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Le Sida pourrait tuer 55 millions de personnes en Afrique d'ici vingt ans.

Par Ann Talbot
Le 15 juillet 2002

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Le 7 juillet 2002, à l'ouverture de la Conférence Internationale de Barcelone sur le SIDA, l'Organisme des Nations Unies contre le SIDA (ONUSIDA) a communiqué des chiffres qui montraient que l'épidémie n'avait pas encore atteint son point culminant. Bien que le SIDA ait causé la mort de trois millions de personnes au cours de l'année dernière, le Dr Peter Piot, Directeur exécutif du Programme commun des Nations Unies sur le VIH a annoncé à la conférence que l'épidémie n'en était qu'à son début.

Si cette évolution actuelle se confirme, on estime qu'il y aura à l'échelle mondiale 45 millions de nouveaux cas d'infection par le VIH.

D'ici vingt ans, on estime que le SIDA tuera 55 millions de personnes en Afrique. La propagation de la maladie a réduit à néant des décennies de développement. Dans de nombreuses régions de l'Afrique Australe, l'espérance de vie est retombée à ce qu'elle était il y a 30 ans.

Au Botswana, 38,5 pour cent des femmes enceintes étaient séropositives en 1997. Au cours de l'année 2000, ce pourcentage était passé à 44,9 pour cent. Parmi les femmes enceintes habitant dans des zones urbaines, ce taux est encore plus élevé. Plus de la moitié des femmes enceintes âgées de 20 à 30 ans sont séropositives au Botswana.

Le Cameroun et le Nigeria où la maladie était auparavant assez rare ont commencé à connaître une augmentation des contaminations. Au Cameroun, le taux de contamination chez les jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans était de 11,5 pour cent alors qu'il était de 12,2 pour cent chez les femmes âgées de 20 à 24 ans. On peut craindre que ceci soit le début d'une augmentation élevée du nombre de cas.

L'épidémie de SIDA s'aggrave sur le plan international. L'Inde et la Chine connaissent pour le moment un nombre limité de contaminations VIH. En Chine, il est estimé que 6,6 millions de personnes sont séropositives et 4 millions de personnes seraient dans ce cas en Inde. Mais cette situation est plus courante chez les toxicomanes et les prostituées. La situation en Afrique démontre que la maladie se propage à partir de ces groupes à risque vers le reste de la population.

Dans la Fédération de Russie, les cas ont doublé chaque année depuis 1998. Dans les pays d'Asie Centrale comme l'Azerbaïdjan, la Géorgie ou le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, la maladie se répand à grande vitesse. L'Ukraine connaît le taux de contamination le plus élevé (1 pour cent de la population est concerné).

Le bouleversement social qui a suivi la chute de l'Union Soviétique a joué un rôle significatif dans le développement de la maladie. Le rapport dit: "Plusieurs facteurs créent un terrain favorable pour la maladie. Le chômage élevé et l'insécurité économique frappe la plus grande partie de la région. Le Bélarus, la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la République de Moldavie, la Roumanie, la Fédération de Russie et l'Ukraine ont tous connu un recul de leur indice de développement humain au cours des deux dernières décennies".

Les experts avaient prévu que plus de 20 ans après son début la progression de la maladie devrait maintenant s'être ralentie. C'est le schéma classique de toutes les pandémies précédentes. Même la peste noire, dont il est estimé qu'elle a tué un quart de la population européenne au Moyen-Age a suivi ce schéma. Mais, comme plus d'un tiers de la population est séropositive dans certains pays d'Afrique, les derniers chiffres montrent que l'épidémie de SIDA n'a pas atteint un tel sommet et continue son travail mortel.

La question à poser est la suivante: Comment cela est-il possible au seuil du 21ème siècle? L'Europe médiévale a dû affronter la peste noire sans connaître les causes de cette maladie, ses moyens de transmission, comment on pouvait prévenir cette maladie et elle ne connaissait rien de la médecine ou de la santé publique. Par opposition, nous faisons face à l'épidémie de SIDA avec une connaissance vaste et élaborée de la médecine et nous avons des siècles d'expérience pour appliquer des mesures de santé publique. Nous connaissons l'agent causal de la maladie, ses moyens de transmission, tout comme ses moyens de prévention et bien que nous n'ayons toujours pas de traitement pour guérir la maladie, nous disposons de traitements médicamenteux pouvant allonger la vie des victimes en empêcher la transmission au nouveau-né.

Cependant, malgré cette situation favorable le SIDA menace déjà de tuer une proportion plus importante de la population africaine que n'a pu le faire la peste noire en Europe. En outre, l'épidémie de SIDA menace d'engloutir l'Asie, l'ancienne Union Soviétique et l'Europe de l'Est, où le taux de contamination augmente très rapidement.

Ce qui se produit ne peut être décrit que comme un crime majeur contre l'humanité et c'est un crime qui n'intéresse que très peu les médias. Les nouveaux chiffres effrayants ont été couverts pendant seulement quelques minutes par les journaux du jour avant qu'ils ne soient poussés à l'écart pour être ensuite passés sous silence, donnant au public l'impression d'assister au déroulement d'une catastrophe naturelle ordinaire. Tout est fait pour empêcher que la partie la plus importante de la population ne saisisse l'ampleur du problème et ne soit horrifiée par celui ci.

La vérité est que l'épidémie de SIDA est une catastrophe fabriquée par l'homme. Bien qu'ils aient les moyens de contrecarrer cette épidémie, les gouvernements occidentaux et les multinationales ne réagissent pas et ne font rien pour empêcher le développement de celle ci.

Sur les 28,5 millions de personnes séropositives en Afrique, seulement 30.000 reçoivent des traitements anti-rétroviraux qui ont enrayé le taux de mortalité dans les pays avancés. Ceci correspond à un malade pour mille. L'utilisation des médicaments anti-rétroviraux a limité le nombre de décès par SIDA dans les pays développés à 25.000 personnes.

Comme l'a souligné lors de la Conférence de Barcelone Morten Rostrup, président du Conseil International de Médecins Sans Frontières: "Si, en tant que médecin, je refuse d'aider un patient qui a un besoin urgent de soins médicaux, je commets une faute professionnelle et je pourrais être accusé d'enfreindre la loi Tous les jours, plus de 8.000 personnes meurent du SIDA. Malgré cela, la communauté internationale refuse de s'organiser pour trouver une réponse efficace au niveau mondial - nous sommes confrontés à rien de moins qu'un crime contre l'humanité."

Il a rappelé à la Conférence que les Nations Unies avaient débloqué une somme de 10 milliards de dollars afin de combattre le SIDA, la malaria et la tuberculose mais que pour le moment seulement 8 pour cent de cette somme était parvenue à ses destinataires.

Un porte parole d'Act-Up Paris a souligné: " Au cours des deux dernières années, rien n'a changé en ce qui concerne les sommes attribuées pour lutter contre le SIDA Les pays riches ne donnent pas les sommes qu'ils peuvent et qu'ils doivent engager." Il a dit que l'Union européenne devrait donner 4 milliards de dollars au fond, mais c'est seulement 200 millions de dollars qui ont été donnés.

Un représentant de la Commission européenne a essayé de justifier la contribution de l'Union européenne: "La commission est responsable d'un programme de 800 millions d'euros par an pour combattre le SIDA. On peut toujours dire que c'est beaucoup ou pas assez - c'est probablement insuffisant - mais je pense que cela représente un effort important en comparaison de ce que les font autres".

Il pensait évidemment à la contribution des Etats-Unis. Le président Bush n'a pas promis plus que la somme de 200 millions de dollars au fond mondial.

Une fausse dichotomie

Le manque chronique d'argent a entraîné une fausse dichotomie entre le traitement et la prévention. Il est avancé que la prévention constitue une utilisation plus efficace du peu d'argent disponible.

David Evans, un médecin employé par MSF au Mozambique, a dénoncé le système discriminatoire qui est sous-entendu dans cette évaluation: "Quand des experts de santé publique américains ou européens, nous disent que nous devrions nous concentrer uniquement sur la prévention parce que celle-ci est rentable, nous devons leur demander d'imaginer que si cette épidémie était en train de ravager leur société ils recommanderaient alors de se concentrer exclusivement sur la prévention en laissant mourir ceux qui sont déjà contaminés?"

Cela coûte à peu près 34.000 dollars par an pour maintenir en vie une personne malade du SIDA et 14.000 dollars pour maintenir une personne séro-positive en bonne santé. Le traitement par médicaments constitue la partie la plus importante de ces sommes qui vont directement dans les poches des géants de l'industrie pharmaceutique.

Le calcul sous-entendu ici est terrible. Beaucoup d'Africains vivent avec moins d'un dollar par jour. Dans le cadre d'une économie capitaliste, traiter ces personnes n'est absolument pas rentable.

Les sociétés pharmaceutiques gardent le monopole de la mise sur le marché des médicaments anti-rétroviraux au dépens de la vie de millions de personnes séropositives dans les pays pauvres. Ils font passer leurs bénéfices avant le bien-être de tout un continent.

Pour ce faire, ils sont soutenus par les gouvernements occidentaux. Ceux-ci ont utilisé l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) pour empêcher les pays pauvres de fabriquer et de mettre sur le marché des versions génériques moins chères des médicaments anti-SIDA.

Andrew Natsios, chef d'USAID (Agence Américaine pour le Développement International), a tenté de détourner les critiques des compagnies pharmaceutiques. Il a avancé que cela n'aurait aucun sens de mettre sur le marché des médicaments parce que les pays pauvres ne doivent pas savoir comment utiliser ceux-ci.

MSF a démontré que ce n'est pas vrai. L'organisation a récemment mené un certain nombre de projets pilotes au cours desquels des traitements anti-rétroviraux à coûts réduits étaient donnés à 1.000 personnes malades du SIDA en Asie, en Amérique Latine et en Afrique.

Les patients ont été capables de suivre scrupuleusement le traitement quand celui-ci leur était expliqué. Fred Minandi, un agriculteur de Malawi qui participe à l'expérience est venu à la Conférence comme preuve vivante de l'efficacité de celui-ci.

La dichotomie entre le traitement et la prévention est tout autant erronée parce qu'il n'y a pas non plus assez d'argent disponible pour financer un programme de prévention efficace.

Le groupe de travail de prévention du SIDA au niveau mondial suggère qu'il faut faire passer les dépenses pour la prévention à 4,8 milliards de dollars. Ceci est peut-être un chiffre donné au bas mot mais cela correspond à quatre fois la somme qui est actuellement engagée.

Certains professionnels du SIDA semblent avoir fait passer aux profits et pertes la génération actuelle d'Africains. Ils semblent penser que la seule solution consiste à stopper la propagation de la maladie aux jeunes générations et d'empêcher que la maladie ne se répande hors d'Afrique.

Le président de l'Université Makerere à Kampala a déclaré: "Nous n'avons pas réussi à agir de façon décisive dans les premiers stades de l'épidémie et maintenant nous en payons les conséquences. Mais il nous reste encore la possibilité de sauver du SIDA la prochaine génération d'Africains et d'empêcher des épidémies galopantes en Inde, en Russie et en Chine."

Des intervenants à la conférence ont à plusieurs reprises fait référence aux "facteurs de comportement" qui rendent difficiles l'application de programmes de prévention en Afrique.

Ils ont en particulier évoqué la position de soumission des femmes africaines, un des facteurs principaux entravant toute prévention efficace.

Au Zimbabwe, on sait que les écolières se prostituent pour payer leurs frais de scolarité. Dans toute l'Afrique, des jeunes femmes sont obligées de se marier très jeunes avec des hommes beaucoup plus âgés qu'elles. On dit qu'il est tout à fait courant de croire que des relations sexuelles avec une femme vierge guérissent du SIDA.

Mais des attitudes tellement rétrogrades et des coutumes sociales tellement oppressives sont le résultat d'une ignorance nées de siècles d'oppression et de dégradation.

Parmi ceux qui souffrent, ce sont toujours les plus faibles qui souffrent le plus. Faire de cette assertion une excuse pour la propagation explosive du SIDA c'est faire porter aux victimes la responsabilité de leurs propres souffrances.

Mbeki et l'Eglise

Dans la mesure où l'on puisse faire porter la responsabilité en Afrique, celle-ci doit être attribuée à certains gouvernements africains comme Thabo Mbeki et l'ANC qui ont ignoré ou nié le problème, ou aux églises qui ont fait campagne contre l'usage des préservatifs. La Conférence Episcopale Catholique d'Afrique du Sud a récemment dénoncé l'usage de préservatifs comme étant un pêché et ont prôné l'abstinence sexuelle comme moyen de combattre le SIDA.

Il a été nécessaire de traîner le gouvernement sud-africain en justice pour l'obliger à fournir des traitements médicamenteux aux femmes séropositives pour empêcher la transmission du virus à leurs enfants.

Effacer toute l'actuelle génération d'Africains revient à commettre un génocide. C'est une vision erronée et complètement irréaliste qui ne peut en aucun cas arrêter la propagation et qui laissera l'Afrique dans un état de dévastation totale.

Ceux qui sont infectés par le virus HIV sont des jeunes dans la force de l'âge. Les pays ont assisté à un anéantissement total de leur population économiquement active et ces morts ont laissé toute une génération d'orphelins. Le SIDA a déjà produit 11 millions d'orphelins en Afrique.

Si la population africaine peut être condamnée à un tel sort, il est peu probable que les habitants de n'importe quel autre continent soient traités avec plus d'égard. L'attitude des leaders politiques et des hommes d'affaires occidentaux n'a pas changé pour suggérer un programme de prévention qui serait appliqué avec plus de succès en Inde, en Chine, en Russie qu'il ne l'a été en Afrique.

Ce n'est pas le manque de ressources qui est le problème mais c'est la volonté d'utiliser ces ressources à bon escient. On considère que l'on peut se passer des vies de millions de personnes dans le monde entier parce que l'on considère que celles-ci ne sont pas essentielles aux bénéfices du grand capital.

A longue échéance, il s'agit là d'une perspective suicidaire. Le SIDA ne peut être contrôlé dans les pays les plus pauvres où la maladie fait en ce moment le plus de dégâts. Il y a beaucoup de mépris de la part des pays occidentaux parce que les programmes de prévention semblent avoir limité la maladie aux prétendus groupes à risque. Quand on voit l'augmentation explosive de la maladie sur le plan mondial, ceci ne peut être qu'un phénomène passager.

La destruction des financements de soins de santé et les mesures de santé publique dans les pays industrialises ne peuvent que favoriser la propagation de la maladie au sein des couches les plus défavorisées de la population.

C'est un signe du système capitaliste que le SIDA se soit répandu de telle façon, à une époque où notre société n'a jamais disposé d'une technologie aussi performante. Des millions de personnes en Afrique et de plus en plus de personnes sur d'autres continents sont sacrifiées sur l'autel des profits des compagnies multinationales qui contrôlent la technologie médicale.

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