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Le néo-fasciste Le Pen s'opposera au gaulliste Chirac au second tour

Le score du dirigeant du Front national aggrave la crise politique en France

Par Peter Schwarz
Le 23 avril 2002

Les résultats du premier tour des élections présidentielles en France représentent un séisme politique. Contrairement à toutes les prédictions, au second tour le 5 mai, ce sera bien Jean-Marie Le Pen, dirigeant du parti d'extrême-droite, le Front national, qui s'opposera au président sortant et non pas le Premier ministre Lionel Jospin (Parti socialiste). Le Pen a obtenu 17,2% des voix, ce qui lui a donné un avantage clair sur Jospin (15,9%). Chirac a obtenu 19,4% des voix.

C'est la première fois en 44 ans d'histoire de la Cinquième République, qu'un candidat d'extrême-droite sera présent au second tour des élections à la plus haute fonction de l'Etat. C'est la deuxième fois depuis 1969, année où Georges Pompidou et Alain Poher, deux candidats de droite, étaient restés au second tour, qu'il n'y a pas de candidat socialiste. Plusieurs représentants de la gauche plurielle, qui forme le gouvernement de Jospin, réagirent au succès de Le Pen avec horreur et désarroi. François Hollande, secrétaire du Parti socialiste, parla d'un "Choc pour le pays" et d'une "défaite cruelle et non-méritée". Robert Hue, dirigeant du Parti communiste, exprima "tristesse" et "colère". Le candidat des Verts, Noël Mamère, parla de la "pire crise politique de la France de l'après-guerre".

Jospin a assumé personnellement la responsabilité de la défaite et annoncé qu'il quittera la vie politique après le deuxième tour. Quoique le résultat de l'élection fût "décevant", il a dit qu'il était tout de même fier de son travail comme Premier ministre. Il rejeta la responsabilité de sa défaite sur la dispersion de la gauche et la démagogie de la droite.

La responsabilité de Jospin

En fait, Le Pen doit son succès inattendu avant tout à la Gauche plurielle au pouvoir, qui comprend le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, le Mouvement des Citoyens de Jean-Pierre Chevènement et le petit Parti radical de gauche. Les résultats des élections sont une condamnation dévastatrice de la politique de Jospin et de tous ceux qui chantaient ses louanges et le présentaient comme une soi-disant alternative de gauche au Premier ministre britannique Tony Blair ou au chancelier allemand Gerhard Schröder.

Jospin prit ses fonctions de Premier ministre en 1997, après que son prédécesseur Alain Juppé eut échoué dans sa tentative de démanteler les services sociaux et eut provoqué une énorme vague de grèves. Jospin réussit à acquérir une certaine popularité en promouvant l'illusion qu'une politique de réformes graduelles amélioraient la situation sociale de larges couches de la population, dans les conditions actuelles de mondialisation et d'intégration européenne. Sa pratique en tant que chef du gouvernement fut tout à fait autre. Elle s'adapta plutôt aux besoins du milieu des affaires et des finances.

Le gouvernement Jospin a privatisé plus d'entreprises d'Etat que ses deux prédécesseurs de droite réunis. De deux choses l'une: soit les réformes qu'il avait promises ne se réalisèrent jamais ou bien elle eurent des conséquences contraires aux attentes. Le grand projet de Jospin, une loi qui introduisait la semaine de 35 heures, n'améliora pas la situation des travailleurs, mais au contraire fut utilisée comme levier pour détruire les conditions de sécurité au travail et pour introduire la flexibilité. Les salaires furent baissés tandis que la charge de travail s'alourdissait. Bien que les chiffres du chômage s'améliorèrent pendant un certain temps, il en fut autrement de la sécurité d'emploi, avec l'augmentation du nombre de travailleurs obligés à travailler à temps partiel ou avec des contrats à durée déterminée (CDD).

La réputation d'homme de gauche de Jospin servit à promouvoir, dans l'intérêt de l'élite dirigeante, des illusions sur une amélioration graduelle de la situation sociale, tandis que les conditions d'importants secteurs de la population continuaient à se dégrader. Sa débâcle électorale démontre que ces illusions ont été largement détruites.

Le vote de dimanche représente le pire résultat du Parti socialiste depuis 1969, une époque où le Parti communiste était le principal parti de la gauche. Ce n'est pas que Jospin ait dû affronter des adversaires puissants. Son rival principal, le président sortant Chirac, se trouve profondément impliqué dans des affaires de corruption, et Le Pen, âgé de 73 ans, avait été mis au rancart tel un fossile politique suite à la scission où le Front national perdit une partie importante de ses adhérents en 1999.

Robert Hue, candidat du jadis puissant Parti communiste, qui travaille loyalement avec les socialistes depuis les années 1970, a essuyé des pertes encore plus cuisantes que Jospin. Le parti, avec 3,4% des voix, a été pratiquement éliminé. En 1995 il avait obtenu 8,7% des suffrages. Il a terminé onzième sur les seize candidats aux présidentielles.

La question de la sécurité et du respect de la loi, thème central de la campagne de Chirac, joua un rôle décisif dans les élections. Jospin essaya de surpasser Chirac dans son virage à droite. Ils rivalisèrent l'un avec l'autre: chacun demandait des sanctions plus dures pour les petits délinquants et les jeunes en proposant un "super ministère" pour la sécurité. Tout ceci a apporté de l'eau au moulin de Le Pen, qui depuis longtemps se spécialise dans la manipulation des anxiétés des couches sociales qui se sentent dans l'insécurité.

Cependant, il serait faux d'expliquer la défaite de Jospin par seulement des erreurs tactiques de campagne électorale. Il a pris en marche le train de la campagne sécuritaire de Chirac car il n'avait pas de solution progressiste à apporter aux problèmes sociaux qui sont à la base des peurs et des anxiétés d'importantes sections de la population. La situation désespérée des banlieues ouvrières, où des masses de jeunes chômeurs ne voient aucune perspective d'un avenir décent, et où des familles démunies sont parquées dans des appartements étroits, n'a nullement changé sous Jospin.

La polarisation sociale

Si l'on regarde le résultat des élections globalement, la cause objective de l'effondrement de l'alliance de gauche devient claire. La société s'est polarisée, le centre politique se désagrège, et des masses de gens cherchent des solutions plus radicales.

Si l'on additionne les voix de Le Pen à celles de Bruno Mégret, dirigeant d'une scission du Front national, il est clair qu'un cinquième des électeurs a voté pour l'extrême droite. A gauche, trois candidats qui se disent trotskistes se présentèrent aux élections: Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière (LO), Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et Daniel Gluckstein du Parti des travailleurs. Ensemble ils ont totalisé 10,6% des voix.
En plus, quelques 30% des gens inscrits sur les listes électorales se sont abstenus ou ont voté blanc ­ un record pour la France. Il y a sept ans le taux de participation au scrutin fut de 78%, un pourcentage déjà relativement bas à l'époque.

Ces résultats sont le reflet d'un processus de polarisation sociale qui rend de plus en plus difficile le maintien du statu quo par la suppression des contradictions de classes. Le fondement politique de la social-démocratie, dont la tâche fondamentale est l'endiguement des contradictions de classes, a été ébranlé.

Cette évolution ne se limite pas à la France. Alors que dans la seconde moitié des années 1990 des gouvernements sociaux-démocrates étaient à la tête de la majorité des pays de l'Union européenne, ces dernières années ils ont dû céder devant des gouvernements de centre droit en Autriche, Italie, Danemark et Portugal. Lors d'élections allemandes qui se tenaient en même temps qu'en France le parti social-démocrate au gouvernement a essuyé les plus grandes pertes de son histoire dans une élection d'Etat (Land).

Jusqu'à présent, la droite a bénéficié de cette évolution. Elle a essayé de détourner les angoisses des couches mécontentes de la population vers le chauvinisme et la réaction. En ce sens la France est un exemple typique, et Le Pen sait exactement comment faire. Le soir des élections il déclara à plusieurs reprises: « Socialement je suis à gauche, économiquement à droite et plus que jamais nationalement de France ».

Son discours de remerciement à tous ceux qui avaient voté pour lui et qui fut retransmis à la télévision nationale était un appel démagogique lancé aux couches sociales opprimées. Il déclara: "N'ayez pas peur de rêvez, vous les petits, les sans-grade, les exclus. Ne vous laissez pas enfermer dans les vieilles divisions de la gauche et de la droite..." Il poursuivit en lançant un appel direct à certaines sections de la classe ouvrière: "Vous, les mineurs, les métallos, les ouvrières et les ouvriers de toutes ces industries ruinées par l'euro-mondialisme de Maastricht. Vous, les agriculteurs aux retraites de misère et acculés à la ruine et à la disparition. Vous, qui êtes les premières victimes de l'insécurité, dans les banlieues, les villes et les villages..."

On considère que Le Pen a peu de chance de gagner au second tour des élections présidentielles. Il est très bas dans les sondages. Cependant les résultats du premier tour ont révélé l'aveuglement politique qui caractérise tout l'Establishment politique et des média, sans oublier son aile social-démocrate et stalinienne. La colère et la frustration immenses de larges sections de la population et le discrédit dans lequel a plongé l'appareil politique conservateur sont telles qu'elles pourraient produire une course à la présidence beaucoup plus serrée qu'on ne le prévoit aujourd'hui.

Même avec une victoire de Chirac il n'y a aucun doute que toute la classe politique virera encore plus à droite. Déjà les partis de la gauche plurielle appellent à voter pour Chirac, afin, disent-ils, d'arrêter Le Pen. Chirac qui risque une mise en accusation pénale s'il ne garde pas la présidence, sera, s'il est réélu, salué par la classe politique comme le rempart de la démocratie française.

Le résultat des élections témoigne de la crise grandissante de la Cinquième République. Les institutions politiques établies en 1958 à l'initiative du général de Gaulle, pour sauver la France d'une guerre civile à la fin de la guerre d'Algérie, montrent des signes grandissants de tension. A plusieurs reprises ces quinze dernières années, la présidence forte, établie par la constitution, s'est montrée incapable d'imposer sa politique du fait que le parlement était contrôlé par les partis d'opposition.

Cette cohabitation, tout d'abord du dirigeant du parti socialiste, Mitterrand comme président et de Chirac comme Premier ministre de droite, puis de Chirac comme président et du socialiste Jospin comme Premier ministre, a fini par être considérée comme une recette d'impasse politique. L'élection présidentielle de 2002 est la première à se tenir après modification de la constitution. En effet, le mandat présidentiel passe de sept à cinq ans et des élections législatives se tiendront un mois après les présidentielles dans le souci d'assurer au même parti politique le contrôle de la présidence et du parlement.

Mais les conseillers de Chirac expriment maintenant la crainte que la percée électorale du Front national combinée à la réaction antifasciste des électeurs de gauche ne prive les Gaullistes de la majorité aux élections législatives prochaines de juin et ne recrée l'impasse de la cohabitation sous une autre forme.

Il y a déjà des indications claires montrant que les tensions politiques vont se manifester dans la rue. Le succès électoral de Le Pen a choqué de larges sections de la population. Dès dimanche soir des milliers de gens sont descendus dans la rue dans plusieurs villes pour manifester contre Le Pen. Le 1er mai, jour férié qui précède de quelques jours le second tour des élections, promet de prendre la forme d'une manifestation de masse contre le Front national. Pour sa part, Le Pen a appelé ses partisans à manifester, comme tous les 1er mai, en l'honneur de Jeanne d'Arc, héroïne nationale française.

Crise de perspective politique de la classe ouvrière

Le fait que deux partis de droite seront en lice au deuxième tour des élections n'est pas le reflet exact des opinions politiques et des aspirations sociales de la population dans son ensemble. Le rôle du parti socialiste et de son allié stalinien, le parti communiste français, a été d'étouffer et de désamorcer toute expression organisée d'un sentiment socialiste et anticapitaliste chez les ouvriers et la jeunesse, permettant ainsi à la droite d'engranger des gains électoraux n'ayant pas de rapport avec sa base réelle de soutien populaire.

Même en tenant compte du fait que de nombreuses voix pour Le Pen sont en fait plus l'expression d'un vote protestataire à l'encontre de l'élite politique qu'un soutien à ses idées fascistes, le nombre de voix en faveur du dirigeant du Front national n'a rien d'écrasant. Seuls 4,8 millions d'électeurs sur 40 millions d'inscrits ont en fait voté pour Le Pen. Si on tient compte des abstentions, les deux candidats au second tour, Chirac et Le Pen, ne recueillent à eux deux que les voix d'un quart de l'électorat.

Néanmoins ce serait une erreur fatale potentielle que de sous-estimer les dangers pour la classe ouvrière du score de Le Pen. Son succès électoral est l'expression malfaisante de la crise profonde de direction et de perspective politique au sein de la classe ouvrière, non seulement en France mais dans toute l'Europe et en fait internationalement.

Des décennies durant lesquelles le mouvement ouvrier a été dominé par les bureaucraties staliniennes et social-démocrates ont porté des coups terribles à la conscience politique de la classe ouvrière. La conception même d'une politique indépendante de la classe ouvrière a été minée.

Le virage à droite abrupt des staliniens et des sociaux-démocrates ces deux dernières décennies, au cours desquelles ces partis se sont adaptés aux panacées libérales de la bourgeoisie et ont abandonné toute velléité de politique socialiste, a créé un énorme vide politique tout en provoquant une frustration et une confusion politique au sein de la classe ouvrière.

Dans la mesure où ces organisations politiquement malades continuent d'exercer une influence étouffante ­ dans l'absence d'une direction nouvelle qui propose une alternative authentiquement socialiste et révolutionnaire au capitalisme qui se délabre ­ la voie est grand ouverte aux mouvements de droite qui peuvent ainsi exploiter des griefs sociaux à des fins extrêmement réactionnaires.

Les élections de dimanche sont le reflet de la désorientation politique dans la classe ouvrière; un nombre significatif de travailleurs et de chômeurs a voté pour Le Pen et le taux d'abstention était élevé parmi ces sections de la population. Globalement, le score de Le Pen est passé, depuis les dernières élections, de 15% à 17% en dépit de la scission dans son organisation.

Le Pen a obtenu le pourcentage le plus élevé de voix parmi les jeunes et dans des régions ouvrières appauvries par les fermetures d'usines et de mines. On compte parmi ces régions certaines dans le Nord, comme autour de Lille, et en Alsace-Lorraine dans le Nord-Est, toutes d'anciens fiefs staliniens. Il a aussi fait de bons scores dans le Sud-Ouest où habitent beaucoup de nord-Africains et que le Front national a ciblés dans ses campagnes xénophobes.

Le taux d'abstention fut aussi plus élevé dans les quartiers populaires, surtout dans la grande banlieue parisienne ­ encore un ancien fief stalinien ­ avec un taux d'abstention de 32% en Ile de France et de 36% en Seine-Saint-Denis.

Bien qu'aucun candidat ni parti n'ait proposé une perspective politique capable de confronter avec succès la droite, les quasi trois millions de voix pour les trois candidats 'd'extrême gauche' ont fourni un signal clair qu'une telle perspective est recherchée. Il faut remarquer que pour la première fois dans l'histoire de la France deux candidats se réclamant du trotskisme, Laguiller (6% des voix) et Besancenot (4,3% des voix) ont devancé le Parti communiste (Robert Hue, 3,4% des voix), qui a une longue tradition stalinienne en France.

La campagne de propagande menée après la chute de l'Union soviétique contre Lénine et Trotski, dirigeants les plus importants de la Révolution d'octobre ­ campagne qui prit des proportions extrêmes en France ­ semble avoir eu des effets limités. Trotski est toujours vu, avec raison, comme le porte-drapeau de l'alternative politique socialiste à la social-démocratie et au stalinisme.

Il n'existe qu'une conscience vague des buts politiques prônés par Trotski, fondateur de la Quatrième Internationale. Laguiller, Besancenot et Gluckstein ne représentent pas les traditions ni le programme politique pour lesquels Trotski s'est battu.

Lutte Ouvrière de Laguiller a toujours refusé d'adhérer à la Quatrième Internationale, en invoquant la raison nationaliste et opportuniste selon laquelle cela nuirait à la crédibilité de l'organisation auprès des travailleurs en France. Les conceptions de cette organisation sont fort marquées par une orientation syndicaliste. Laguiller a fait de longs discours électoraux sans même mentionner la guerre en Afghanistan, la situation au Proche-Orient ni aucune autre question d'actualité internationale ­ comme si la France était une île posée sur une autre planète.

Besancenot appartient au soi-disant Secrétariat unifié, lequel déjà dans les années 1950 abandonna la lutte pour construire des partis indépendants de la Quatrième Internationale en faveur d'une collaboration avec différentes formations staliniennes, nationalistes et petite- bourgeoises. A présent, la Ligue communiste révolutionnaire travaille étroitement avec Attac, mouvement qui entretient des liens étroits avec le gouvernement Jospin et qui considère la défense de l'Etat-nation comme solution à la mondialisation.

Gluckstein est membre d'une organisation qui a des liens étroits avec la bureaucratie du syndicat de droite, Force Ouvrière, ainsi qu'avec des sections de l'appareil du Parti socialiste. Pendant près de deux décennies, Lionel Jospin fut lui-même membre de cette organisation, à une époque où il exerçait des fonctions de dirigeant au sein du Parti socialiste français.

Une réponse authentique aux menaces de la droite ne peut être basée que sur une perspective internationale dont le but est d'unifier les travailleurs en France et partout dans le monde sur un programme socialiste.

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