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Le projet de loi antiterroriste du gouvernement canadien : une grave menace aux droits et libertés

Depuis la rédaction de cet article, le gouvernement libéral a annoncé quelques amendements timides à la loi antiterroriste proposée. Ces changements seront analysés dans un futur article du WSWS.

Par François Legras
19 novembre 2001

Le gouvernement libéral du Premier ministre canadien Jean Chrétien s'apprête à adopter une loi antiterroriste qui marque une rupture fondamentale avec certaines traditions de la jurisprudence britannique historiquement développées dans la lutte contre l'arbitraire et l'absolutisme.

Le projet de loi C-36 introduit une série de précédents : une définition, très large, du terrorisme; des pouvoirs accrus d'arrestation, de détention et d'enquête; l'extension de l'écoute électronique; le secret dans les procédures judiciaires; des pouvoirs discrétionnaires permettant de limiter la divulgation de la preuve et le droit à une défense pleine et entière. Ils constituent dans leur ensemble une remise en question des droits démocratiques les plus élémentaires.

L'ampleur de cet assaut légal est indiquée par le vaste champ couvert. Totalisant plus de cent cinquante pages réparties en six sections, le projet de loi vient modifier vingt-deux lois existantes et en créer deux nouvelles. Les lois modifiées portent notamment sur les libertés individuelles (Code criminel, loi sur le service correctionnel), la protection de la vie privée (loi sur l'accès à l'information, loi canadienne des droits de la personne), la nature des pouvoirs de l'exécutif et des services secrets (loi sur les services canadiens de renseignement de sécurité, loi sur la défense nationale).

Le projet de loi C-36 a été sévèrement critiqué par des organismes de défense des droits et libertés, par des associations d'immigrants comme la Fédération arabe canadienne et par des associations d'avocats. Le Barreau du Québec, par exemple, a fait savoir que «certaines dispositions de la loi C-36 entraîneront des violations aux droits reconnus par la Charte» et averti que ce serait «une erreur de penser que cette loi ne sera pas éventuellement utilisée contre des Canadiennes et des Canadiens qui ne sont pas des terroristes».

Le projet de loi a été par contre chaudement accueilli dans les médias canadiens qui jouent depuis le 11 septembre un rôle clé dans la création et le maintien d'un climat d'hystérie et de peur nécessaire pour étouffer tout esprit critique au sein de la population. Quand vient le temps de défendre les droits démocratiques, l'«opposition» parlementaire n'existe plus qu'en nom. Seul le NPD social-démocrate a voté contre le projet de loi C-36. Le débat parlementaire a surtout porté sur la question de savoir s'il fallait en limiter la portée dans le temps, mesure que le gouvernement libéral refuse jusqu'à maintenant d'introduire.

Définition du terrorisme

La notion d'activité «terroriste» n'existait jusqu'à présent que dans la loi sur l'immigration, dans le but d'interdire l'entrée au pays à des immigrants soupçonnés d'une telle activité.

S'il en est ainsi, c'est en partie parce que les représentants du ministère de la Justice se sont toujours butés à une tâche insurmontable lorsqu'ils avaient à donner une définition du terrorisme tout en gardant une certaine confiance qu'elle soit dans les limites du droit et qu'elle ne s'applique pas à tous les gestes de dissidences qui n'ont rien à voir avec le terrorisme. De plus, le code criminel prévoit déjà des peines sévères pour tous les gestes généralement associés au terrorisme, que ce soit l'assassinat, l'attentat à la bombe, le détournement d'avion et le reste.

En introduisant cette notion dans le code criminel, le projet de loi C-36 crée une nouvelle catégorie de crimes, les crimes pour motifs «politiques» pour lesquels l'État aura des pouvoirs spéciaux d'enquêtes et de poursuite. Il suffira désormais aux autorités, sur la base de cette définition extensible à volonté, d'établir qu'il y a «terrorisme» pour se donner aussitôt des pouvoirs spéciaux tout en augmentant la sévérité des peines encourues.

La loi C-36 commence par une énumération de 35 crimes qui en vertu de dix accords et protocoles internationaux, sont reconnus comme des actes terroristes. Ensuite, dans une deuxième section, elle définit comme terroriste tout «acte, action ou omission, commise au Canada ou à l'étranger... commis, notamment au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique» et qui vise entre autres à «causer des blessures graves à une personne ou la mort de celle-ci», «à compromettre gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population», «à causer des dommages matériels considérables» ou encore «à perturber gravement ou à paralyser des services, installations ou systèmes essentiels».

Cette dernière clause est particulièrement lourde de conséquences, puisqu'en conjonction avec une autre partie de la clause qui mentionne les menaces à la «sécurité économique», elle pourrait être utilisée pour déclarer terroriste des grèves, des barrages et d'autres gestes de désobéissance civile, et menacer les participants de lourdes peines.

Le projet de loi exclut expressément une grève ou une manifestation légale. Une grève illégale pourrait donc être considérée comme un acte terroriste, dans le secteur de la santé par exemple, où le gouvernement pourrait arguer, comme il l'a fait à maintes reprises, qu'elle met en danger la «sécurité de la population» et paralyse des «services essentiels».

Une campagne organisée au Canada en soutien à des environnementalistes à l'étranger qui bloquent la route à un convoi transportant du matériel nucléaire pourrait aussi tomber sous l'accusation de terrorisme. Fait important, plusieurs politiciens, pour ou contre l'inclusion d'une telle définition du terrorisme dans le projet de loi C-36, ont admis qu'elle serait applicable aux manifestations «anti-mondialisation» organisées à l'occasion du Sommet de Québec d'avril dernier.

Dans la définition de ce qu'est un acte terroriste, la loi C-36 inclut aussi le complot ou la menace de commettre un tel acte ou encore inciter une personne à en commettre un. Le professeur de droit de l'Université de Toronto, Kent Roach, explique que «la très large définition de ce qu'est un acte terroriste est ensuite étendue pour créer de nouveaux délits comme... participer aux activités ou héberger ceux qui ont commis des actes terroristes. Ces crimes vagues, qui visent des activités qui se produisent bien avant les actes terroristes eux-mêmes, servent à leur tour à inclure des crimes encore plus flous comme la conspiration, l'intention de commettre un crime ou des menaces dans la définition du terrorisme. Cela a pour effet global de donner une large prise à la loi criminelle de façon complexe et qui manque de clarté et de contraintes».

Augmenter les pouvoirs de l'État

Alors qu'il était jusqu'ici admis que plus la sanction prévue est grave, plus il fallait protéger le droit constitutionnel d'un accusé à un procès public et équitable, le projet de loi C-36 introduit des règles de preuves et de procédures qui donnent des moyens exorbitants au pouvoir exécutif sans que celui-ci ne soit soumis au pouvoir traditionnel de surveillance des tribunaux.

Parmi ces nouveaux pouvoirs d'arrestation, de détention et d'enquête, citons les cas suivants:

- Un policier pourra, s'il a des motifs raisonnables de soupçonner qu'une ordonnance est nécessaire pour éviter la mise à exécution d'une activité terroriste, arrêter une personne sans mandat ou déposer une dénonciation devant un juge. Le critère habituel de «croire» au lieu de «soupçonner» avait toujours été justifié par les tribunaux pour lutter contre l'arbitraire.

- Un policier pourra, par exception aux règles en matière d'identification, exiger une prise d'empreinte et de photo dès la mise sous garde de l'individu. Ce processus permettra, aux agents de la paix de ficher des individus sans qu'ils ne soient ni inculpés d'une infraction ou soumis à une ordonnance judiciaire.

- L'individu arrêté pourra être détenu pour une période allant jusqu'à 72 heures, sans que celui-ci ne soit inculpé d'aucune infraction criminelle.

Collaborant avec les procureurs de la Couronne, les forces de sécurité auront le nouveau pouvoir d'obliger à témoigner, sous peine d'emprisonner, lors d'auditions d'enquête tenues à huis clos et présidé par un juge. Même si la loi C-36 indique que la preuve assemblée lors de telles auditions ne peut être utilisée contre la personne qui a été forcée de témoigner, une telle façon de procéder représente une attaque au droit depuis longtemps établi de garder le silence.

- Le procureur général pourra émettre des certificats pour interdire de façon permanente aux personnes ayant eu connaissance des informations recueillies lors d'une enquête sur le terrorisme.

- Contrairement aux règles en la matière, lors d'une demande d'autorisation d'écoute électronique, le policier n'aura pas à démontrer sous serment que d'autres méthodes d'enquête ont été essayées et pourquoi il ne serait pas pratique de mener l'enquête par d'autres méthodes. Cet accès plus facile à l'écoute électronique est déjà en vigueur dans la loi antigang.

La chasse aux sorcières des «groupes terroristes» et la liste noire

La loi va aussi définir ce qu'est un «groupe terroriste» et permettre au gouverneur en conseil, sur la recommandation du solliciteur général, de créer une liste noire d'organismes reliés ou ayant participé à une activité terroriste, même très superficiellement.

La définition très large de la participation qui est donnée fait en sorte qu'arbitrairement des groupes qui ne représentent aucun danger pour la sécurité pourront y être inscrit. Le fait de donner ou d'acquérir de la formation, de mettre des compétences ou une expertise à la disposition de quiconque, ou de fréquenter une personne qui fait partie d'un groupe terroriste, sera considéré comme étant de la participation à une activité terroriste.

Une autre mesure antidémocratique, celle-ci reliée à la procédure même d'inscription sur la liste des groupes terroristes.

La liste est constituée sans audition ou examen judiciaire. Ce n'est que lorsque la liste est complétée, qu'un groupe visé peut demander la révision de la décision à un juge de la Cour fédérale. Pour rendre les choses plus difficiles encore, lors de l'audition, le procureur général peut, au nom de la sécurité des relations internationales, de la sécurité ou de la défense nationale ­ concepts très larges et extensibles- demander la permission de présenter sa preuve à huit clos et demander que les informations qu'il va présenter ne soient pas divulguées à l'entité.

Créer un climat de suspicion et de délation

La loi crée une nouvelle obligation de délation. Toutes personnes au Canada et tout Canadien à l'étranger ainsi que les banques, les caisses, les compagnies d'assurances, les sociétés de fiducie, les gestionnaires de portefeuilles, les conseillers en placements et les courtiers en valeurs mobilières, se voient imposer une obligation de dénoncer ceux qu'ils suspecteraient de terrorisme.

Pour les institutions financières, cette obligation est établie «sur une base continue» et elles auront l'obligation de présenter un rapport mensuel à cet effet. Les personnes ont la même obligation de délation et devront informer sans délai la GRC et le SCRS. Le défaut de se conformer à cette obligation peut entraîner une peine d'emprisonnement de dix ans.

Le gouvernement peut agir sur la base d'informations secrètes, partielles, généralement reconnues comme n'étant pas ou peu fiables, obtenues illégalement, (selon les normes actuelles développées par les tribunaux sous la Charte), et c'est aux personnes de confronter ensuite toute la puissance de l'appareil d'État pour convaincre le juge qu'il y a erreur et ce, sans même connaître les faits qui leur sont reprochés.

Le centre de la sécurité des télécommunications ­ une agence d'espionnage contre les citoyens canadiens.

Le préambule de la loi antiterroriste mentionne aussi que seront clarifiés les «pouvoirs du Centre de la sécurité des télécommunications» (CST), un euphémisme pour dire que ses pouvoirs seront très largement étendus et que le CST deviendra une agence d'espionnage contre les individus en sol canadien.

Le CST est un organisme qui avait pour mandat d'intercepter des communications provenant de l'étranger ou des communications entre des étrangers et des Canadiens pour motif de sécurité nationale et de contre-espionnage. L'organisme a été créé durant la période de la guerre froide et il lui était spécifiquement interdit d'utiliser ses pouvoirs d'espionnage contre les citoyens canadiens communiquant entre eux.

Son rôle sera dorénavant élargi pour permettre l'espionnage des personnes en sol canadien. Sur autorisation du ministre, il peut y avoir de l'écoute électronique, et interception de courrier électronique ou toute information transigeant via l'«infrastructure mondiale» de l'information. L'internet sera particulièrement visé par ces changements. Depuis les manifestations anti-mondialisations de Seattle, les forces de sécurité, celle du Canada comme celle d'ailleurs, se sont plaint du fait qu'elles n'avaient pas de pouvoir en vertu de la loi d'espionner les communications sur l'internet. La loi C-36, particulièrement en ce qui concerne sa définition de l'acte terroriste, fait beaucoup pour répondre à leurs demandes.

Il y a trente ans, Jean Chrétien était ministre du gouvernement libéral de Trudeau quand ce dernier avait invoqué la Loi des mesures de guerre déclarant frauduleusement que les deux enlèvements par le Front de libération du Québec constituaient une «insurrection appréhendée». La loi C-36 ne donne pas au gouvernement le pouvoir arbitraire que lui donne la Loi des mesures de guerre de suspendre les libertés civiles fondamentales. Mais les changements qu'elle préconise seront permanents et établiront des précédents judiciaires et politiques lourds de conséquences.

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