wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

Deux pilotes boucs émissaires dans l'incident du bombardement des « forces amies» en Afghanistan

par Peter Symonds
18 septembre 2002

Utilisez cette version pour imprimer

Dans une tentative cynique de trouver un bouc émissaire, l'armée de l'air américaine a annoncé vendredi dernier qu'elle avait l'intention d'accuser deux de ses pilotes de F-16 pour l'incident du bombardement des « forces amies » en Afghanistan. Le 17 avril, quatre soldats canadiens avaient trouvé la mort et huit avaient été blessés. Le major Harry Schmidt et le major William Umbach doivent faire face à quatre accusations d'homicide involontaire, à huit accusations d'agression et à une accusation de manquement au devoir. S'ils devaient passer devant une cour martiale avec toutes ces accusations, alors ils pourraient écoper de 64 ans d'emprisonnement et perdre salaires et autres avantages. C'est la deuxième fois seulement que des membres de l'armée américaine sont poursuivis pour avoir attaqué des « forces amies » dans une zone de combat, la fois précédente étant en Irak en 1994.

Le moment qui fut choisi pour annoncer les poursuites montre le véritable objectif poursuivi. L'incident s'est produit il y a plus de cinq mois et a provoqué un tollé de protestations au Canada et plusieurs avaient alors demandé que les militaires américains impliqués soient punis. Une enquête menée conjointement par les Américains et les Canadiens sur les causes du bombardement a été complétée au début de juin, il y a déjà trois mois, mais le rapport n'avait pas été rendu public. Ce n'est que maintenant, alors que l'administration Bush mène une campagne intensive pour gagner des appuis au sein de l'ONU pour la guerre contre l'Irak, qu'une version très épurée du rapport a été publiée et que les accusations ont été annoncées.

La décision de poursuivre les deux pilotes a clairement pour objectif de mettre de côté ce qui pourrait être un obstacle embarrassant à l'appui du Canada à une résolution stricte de l'ONU contre l'Irak. Le ministre canadien de la Défense, John McCallum a dit des accusations qu'elles étaient « exceptionnellement dures » et a déclaré « que du point de vue du Canada, ceci était une excellente nouvelle ». Le lundi suivant, le Canada qui jusqu'alors n'avait pas appuyé l'attaque contre l'Irak s'est joint à ceux qui demandaient que l'Irak admette de nouveau des inspecteurs de l'armement sinon quoi il subirait l'assaut américain.

Il n'y a aucun doute que Schmidt et Umbach portent une part de responsabilité dans la mort des quatre soldats. Les troupes canadiennes effectuaient un exercice de tirs au sol dans la nuit du 17 avril, dans la région de la ferme Tarnak près de la ville de Kandahar au sud de l'Afghanistan. Schmidt et Umbach, patrouillant dans la région, ont présumé que les tirs qu'ils voyaient étaient dirigés contre leur F-16.

Alors qu'il avait tout d'abord reçu le message de « demeurer en attente » de la part du contrôleur d'un avion AWACS, Schmidt a déclaré « Je vois des hommes sur une route et une pièce d'artillerie qui nous tire dessus. Je passe à l'attaque pour me défendre. » Il a alors plongé, visé sa cible et envoyé une bombe de 250 kg guidé par laser sur les troupes canadiennes. La procédure normale aurait été, peut-on lire dans le rapport, de prendre de l'altitude pour éviter tout danger. Le rapport concède toutefois qu'aucun des deux pilotes n'avait été informé que les Canadiens tenaient un exercice de tir réel nocturne, même si des officiers canadiens en avaient informé le commandement militaire américain. Il semble aussi que les contrôleurs de l'AWACS n'étaient pas au courant de la tenue de l'exercice canadien.

L'avocat de Schmidt, Charles Gittins, a indiqué que lors du mois précédent l'incident, des pilotes ont à huit occasions faussement rapporté des « tirs ennemis » dans la région de la ferme Tarnak, là où s'entraînaient les troupes canadiennes. Son client n'avait jamais été instruit sur ces incidents ni sur les entraînements des Canadiens. Gittins a dit que si Schmidt avait eu cette information, il aurait pu noter la position des entraînements dans son ordinateur de bord, ce qui aurait empêché qu'une bombe puisse y être lâchée.

Pourquoi attaquer?

Toutefois, le débat sur la procédure qu'il aurait fallu suivre dans les circonstances passe à côté de la question qui vient immédiatement à l'esprit : pourquoi Schmidt voyant les éclairs des armes à feu a-t-il réagi en « passant à l'attaque » sans même avoir pris le temps de savoir qui tirait et pour quelle raison? Les troupes canadiennes ne tiraient pas sur les F-16, mais horizontalement sur des cibles au sol. Ils utilisaient des armes anti-chars et des armes lourdes et pas des pièces d'artillerie comme l'a dit Schmidt.

Ce n'est pas une erreur qui s'explique par un manque d'expérience. Schmidt était un pilote de la marine qui jouissait d'une excellente réputation professionnelle, un diplômé de l'école pour les pilotes d'élite de la marine américaine. Il a occupé des postes de pilote instructeur au sein du 183e Escadron de combat de la Garde nationale de l'air de l'Illinois. La décision qu'il a prise de passer à l'attaque plutôt que de se mettre hors de danger ne peut se comprendre que si l'on se met dans le contexte dans lequel la guerre en Afghanistan est menée par l'administration Bush et par le Pentagone.

Le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, et les représentants du Pentagone ont dit de chaque incident où des civils étaient victimes d'attaques américaines que c'était une conséquence malheureuse, mais inévitable de la guerre. Le commandement américain ne fait pas le recensement des morts chez les civils et pour la plupart des incidents ne fait même pas une enquête officielle. Selon des estimations indépendantes, le nombre des morts parmi les civils dépasse les 3000. Dans de nombreux cas, les forces afghanes loyales envers le président afghan appuyé des Américains, Hamid Karzai, ont été bombardées ou attaquées par des troupes au sol.

Une de ces attaques qui est la mieux connue a pris place aux petites heures du premier juillet quand un bombardier américain AC-130 a attaqué un ensemble de bâtiments du village de Kakarak, ce qui s'est soldé par la mort de 48 personnes, surtout des femmes et des enfants, et des blessures pour 117 autres. Karzai a été forcé de se plaindre aux États-Unis, ce qu'il a fait avec peu de conviction, parce qu'il se trouvait de ses supporteurs locaux parmi les victimes. Les militaires américains ont nié qu'ils aient eu quelque responsabilité que ce soit dans cette affaire et continuent à déclarer malgré l'absence de la moindre preuve en faveur de la thèse que leur avion a été la cible d'un canon anti-aérien.

Dans un tel contexte, l'explication la plus plausible pour les gestes de Schmidt le soir du 17 avril était qu'il suivait ses instructions. Alors qu'il a peut-être contrevenu aux procédures prévues dans un tel cas, les gestes de Schmidt étaient en accord avec la ligne générale de ses objectifs opérationnels qui étaient, comme il est écrit dans le rapport officiel de l'enquête, « neutraliser le réseau et les capacités militaires d'Al Qaeda et des talibans, débusquer le centre de commandement et le centre de contrôle, détruire les cibles, continuer à surveiller et développer le renseignement, maintenir l'aptitude au combat, démontrer la détermination américaine et protéger les intérêts des États-Unis ».

Comment un pilote doit réaliser ces objectifs (distinguer l'ami de l'ennemi, le civil du combattant, le soir et à haute altitude), de ça rien n'est dit. Mais il est évident que celui qui n'a pas été explicitement désigné comme un ami est considéré dans le camp de l'ennemi et qu'il devient par le fait même légitime de le détruire. En plongeant pour attaquer un groupe non identifié d'hommes armés, Schmidt ne faisait que répéter les gestes que les autres pilotes ont faits de nombreuses fois avant lui. Si jamais on devait remettre une de ses actions en question, Schmidt n'avait qu'à déclarer qu'il était en état de « légitime défense » pour obtenir l'appui de ses supérieurs.

L'attitude agressive de Schmidt a été encouragée par ce que le rapport officiel appelle très prudemment « la direction inefficace et la complaisance pour faire respecter la discipline et les normes » qui ont créé un « climat de complaisance chez les pilotes de l'escadron ». Mais la véritable responsabilité pour la création de ce « climat de complaisance » qui amène les pilotes à croire qu'ils peuvent attaquer des cibles non identifiées en toute impunité est portée toute entière par le commandement. Le principal coupable de cet état de fait est l'administration Bush qui s'est lancée dans son aventure colonialiste en Afghanistan avec une indifférence méprisante envers la vie humaine.

Dans le cas de l'incident de Kakarak, une enquête officielle des Américains a complètement exonéré l'armée. Malgré l'échec des enquêteurs de trouver la moindre preuve sur le site des événements, le rapport a insisté pour dire qu'un canon anti-aérien s'était trouvé dans l'ensemble de bâtiments de Kakarak et qu'il avait été utilisé pour tirer sur le AC-130 américain. Le centre de commandement américain n'a rendu public qu'un résumé sommaire du rapport qui ne comprenait aucune retranscription des transmissions radio du pilote ni de détails opérationnels même censurés.

L'unique raison pour les accusations portées contre Schmidt et Umbach est qu'il s'est avéré que les morts étaient des soldats canadiens. S'il avait fallu que les pertes soient chez les Afghans, l'incident aurait été balayé sous le tapis et vite oublié.


Voir aussi


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés