wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

La classe dirigeante du Canada considère les implications de la « Forteresse Amérique »

Par Keith Jones et Jacques Richard
Le 6 novembre 2001

La demande adressée par Washington au Canada d'aligner ses politiques avec celles des États-Unis dans le cadre de sa « guerre au terrorisme » a provoqué une crise majeure au sein de la classe dirigeante économique et politique canadienne.

Il serait erroné de penser que cette crise démontre que certaines sections de la classe dirigeante s'opposent à l'assaut contre l'Afghanistan ou à l'engagement du gouvernement libéral de participer militairement à toutes les étapes de la présente guerre, indépendamment des États qui pourraient éventuellement devenir une cible de Washington. Bien au contraire, les médias bourgeois ont tous applaudi le ministre des affaires étrangères John Manley lorsque ce dernier a déclaré que le Canada devait soutenir le fardeau de la guerre s'il voulait maintenir son influence au sein du G7 et autres cercles impérialistes.

De la même façon, la classe dirigeante s'est ralliée derrière le projet de loi « anti-terroriste » des libéraux. Déposé au Parlement, ce projet de loi donnerait à l'État des pouvoirs sans précédents, y compris le droit d'emprisonner toute personne sur la base de simples soupçons, de contraindre les témoins à témoigner et de retenir des preuves contre les accusés sans les en informer. De plus, le projet de loi permet une définition suffisamment vague du terrorisme pouvant être utilisée contre tout gréviste défiant une loi antisyndicale ou personne faisant preuve de désobéissance civile.

La source de l'anxiété et de l'appréhension que vit la classe dirigeante canadienne provient du fait que les événements du 11 septembre ont clairement démontré sa dépendance évidente à l'accès libre au marché américain et partant, son extrême vulnérabilité aux pressions américaines.

L'intégration économique croissante du Canada face aux États-Unis a suscité des préoccupations bien avant le 11 septembre. Les États-Unis absorbent plus de 85 p. 100 des exportations canadiennes et le commerce américain représente 40 p. 100 du PIB total du Canada. C'est pourquoi les commentateurs bourgeois ont fréquemment émis des mises en garde contre le fait que le Canada mettait « tous ses ufs dans le même panier ».

L'arrivée de l'Euro, l'érosion de la valeur du dollar canadien et l'adoption du dollar américain dans la comptabilité des grandes entreprises canadiennes font que les économistes, les éditorialistes et les politiciens s'interrogent à savoir si le Canada peut continuer de maintenir sa propre monnaie.

La paralysie du commerce transfrontalier au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre a été un coup puissant asséné aux conseils d'entreprise canadiens. Dans les faits, la frontière Canada-États-Unis n'a été certes fermée que quelques heures. Mais pendant des jours, il y a eu des embouteillages de plusieurs kilomètres de long aux postes frontières les plus importants tels que ceux de Détroit et de Port Huron au Michigan, ou encore de Niagara Falls dans l'État de New York. Au moment d'écrire cet article, huit semaines plus tard, il n'est pas rare de voir des camionneurs attendre plusieurs heures avant de pouvoir entrer aux États-Unis. Avec plus d'un milliard de dollars en biens transitant tous les jours dans les deux sens et les nombreuses entreprises qui dépendent de délais de livraison serrés, notamment dans l'industrie de l'auto, les pertes se chiffrent déjà par dizaines de millions de dollars, sinon même par centaines de millions de dollars.

Le fait que l'administration Bush n'ait pas hésité à utiliser la question de la frontière pour exercer des pressions sur Ottawa dans ses négociations économiques accentue énormément les préoccupations des entrepreneurs canadiens. Les porte-paroles du gouvernement américain ont en effet signifié clairement que le Canada devait harmoniser ses contrôles frontaliers avec ceux de Washington en matière de politiques touristiques, d'immigration et de réfugiés, à défaut de quoi le transit des personnes et des biens serait touché. L'ambassadeur américain Paul Cellucci a été particulièrement direct dans ses demandes de coopération à l'endroit du Canada pour l'établissement d'un « périmètre de sécurité nord-américain ». Il a « conseillé » au Canada d'augmenter ses dépenses militaires, en plus d'exercer des pressions pour créer une « politique énergétique continentale » qui réunirait le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Manley s'engage à ce que le Canada fasse parti de la Forteresse Amérique

Les plus puissantes sections de la bourgeoisie canadienne ont rapidement acquiescé aux demandes américaines. Thomas D'Aquino, président du Conseil canadien des chefs d'entreprises, organisme représentant les 150 plus importantes entreprises du Canada, a demandé à Ottawa d'aligner ses lois en matière d'immigration et de sécurité avec celles des États-Unis et d'augmenter ses dépenses militaires et pour ses forces policières. « il est préférable de le faire, autrement les Américains vont nous faire fermer boutique ».

La menace des États-Unis est bien réelle. Mais les sections de la bourgeoisie et la droite politique voient également dans l'établissement de liens politiques plus étroits en matière de sécurité avec les États-Unis l'ouverture permettant de mener une nouvelle poussée pour « harmoniser » les impôts et les politiques sociales des deux pays. Depuis longtemps le Conseil canadien des chefs d'entreprises et l'Alliance canadienne, l'opposition officielle au Parlement, se plaignent que les impôts aux États-Unis sont plus bas et que les programmes sociaux et les services publics au Canada sont beaucoup trop généreux, surtout en comparaison des États-Unis.

La réaction du gouvernement libéral est plus ambivalente. Dirigeant le nouveau comité spécial « anti-terroriste » du cabinet, le ministre Manley des Affaires étrangères a soutenu que le Canada ferait sa part pour construire la Forteresse Amérique en déclarant : « nous devons tout faire pour satisfaire les États-Unis en ce qui a trait à la sécurité de nos frontières. Les enjeux économiques sont trop importants. Nous assurerons ainsi notre accès au marché américain (plus de 1,3 milliard $ américains transitent quotidiennement entre les deux pays). Nous ne pouvons laisser les États-Unis construire une muraille autour de leur pays et rester à l'extérieur ».

Néanmoins, tant Manley que le premier ministre Jean Chrétien évite l'utilisation de l'expression « périmètre de sécurité nord-américain » en insistant que le Canada préservera intégralement sa souveraineté sur son territoire et son pouvoir de faire ses lois. « Nous devons atteindre un juste équilibre, déclarait Chrétien lors d'une conférence de presse le mois dernier. Nous devons certes assurer la sécurité, mais pas au dépend du pays ». À une autre occasion, Chrétien a pris un ton encore plus défiant en déclarant que « les lois du Canada sont votées par le Parlement du Canada ».

De telles déclarations trahissent les réserves de la classe dirigeante canadienne et les peurs qu'elle ressent face à sa subordination explicite croissante à l'endroit des États-Unis en tant que partenaire junior de ces derniers, ainsi que devant l'érosion de sa capacité d'assurer ses propres intérêts mercenaires sur la scène internationale.

Depuis l'accord d'Ogdensburg de 1940, le Canada est allié militairement aux États-Unis. Le Capital américain a joué un rôle crucial dans l'expansion économique du Canada au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais la classe dirigeante canadienne n'en a pas moins jalousement défendu ses propres intérêts et cherché, d'abord au moyen du Commonwealth britannique, et ensuite en adoptant la « troisième option » de Trudeau, un moyen de contrer l'intégration sans cesse croissante du Canada dans l'économie continentale dominée par les États-Unis.

Hormis les nationalistes canadiens en leur sein, ce sont les sections les plus puissantes du Capital canadien, et non Wall Street, qui furent à l'origine de l'accord de libre-échange Canada-États-Unis de 1988. Craignant la montée du protectionnisme mondial, les grandes entreprises canadiennes étaient anxieuses d'acquérir un accès privilégié au marché américain. Encore pire, sans un tel accès, elles ne disposaient pas d'une économie d'échelle justifiant les innovations technologiques requises pour défendre même leur position protégée par des tarifs sur le marché intérieur.

L'ALE et l'ALENA qui suivit ont entraîné une réorientation fondamentale de l'économie canadienne. Le commerce avec les États-Unis a été le moteur principal de la croissance économique canadienne tout au long des années 1990. Mais le resserrement des liens économiques nord-sud a accentué les tendances centrifuges au sein de l'État-nation canadien. Ce n'est pas un hasard si les indépendantistes du Québec sont parmi les plus fervents supporters de l'adoption du dollar américain par le Canada. Par ailleurs, plusieurs sections de la bourgeoisie canadienne se montrent de plus en plus préoccupées du fait que le Capital canadien soit marginalisé dans la consolidation économique mondiale, et notamment que des entreprises américaines profitent de la valeur plus élevée de leur dollar pour acquérir leurs concurrentes canadiennes.

Eric Reguly, critique économique du Globe and Mail en matière d'affaires économiques écrit : « lier la prospérité économique du Canada aux États-Unis, le plus important marché de la planète, semblait une idée merveilleuse. Mais cela le semble moins maintenant que le Canada ne dépend presque entièrement d'une seule économie, qui était d'ailleurs en difficulté bien avant le désastre du World Trade
Center, et qui est ailleurs en chute libre depuis... Pour couronner le tout, les Américains peuvent maintenant utiliser la dépendance commerciale du Canada dans leurs pressions pour obtenir ce qu'ils veulent du pays ».

Les événements du 11 septembre n'ont fait qu'accélérer une crise qui se profilait depuis longtemps déjà. Parallèlement, la réponse de la bourgeoisie et du gouvernement canadiens aux événements du 11 septembre trahit comment la classe dirigeante canadienne entend réagir à sa marginalisation croissante. D'un côté, elle va lutter pour rester présente dans la lutte économique et militaire mondiale pour les profits et l'influence géopolitique; de l'autre, elle va s'en prendre à la classe ouvrière en effectuant de nouvelles compressions budgétaires dans les services publics et en attaquant les droits démocratiques.


Voir aussi :


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés