Elections
ougandaises:
Museveni se maintient au pouvoir
Chris Talbot
19 mars 2001
Le président Yoweri Museveni a remporté avec
une large majorité l'élection présidentielle
en Ouganda. Il a obtenu 69,3 pour cent des suffrages alors que
son principal rival le Dr Kizza Besigye en a recueilli 27,8 pour
cent. Le taux de participation était de 70,3 pour cent
et les autres quatre candidats se partageaient les 3 pour cent
du scrutin restant.
Museveni, qui se fonde sur le Mouvement de la résistance
nationale (NRM), est au pouvoir depuis 1986. Il n'est pas permis
aux autres partis politiques d'opérer ouvertement, le
NRM étant un mouvement inclusif connu comme le système
«sans parti». Lors de cette élection, Museveni
s'était vu, pour la première fois, confronté
à une opposition sérieuse. Besigye avait été
un membre influent du NRM dans les années 1980 pour avoir
été, à une époque, le médecin
personnel de Museveni. Avec le soutien d'autres membres mécontents,
il appelle à une réforme du NRM. Le principal point
au programme électoral de Besigye était le retour
au pluralisme politique, lui qui accusait à la fois le
gouvernement et le NRM de corruption et de copinage.
Il y eut de nombreux témoignages de cas de truquage
électoral et d'actes d'intimidation envers des électeurs.
Besigye a déclaré vouloir intenter une action en
justice contre le gouvernement en invoquant que ses représentants
et partisans politiques auraient été attaqués
et que des listes électorales auraient été
gonflées en faveur de Museveni.
Des observateurs indépendants, membres du Groupe de
contrôle des élections ougandaises, une organisation
non gouvernementale, ont déclaré que, dans l'ensemble,
le vote s'était déroulé légalement,
mais qu'entre 5 et 15 pour cent des votes auraient pu être
recueilli de manière frauduleuse, principalement par Museveni.
Ils arrivent à ces nombres en tenant compte de l'intimidation
et des irrégularités lors de l'établissement
des listes électorales.
Mis à part la question de permettre d'autres partis
politiques, Besigye, tout comme les autres candidats, n'ont pas
de différences politiques substantielles avec le régime
de Museveni. Ils semblent faire écho à des sections
de l'élite ougandaise qui sont désavantagés
par l'actuel système de patronage politique. Il n'y a
certainement pas eu d'opposition à la domination par le
Fonds monétaire international sur l'économie du
pays. En raison d'un mécontentement croissant envers le
gouvernement et étant donné le degré de
pauvreté qui sévit dans la majeure partie du pays,
Besigye semble avoir reçu plus de soutien que cela n'avait
été le cas pour les adversaires de Museveni lors
des élections de 1996.
Malgré le fait que l'Ouganda bénéficie
de plus d'aide et de soutien de l'Occident que n'importe quel
autre pays africain, pas grand chose n'en témoigne en
terme d'amélioration des conditions sociales de la plupart
des citoyens ougandais. Le pays se range à la 158e place
sur 172 dans l'index du développement humain de l'ONU.
Le revenu annuel par habitant est en moyenne de 310 dollars,
l'espérance de vie est tout juste de 42 ans; 66 pour cent
de la population n'ont pas accès à de l'eau potable
et 38 pour cent des enfants âgés de moins de cinq
ans souffrent de malnutrition.
Ces derniers temps, les critiques contre Museveni de la part
de l'Europe et des États-Unis se sont multipliées
et il ne fait pas de doute que Besigye compte profiter de l'appui
de donateurs occidentaux. Durant la plus grande partie de ses
quinze années de règne, Museveni avait été
loué pour être le dirigeant africain qui était
passé de combattant de guérilla à défenseur
de la politique de libre marché et de l'application rigoureuse
des programmes d'ajustement structurel imposés par le
FMI. On fermait les yeux sur l'intimidation d'adversaires politiques
et l'absence de multipartisme et Museveni avait même été
décrit par l'ancien président américain
Bill Clinton lors de sa visite en 1998 comme l'un des «nouveaux
dirigeants africains». Par contraste, un éditorial
du Financial Times consacré aux élections
ougandaises proposait que les gouvernements occidentaux exigent
à présent que le « modèle de gouvernement
plus ouvert et plus inclusif» fasse clairment partie des
politiques futures.
Cette critique laisse entrevoir la préoccupation que
Museveni, en dépit du fait qu'il applique le programme
de privatisation du FMI, permette encore trop de dépenses
gouvernementales, ou bien selon les termes du FMI, «de
risque d'accroissement du déficit budgétaire».
Tout en ignorant l'instabilité et les violents conflits
qui souvent s'ensuivent, les exigences pour un gouvernement «transparent»
sont désormais devenues coutumières de la part
de la Banque mondiale et du FMI dans le but de réduire
le degré de patronage politique.
Il est également facile pour les pontifes occidentaux
de blâmer Museveni pour le ralentissement économique
du pays. La BBC cite un expert en investissement en Afrique qui
déclare que l'Ouganda demeure toujours intéressant
pour les investisseurs, bien que l'ampleur des investissements
n'y soit pas comparable à ce que l'on trouve dans les
pays producteurs de pétrole. Toutefois, les demandes de
renseignements ont à présent diminué et
il est «très difficile pour les pays africains de
maintenir ce niveau d'intérêt». Le FMI et
les donateurs continueraient bien à verser des sommes
substantielles d'aide, poursuit cet expert, en raison de la nécessité
de sauvegarder l'illusion dans le libre marché: «l'Ouganda
est le seul exemple de réussite que les donateurs peuvent
encore offrir. »
Alors que les taux de croissance étaient en moyenne
de 6 pour cent tout au long des années 1990, la croissance
du produit national brut était tombé l'année
dernière à 5,1 pour cent. Le ralentissement est
surtout dû au fait que 50 pour cent des recettes d'exportation
ougandaise proviennent du café dont le prix a chuté
fortement.
Une autre raison tout aussi importante du mécontentement
croissant de l'Occident envers Museveni est le rôle qu'il
joue au sein de la politique régionale africaine. L'Ouganda
avait été la base opérationnelle pour les
rebelles de l'Armée de libération du peuple soudanais
qui sont en lutte contre le gouvernement soudanais et qui recevaient
à cette fin une aide militaire secrète des États-Unis.
Museveni était également le principal partisan
du Front patriotique rwandais qui prit le pouvoir en 1994 en
chassant le régime génocide Hutu. L'Ouganda et
le Rwanda ont ensuite conjointement mis sur pied le mouvement
rebelle qui porta Laurent Kabila au pouvoir au Congo, et cette
fois encore avec le soutien des Etats-Unis.
L'Ouganda, cependant, n'est plus considéré comme
un centre d'influence par les États-Unis. Le Soudan est
à présent le point de mire des Occidentaux qui
cherchent à tirer profit de l'exploitation de ses énormes
ressources pétrolières. Au Congo, après
deux ans et demi de guerre suite au conflit entre l'Ouganda et
le Rwanda, c'est le fils de Kabila qui se trouve à présent
au centre d'une initiative de paix soutenue par les Occidentaux.
L'Ouganda s'est fait dire de retirer ses troupes. Le Rwanda et
l'Ouganda sont devenus des ennemis acharnés après
que des querelles aient surgi l'année dernière
au sujet de leurs intérêts politiques et économiques
au Congo. Museveni a même, durant les élections,
qualifié le Rwanda de "pays hostile".
Museveni a dans les faits bénéficié d'un
certain degré d'appui populaire aux élections,
mais surtout à cause de la crainte que toute alternative
puisse conduire à nouveau à des régimes
sanglants comme ceux d'Idi Amin durant les années 1970
ou de Milton Obote au début des années 1980 quand
un million d'Ougandais furent tués. En se servant de ces
craintes, Museveni prend soin de souligner que toute alternative
à son système «sans parti» pourrait
entraîner des conflits sectaires et tribaux.
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