s'est ensuite déroulé au cours des 90 prochaines minutes. Les médias ont réussi à transformer ce qui était en soi un événement horrible, la liquidation d'une vie humaine sous les auspices de l'état, en un jour de honte et de déchéance nationales.

Aucun détail de la mise à mort n'a été omis. Les techniques perfectionnées pour la couverture de grands événements sportifs ont été mises à profit pour amener les spectateurs à se sentir comme des témoins occulaires, sinon des complices. L'atmosphère surréelle n'était que renforcée par le fait que les caméras n'étaient pas autorisées dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de la chambre d'exécution à Terre Haute ou du site de retransmission en circuit fermé mis à la disposition des parents des victimes à Oklahoma City. Cette restriction a d'ailleurs clairement irrité les organisateurs de la couverture médiatique.

Il y avait des entrevues avec des bourreaux qui ont décrit le processus qui se déroulait derrière les murs de la prison. « Comment c'était de tuer un homme ? » ont demandé des reporters à la recherche d'un angle « humain ». Que sentira McVeigh lorsque le poison entre dans son corps ? Que serait-il probablement en train de penser ? Comment réagiraient les témoins de l'exécution ? Reconnaîtraient-ils le moment exact de la mort lorsqu'elle se produit ? Comment allaient-ils gérer le stress causé par l'événement ? Y avait-il des conseillers spirituels sur place ? Est-ce que les témoins pourraient profiter pleinement du reste de la journée ?

L'auditoire a été abondamment nourri de détails sur les poisons mortels de la part d'experts en la matière. Susan Candiotti de CNN a réussi une sorte de scoop en notant que le mélange chimique utilisé pour tuer McVeigh avait été développé en 1977 au Centre médical de l'Université d'Oklahoma situé à Oklahoma City.

Le spectacle macabre était ponctué d'annonces publicitaires de la part de commanditaires tels que: AT&T, Wal-Mart, Outback Steakhouse, Toyota. Peu avant l'exécution, CBS a montré une pub pour Ortho Tri-Cyclen, une pillule de contraception.

Par la suite, des reporters présents à la scène de mort et d'autres témoins ont pris l'antenne pour décrire tous les faits et gestes de McVeigh: son expression faciale, sa réaction au poison, etc.

Il y a eu une tentative bien orchestrée de justifier l'opération déshumanisante en montrant des entrevues avec des résidants d'Oklahoma City ayant perdu des membres de leurs familles ou des amis lors de l'explosion de 1995 qui a détruit un immeuble fédéral et tué 168 personnes. CBS a fait défiler dans un long moment de silence les noms des victimes de McVeigh.

Le thème central de ces reportages était que McVeigh recevait un châtiment juste et nécessaire. Un monstre était mis à mort. Rien de ce qui a été dit ce jour-là, par les médias ou le gouvernement, n'a suggéré ne serait-ce qu'en passant qu'un lien pouvait exister entre le crime terrorriste et les conditions sociales ou les réalités politiques de l'Amérique d'aujourd'hui.

Le président George W. Bush, s'adressant aux reporters après l'événement, a réitéré le même thème. Il a mis l'exécution de McVeigh au compte, non pas du gouvernement, mais des victimes de l'attentat à la bombe. Ceux-ci, a tonné Bush, « ont reçu non pas la vengeance, mais la justice ».

Puis ont suivi des phrases sur le pardon et la paix, de la bouche d'un homme qui a présidé, durant ses six ans comme gouverneur du Texas, à plus de 152 exécutions, y compris de personnes certifiées retardées ou malades mentales. Sans broncher, Bush a ensuite affirmé que « les droits de l'accusé ont été protégés et respectés au complet et jusqu'à la fin ». Il a passé sous silence le fait que le FBI a illégalement retenu quelque 4400 pages de documents que les avocats à la défense de McVeigh n'ont jamais eu l'occasion de consulter. Bush n'a pas mentionné que deux cours fédérales ont frayé la voie à l'exécution de lundi en refusant de reporter celle-ci, privant ainsi la défense de toute possibilité d'étudier sérieusement les documents et de plaider la cause d'un recours en appel contre la peine de mort infligée à son client.

Si on laissait de côté l'extravagance télévisuelle pour se tourner vers la presse écrite, on voyait la même chose. Le commentaire le plus extraordinaire est venu du New York Times, qui a publié lundi un éditorial frisant l'hystérie tant il insistait que l'attentat à la bombe d'Oklahoma City n'était en aucune façon un reflet de la société américaine. L'article, intitulé « L'histoire et Timothy McVeigh », a nié tout lien entre le crime de McVeigh et les événements historiques.

Le terrorriste d'Oklahoma City, nous apprend le Times, était un mégalomance paranoïde et lâche, point final. « Nous avons eu six ans pour regarder Mr McVeigh droit dans les yeux », écrit le Times. « Ce que ses yeux nous ont révélé fois après fois, c'est le visage d'un homme qui est perdu dans ses convictions démentielles. »

L'éditorial a continué en disant : « L'armée n'a pas formé Mr McVeigh. La guerre du golfe n'a pas causé son sentiment d'aliénation. Il s'est en quelque sorte inventé lui-même, se formant dans le vide laissé par une famille brisée, séduit par un idéal d'auto-contrôle militant, et initié au raisonnement infaillible mais complètement faux de parias obsédés par l'idée de renverser le gouvernement en quête de droits qu'ils possèdent déjà. »

Le Times a poursuivi en qualifiant l'attentat à la bombe d'Oklahoma City d' « acte de vengeance commis par un homme qui n'avait jamais subi de préjudice ». Il a parlé du massacre de Waco en 1993 sans la moindre critique, même timide, du rôle du gouvernement; il a mentionné en passant les « gaffes administratives » du FBI dans le procès de McVeigh, répétant la ligne officielle du gouvernement voulant que les documents ont été cachés à la défense par simple mégarde.

« Nous en sommes rendus à nous demander », de conclure les éditorialistes du Times, « quel événement aurait pu par chance transformer Mr McVeigh en l'un de nous ». Peut-être, pourrions-nous suggérer, qu'une fortune de plusieurs millions comme celle détenue par la famille Sulzberger, propriétaire du Times, aurait changé le destin de McVeigh.

Il est absurde d'affirmer, comme le Times l'a fait, que l'attentat à la bombe d'Oklahoma City n'avait aucun lien avec les expériences sociales des trente dernières annéees, et que l'évolution personnelle de McVeigh n'avait aucun rapport avec la société dans laquelle il vivait.

Et tenter de décrire McVeigh comme une incarnation du diable n'est guère plus convaincant. Il serait facile de comprendre le monde si les gestes terribles s'expliquaient simplement par l'existence de gens terribles. McVeigh était coupable d'avoir commis un crime monstrueux, et pour cela il méritait assurément l'emprisonnement à vie. Mais, lui-même n'était pas un monstre.

Il était plutôt un être complexe dont la personnalité a été, en fin de compte, formée par la société dans laquelle il vivait. Il n'était sûrement pas un individu lâche. Son crime est d'autant plus troublant que c'est l'acte d'une personne qui est en grande partie représentative de millions de personnes aux États-Unis, une personne qui dans d'autres circonstances aurait été bien différente.

Déclarer que le passage de McVeigh dans l'armée et son expérience de la Guerre du golfe n'a eu aucune influence sur son évolution ultérieure est tout aussi inepte. McVeigh, selon ses propres dires, n'était qu'une recrue trop enthousiaste lorsqu'il s'est rendu au Golfe Persique, mais ce qu'il a vu là-bas l'a traumatisé et a contribué à affermir ses positions contre son propre gouvernement. Il fut un témoin privilégié du massacre d'Irakiens pratiquement sans défense que le gouvernement américain et les médias ont caché au public.

Voici comment il a plus tard fait état du remord qu'il avait éprouvé après qu'il ait tué deux soldats irakiens : « Ce qui m'a fait me sentir si mal, c'est premièrement, que je ne les avais pas tués en légitime défense... Nous avions tous, les mêmes rêves, les mêmes désirs, la même préoccupation pour nos enfants et nos familles. Ils étaient des humains, comme moi, au fond. »

Quant à l'assaut aux bombes incendiaires des davidiens à Waco au Texas, c'était purement et simplement un massacre de masse mené par le gouvernement contre ses propres citoyens. Quatre-vingt six personnes ont été tuées, y compris vingt-cinq enfants, soit plus que lors de l'attentat à la bombe d'Oklahoma City. On peut mesurer l'hypocrisie des médias au fait qu'ils n'ont jamais fait d'entrevue avec ceux qui ont été blessés ou ont perdu des proches lors de ce tragique événement.

Si McVeigh est devenu un maniaque des fusils, c'est en vertu d'un milieu idéologique particulier. C'est pourtant bien les médias appartenant aux plus grandes entreprises qui ont submergé la jeunesse américaine de militarisme et de chauvinisme, par exemple au moyen du marketing de masse destiné à mousser l'image de Rambo. L'élite politique et les médias ont mené pendant des dizaines d'années une campagne d'engourdissement de l'esprit au moyen de la télévision, de la radio, de la musique et du cinéma qui prônaient les idéologies les plus à droite et encourageaient toutes les formes de préjugés.

De plus, le Parti républicain, comme le Times le sait très bien, est en grande partie contrôlé par des éléments d'extrême-droite dont le point de vue politique est bien difficile à distinguer de celui des organisations ouvertement racistes et fascistes. En quoi les vues du procureur général, John Ashcroft, un agent de la droite chrétienne, sont-elles différentes de celles des fanatiques des armes, des survivalistes et des suprématistes blancs ? Porte-parole en chef de la droite républicaine, le Wall Street Journal défend des vues somme toute assez semblables à celle de McVeigh, peut-être avec un vocabulaire plus choisi.

Il est bien connu que des républicains bien vus comme le représentant de la Georgie, Bob Barr et le sénateur du Mississippi, Trent Lott, ont des liens avec des organisations comme le Council of Conservative Citizens, une organisation antisémite et suprématiste qui est née des conseils de citoyens blancs de l'époque de Jim Crow. Une bonne partie des congressistes républicains élus en 1994 avait sollicité l'appui des groupes paramilitaires et du lobby des armes menés par des racistes et des fascistes. À l'époque de l'attentat à la bombe d'Oklahoma City, l'un d'entre eux, Steve Stockman du Texas, avait reçu un fax d'un animateur de ligne ouverte fasciste d'une radio du Michigan l'informant à l'avance de l'explosion. Il n'a pas retransmis le fax aux autorités gouvernementales, mais à la National Rifle Association (le lobby des porteurs d'armes). Le fax était entre les mains de Stockman une heure avant l'explosion.

Finalement, il est absurde de nier tout lien entre les sentiments anti-gouvernementaux de McVeigh et le fait qu'il a grandi dans une partie de l'État de New York qui a été dévastée par les fermetures en masse des usines du secteur de l'automobile et de l'acier. Même si sa rage a fini par être canalisée d'une façon entièrement réactionnaire, il n'en demeure pas moins qu'elle a une cause bien réelle.

La caractéristique la plus essentielle de la vie américaine est l'incroyable croissance de l'inégalité économique, un processus qui s'est accéléré avec le boum des affaires des années 1990. Les politiques de l'élite financière et des deux partis qui la courtisent ont mené à une énorme érosion du niveau de vie de larges sections de la population, tout en permettant l'accumulation d'une richesse sans précédent pour la couche des plus privilégiés.

Ces réalités sociales sont à la base du sentiment croissant de frustration et de colère dans la population dans son ensemble. L'administration démocrate de Clinton, qui a pris le pouvoir en 1992 en promettant de renverser les politiques sociales réactionnaires des années Reagan et Bush n'a que nourri la crise sociale en revenant sur ses promesses électorales et continué à favoriser le développement de l'inégalité économique.

Il y a des raisons pour lesquelles un jeune amer comme McVeigh a pu être gagné aux charlataneries politiques de l'extrême-droite. Puisqu'il n'existe pas une section de l'élite politique qui veuille ou qui puisse défendre les intérêts des travailleurs, et que les organisations de masse de la classe ouvrière ont trahi cette dernière, les jeunes désillusionnés ont cherché ailleurs des réponses à leurs questions. Dans la mesure où ils ne voyaient pas d'alternative viable au système de profit, ils devenaient une proie facile pour les démagogues de droite.

Est-il nécessaire de répéter que McVeigh a commis un crime horrible ? En tant que socialistes, nous du Parti de l'égalité socialiste, plus que quiconque, pouvons en toute conscience dénoncer ce qu'il a fait et ce qu'il défendait. Mais la dénonciation morale n'est pas assez. Elle ne remplacera jamais la compréhension des conditions sociales et politiques qui ont finalement permis l'attentat à la bombe d'Oklahoma City.

Ce que nous avions écrit à l'époque de l'attentat a été depuis confirmé par le déroulement des événements :

« Le crime haineux qui a coûté la vie de près de deux cents hommes, femmes et enfants innocents d'Oklahoma City a mis à nu la crise politique qui couve depuis longtemps aux États-Unis. Il a montré à la face du monde l'instabilité grandissante de la démocratie bourgeoise aux États-Unis et révélé combien ses institutions traditionnelles sont minées par des antagonismes sociaux profonds. »

La politique des républicains qui a mené à la fermeture du gouvernement fédéral quelques mois seulement après l'attentat à la bombe, les tentatives de destituer Clinton, le vol de l'élection présidentielle de l'an 2000 ainsi que le spectacle dégradant de lundi dernier sont tous des événements qui viennent confirmer la justesse de cette analyse.

L'éditorial du New York Times exprime surtout la crainte immense que le peuple américain puisse croire que le système social actuel peut être même en partie responsable pour ce qui est arrivé à Oklahoma City. Mais il est plus frappant, et plus accablant, de voir quelqu'un insister qu'il n'y a rien à apprendre d'une aussi grande tragédie que celle d'Oklahoma City. Une telle vue est une indication que l'élite politique qui vogue de crise en crise craint ce qu'elle verrait si elle pouvait regarder la réalité sociale en face.

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