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L'élection présidentielle de France : ce que disent les nombres

par Peter Schwarz et Patrick Martin
27 avril 2002

Les décomptes publiés depuis le premier tour de l'élection présidentielle française permettent de faire une analyse plus précise du résultat qui a permis au néo-fasciste Jean-Marie Le Pen, dirigeant du Front national, de pouvoir affronter au second tour le président sortant, le gaulliste Jacques Chirac.

Si on les considère dans leur ensemble, les résultats électoraux sont l'expression d'une énorme polarisation de la société française. Les deux principaux partis de la bourgeoisie ont perdu un nombre considérable de voix. Si on prend comme point de comparaison le premier tour de la dernière élection présidentielle en 1995, la droite de Jacques Chirac a perdu environ quatre millions de voix alors que la «gauche plurielle» du premier ministre Lionel Jospin, du Parti socialiste, en a perdu 1,5 million.

Jospin lui-même a perdu 2,5 millions de voix par rapport à 1995, mais la plus grande partie de ces voix s'en est allée chez Jean-Pierre Chevènement du Pôle républicain et chez Christine Taubira du Parti radical de gauche, qui ont obtenu 2,1 millions à leur deux. Ces deux candidats avaient appuyé le candidat du Parti socialiste en 1995. Un autre membre de la coalition de Jospin, les Verts, a vu son vote croître d'environ un demi-million. Le Parti communiste a subi un effondrement historique, perdant plus de la moitié de ses votes, soit 1.640.000 par rapport à 1995.

La perte totale des voix qui sont allées à la coalition menée par le Parti socialiste correspond a peu de chose près aux gains réalisés par les partis de l'extrême gauche, qui ont obtenu 1,2 million de voix de plus qu'en 1995. Lors de cette élection, seule Arlette Laguiller de Lutte ouvrière avait brigué le suffrage. Cette fois, elle a été rejointe par deux autres candidats se proclamant trotskystes : Olivier Besancenot de la Ligue révolutionnaire communiste et Daniel Gluckstein du Parti des travailleurs. Ensemble, ils ont obtenu plus de trois millions de voix.

Les partis de l'extrême droite n'ont récolté que 900.000 voix supplémentaires. L'arrivée de Le Pen en deuxième position fut un choc politique, mais il n'a gagné que 250.000 de plus qu'en 1995. Son ancien allié, Bruno Mégret, qui a quitté le Front national en 1991 et s'est porté candidat à la présidence pour la première fois, a quant à lui obtenu 670.000 voix.

Les partis de l'extrême droite n'ont pas réussi à récolter plus qu'environ le quart des voix qu'a perdues la droite traditionnelle. Le groupe qui a le plus augmenté en terme numérique est celui des abstentionnistes, les électeurs inscrits à la liste électorale mais qui ne se sont pas présentés aux bureaux de scrutin, dont le nombre a augmenté de trois millions depuis 1995. Ceux qui sont allés voter, mais ont refusé de choisir un des seize candidats, déposant des bulletins blancs ou annulés dans l'urne, ont considérablement augmenté en nombre.

Comme l'a souligné un analyste de Libération, un quotidien aux penchants sociaux-démocrates, les votes exprimés ont montré une France divisée en trois camps presque égaux, chacun comptant de 9 à 10 millions de voix : le camp de la «gauche» gouvernementale du premier ministre Lionel Jospin, le camp de la «droite» gouvernementale du président Jacques Chirac et le camp anti-gouvernemental de ceux qui ont voté soit pour les néo-fascistes soit pour l'extrême gauche. Ceux qui n'ont pas voté ou ont annulé leur vote forment un camp encore plus grand d'environ douze millions de personnes.

L'arrière-plan social du vote

Le quotidien Libération et l'Institut Louis Harris ont mené un sondage téléphonique le jour de l'élection auprès de 2175 personnes. Les chiffres ont nécessairement un caractère provisoire, mais il est quand même possible d'en tirer une certaine analyse sur la composition sociale du soutien pour les différents partis.

Le Parti socialiste de Jospin est un parti de la classe moyenne, et pas un parti ouvrier. Selon le sondage de Libération, l'électeur type de Jospin a le profil suivant: homme, âgé de 25 à 34 ans, cadre moyen ou supérieur, ou employé de bureau dans le secteur public. Il est bachelier et a fait des études supérieures et gagne entre 1500 et 3000 euros par mois. On trouve aussi beaucoup d'abstentionnistes dans cette catégorie.

Par comparaison, Jospin a reçu un faible appui chez les gagne-petit et les personnes moins scolarisées et, de façon générale, les ouvriers. En 1995, 25 pour cent des ouvriers votaient encore pour Jospin. Cette fois, seulement 12 pour cent d'autres eux ont voté pour lui. Les couches sociales inférieures ont tourné le dos au Parti socialiste et à sa coalition gouvernementale.

Jacques Chirac a trouvé son appui dans les couches de la population plus âgées et plus conservatrices, surtout à Paris et dans l'Ouest de la France, plus prospère. Paris est la seule région du pays où la coalition au pouvoir de Chirac et Jospin a gagné plus de 50 pour cent du vote total. Le Pen et l'extrême gauche ont obtenu leur pire résultat dans la capitale nationale.

Chirac a reçu l'appui de 31 pour cent des personnes âgées de plus de 65 ans, et seulement 16 pour cent de celles qui avaient moins de 25 ans. Le désillusionnement envers le président corrompu et réactionnaire est grand au sein de la jeunesse. Il y a sept ans, Chirac avait pu gagner 29 pour cent de l'électorat de la jeunesse.

En général, l'analyse du vote par tranches d'âge offre un contraste remarquable. Les deux candidats qui s'affronteront au deuxième tour, Chirac et Le Pen, ont gagné 50 pour cent du vote des personnes âgées, mais seulement 25 pour cent du vote de la jeunesse. Cela surprend peu à la lumière des efforts de tous les partis bourgeois et des médias pour faire monter la crainte face au crime et pour en jeter la responsabilité sur les jeunes et les immigrants.

Qui a voté pour Le Pen?

Les électeurs de Le Pen viennent surtout de deux secteurs de la société, tant du point de vue de la géographie que de la position sociale. Il a gagné l'appui des couches petites-bourgeoises des secteurs ruraux moins développés, surtout du Sud et de l'Est de la France où on trouve une longue tradition de populisme de droite qui remonte aux campagnes de Pierre Poujade dans les années 1950 (Le Pen avait amorcé sa carrière politique en tant que député parlementaire poujadiste).

On trouve l'autre source importante des votes pour Le Pen chez des cols bleus en colère, surtout parmi des sections plus âgées dans le Nord et le Nord-est, qui ont été particulièrement touchées par les fermetures d'usines et des mines depuis une décennie. Un ouvrier sur quatre et 23 pour cent des électeurs gagnant moins de 1500 euros a voté pour Le Pen. Selon le sondage, «Ce glissement de l'électorat populaire et plus âgé vers le vote FN est la principale clef du scrutin».

Le Pen a aussi obtenu 32 pour cent du vote des commerçants et des artisans qui avaient en grande partie voté pour le réactionnaire Philippe de Villiers, un ancien allié de Chirac qui a quitté les gaullistes à cause de la question de l'intégration européenne et fait campagne pour le rejet de traité de Maastricht qui créait l'union monétaire européenne. De Villiers n'a pas brigué les suffrages cette année, ce qui laissé les coudées franches à Le Pen pour faire appel au ressentiment populaire envers les conséquences de l'intégration européenne. (Une récente étude à montrer que le vote anti-gouvernemental, celui de la droite additionné à celui de la gauche, était étroitement corrélé avec le vote contre le traité de Maastricht lors du référendum sur l'acceptation de ce dernier).

Le Pen a aussi augmenté son appui chez les ouvriers et les sections inférieures de la classe moyenne vivant dans les banlieues où l'on trouve de grands problèmes sociaux. Dans plusieurs de ces régions, Le Pen est arrivé premier, au-dessus de Chirac et Jospin.

Les jeunes ont peu voté pour Le Pen, alors que 12 pour cent des personnes ayant moins de 25 ans ont voté pour lui. Par comparaison, le pourcentage des électeurs de plus de 65 ans qui a voté pour lui a plus que doublé, passant de 9 pour cent à 19 pour cent.

Lorsqu'on a demandé aux électeurs de Le Pen ce qui les avait poussés à voter pour lui, 73 pour cent ont répondu l'insécurité. L'immigration fut citée par 30 pour cent d'entre eux. Le niveau des impôts, l'avenir des retraites et la situation du chômage furent cités par environ 16 pour cent des personnes. Environ un tiers de ceux qui ont déclaré vouloir «sanctionner» Chirac ou Jospin ont déclaré avoir voté pour Le Pen.

Débâcle pour le stalinisme français

Les résultats du 21 avril ne sont rien de moins qu'une débâcle pour le Parti communiste. Le PCF n'a obtenu que 3,4 pour cent du vote alors qu'il avait fait 8,6 pour cent en 1995. Son vote est passé de 2,6 millions à 960.000, la plus grande dégringolade parmi tous les partis, que ce soit en termes absolus ou relatifs. Parce qu'ils n'ont pas réussi à atteindre la marque des cinq pour cent, les staliniens ne seront pas remboursés par l'État pour leurs frais de campagne et font face à un immense déficit financier.

Même si la LCR et la LO ont depuis longtemps abandonné toute allégeance véritable au programme révolutionnaire de la Quatrième Internationale, il est néanmoins révélateur que ces deux organisations se proclamant trotskystes aient chacune obtenu plus de voix que les staliniens. Le vote combiné des trois partis publiquement identifiés à Trotsky a été trois fois plus important que le vote pour le parti qui a servilement défendu Staline, un parti qui obtenait il y a 20 ans seulement l'appui loyal de la majorité des travailleurs politiquement actifs.

Dans plusieurs des villes et banlieues ouvrières depuis longtemps acquises au PCF, le parti qui a recueilli le plus de voix au premier tour le 21 avril est le Front national. C'est ce qui a pris place à Calais, la plus grande ville avec un maire communiste et dans plusieurs banlieues de la «ceinture rouge» de Paris. Le candidat présidentiel du PCF, Robert Hue, a attiré l'attention pour la première fois il y a 20 ans lorsqu'en tant que maire d'une de ces banlieues, il avait organisé une manifestation devant la maison d'une famille d'immigrés prétextant qu'elle était un repaire de criminels. Les staliniens ont ainsi ouvert la voie à la désorientation des ouvriers français sur les questions de sécurité et d'immigration, les questions mêmes que Le Pen utilise aujourd'hui pour démolir leur base parlementaire.

Les votes pour l'«extrême gauche» viennent surtout, comme pour Le Pen, des grandes régions industrialisées qui ont été très touchées par le déclin de l'industrie minière, textile et autre. Dans les châteaux forts traditionnels du Parti communiste et du Parti socialiste, plusieurs électeurs ont voulu signifier leur mécontentement en votant pour les partis soit le plus à gauche, soit le plus à droite.

La crise de la classe ouvrière

Aux portes d'une usine Citroën près de Paris, Libération a demandé aux ouvriers ce qui avait motivé leur choix électoral. Presque tous ont exprimé leur dégoût pour Jospin, déclarant qu'ils en avaient assez de ses promesses. Ils ont dit que la semaine de 35 heures avait mené à une plus grande liberté d'exploitation pour le patronat. Les payes avaient diminué alors que les horaires flexibles et la précarité avaient augmenté. De trois travailleurs interrogés, qui s'entendaient bien entre eux, un avait voté pour Laguiller, un pour Le Pen, et un pour Chirac.

Dans usine fabriquant des pièces automobiles dans les Vosges, un massif boisé de l'est de la France, une ouvrière a déclaré qu'elle avait voté pour Laguiller parce qu'elle était insatisfaite des politiques de Jospin. Sa collègue de 52 ans, par contre, vote depuis un certain temps pour Le Pen. «La gauche ne comprend pas nos problèmes», a-t-elle dit. «Aujourd'hui, il n'y en a plus que pour les cadres, nous on ne compte plus.»

Ces exemples sont peut-être limités, mais ils montrent que le résultat électoral n'est pas dû à un malentendu ou à une erreur de calcul. Les contradictions sociales, qui se manifestent de façon plus aiguë dans les conditions insupportables régnant dans les banlieues et les régions industrielles dévastées, se sont tellement intensifiées qu'elles ne peuvent plus tenir dans le cadre des mécanismes politiques traditionnels. Les vieux partis et les vieilles institutions bourgeoises ne sont plus capables d'exprimer les besoins de larges couches de la population, voire de répondre à leurs attentes.

Il n'y a que deux solutions possibles à la crise des institutions démocratiques bourgeoises exprimée dans les résultats électoraux : l'alternative de droite, fasciste, personnifiée par Le Pen ou l'alternative de gauche, socialiste, où la classe ouvrière prend l'initiative de devenir la force politique dominante de la société.

Le fait que plusieurs ouvriers aient exprimé leur colère envers l'établissement en votant pour Le Pen montre que le problème central est la crise de direction et de perspective politique de la classe ouvrière. Pendant des décennies, le mouvement ouvrier a été dominé par les bureaucraties sociale-démocrate et stalinienne, ce qui a eu pour effet de miner la conscience politique de la classe ouvrière. L'unique façon de trouver une solution à cette crise est de construire un parti indépendant sur la base d'une perspective socialiste et internationale.

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