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Canada: Crise de l'eau contaminée à Walkerton

Les directeurs de l'agence des services publics deviennent les boucs émissaires des coupures des conservateurs ontariens

Par Keith Jones
6 mai 2003

Stan et Frank Koebel, les frères qui occupaient les plus hauts postes de la Commission des services publics de Walkerton en mai 2000 lorsque le système d'aqueduc fut contaminé par la bactérie e-coli, sont désignés comme boucs émissaires d'une tragédie pour laquelle le gouvernement conservateur ontarien est le principal responsable.

Stan Koebel, l'ancien directeur de la Commission des services publics a été accusé le mois dernier de sept chefs d'accusations punissables de deux à dix de prison. Ceux-ci incluent d'avoir mis le public en danger, d'avoir falsifier des documents, et d'avoir abusé de la confiance qu'on lui accordait. Frank, qui travaillait pour son frère en tant que contremaître, fait face à cinq chefs d'accusations semblables. Les frères comparaîtront en cour le 10 juin.

En annonçant les chefs d'accusations contre les Koebel, un porte-parole de la police provinciale ontarienne a déclaré qu'il était très peu probable que d'autres personnes soient accuséees en regard de la tragédie de Walkerton.

L'empoisonnement du système d'eau potable de Walkerton, une des plus grandes tragédies dans l'histoire de la santé publique au Canada, a résulté en sept morts et a laissé jusqu'à 1000 des 5000 citoyens de cette petite ville avec des problèmes de santé allant de la diarrhée chronique et de maux d'estomacs jusqu'à l'arthrite et des problèmes de reins et de cur.

Le fait que les Koebel ont été négligents face à leurs responsabilités est incontestable. Pendant l'enquête publique sur la tragédie, les frères ont admis avoir commis pendant des années des actes douteux, comme avoir inscris de fausses données dans les registres. Initialement, en mai 2000, la Commission des services publics de Walkerton avait caché la contamination à la bactérie e-coli, ce qui a entraîné un délai crucial avant l'envoi du signal d'alarme de faire bouillir l'eau du robinet.

Mais, les accusations portées à l'endroit des frères sont une tentative évidente d'attribuer le blâme de la tragédie de Walkerton à des subalternes qui ne possédaient même pas les compétences requises pour accomplir de telles tâches. (Aucun des Koebel n'avaient plus qu'un secondaire et aucun des deux ne comprenaient les conséquences fatales de la contamination à la bactérie e-coli.)

Le cabinet des conservateurs provinciaux, à l'inverse, a été averti à plusieurs reprise, incluant par les hauts fonctionnaires du ministère de l'Environnement, que des coupures massives dans les budgets du ministère et dans le personnel ainsi que la privatisation de l'analyse de l'eau exposaient le public à de graves dangers.

Comme il fallait s'y attendre, le National Post, le porte-parole des sections les plus voraces de la grande entreprise canadienne, a rapidement déclaré que les accusations criminelles contre les Koebel exonéraient l'ancien premier ministre Mike Harris et son programme de privatisation, de déréglementation et de coupures draconiennes dans les services sociaux publics.

«Déterminer si la Couronne est en mesure de faire sa preuve contre [les Koebel] revient aux tribunaux», pouvait-on lire dans un éditorial du Post du 25 avril. «Rien de ce qui arrivera aux deux frères ne pourra compenser pour les pertes de vie en 2000 ou ne pourra effacer les dommages injustifiés à la réputation politique de Harris. Il est néanmoins encouregeant de savoir que les vrais coupables doivent maintenant répondre de leurs actes.»

L'actuel premier ministre conservateur, Ernie Eves, a laissé au Post le soin de livrer sa propre pensée politique. Lorsqu'il s'est fait poser des questions sur les accusations en rapport à la tragédie de Walkerton, il parla vaguement de multiples «facteurs contributifs» et de «plusieurs choses malheureuses qui sont survenues à Walkerton». Le ministre de l'Environnement, Chris Stockwell, a nié que lui et le gouvernement n'ont tirez aucune satisfaction quant à la décision de passer uniquement les frères Koebel en cour. «C'était une terrible, terrible tragédie. Je n'éprouve aucun sentiment de justification. Je n'éprouve aucun sentiment de soulagement.»

En proie à d'intenses pressions publiques, les conservateurs ont été forcés d'annoncer une enquête judiciaire sur la tragédie de Walkerton quelques semaines après la contamination à la bactérie e-coli. Même si cette enquête fut établie par le gouvernement et que son mandat était très limité, elle a néanmoins attribué une grande partie des responsabilités de la tragédie aux actions du gouvernement conservateur. Elle avait révélé que le premier ministre Harris et d'autres hauts ministres conservateurs avaient ignoré des avertissements précis qu'ils plaçaient des vies en danger en sabrant dans le financement du ministère de l'Environnement.

En fait, le gouvernement n'a même pas entrepris d'analyse de risque, croyant que tout danger « était contrôlable. » Pour des raisons idéologiques, les conservateurs se sont empressés de privatiser le système d'analyse de l'eau et, en faisant cela, n'ont pas mis en place de procédures obligatoires afin de s'assurer que les mesures appropriées allaient être prises si jamais on découvrait que l'eau était contaminée. À cause des coupes, le ministère de l'Environnement n'a jamais fait le suivi des ordres qu'il avait donnés à la Commission des services publics de Walkerton sur les procédures à suivre et sur les réparations à faire.

Harris, fidèle à son image publique d'homme fort et qui a les pieds à terre a dit durant l'enquête de la commission, qu'il acceptait la responsabilité ultime des actions et des politiques de son gouvernement. Mais confronté à la preuve qu'il avait ignoré de façon injustifiée les avertissements qu'on lui faisait sur les conséquences de ses coupures, il eu recours aux subterfuges et aux mensonges les plus crus.

Mais comme le confesse l'éditorial du Post, le témoignage de Harris était accablant. Tellement accablant, en fait, que les évènements de Walkerton étaient l'un des principaux facteurs qui l'ont amené à prendre la décision de quitter son poste de premier ministre en octobre 2001 et de chef des conservateurs de l'Ontario le printemps suivant.

L'avocat de Stan Koebel, Bill Trudell, a rejeté les accusations portées contre son client en dénonçant l'ingérence de la politique dans les procédures criminelles. «On dirait qu'il n'y a rien d'indépendant dans cette enquête», a dit Trudell. Il a noté que le procureur général actuel, Norm Sterling, était un ancien ministre de l'Environnement et, qu'à ce titre, a été un témoin de premier plan durant l'enquête sur la tragédie de Walkerton. Sterling, déclare Trudell, «représentait un gouvernement qui voyait que la santé publique et l'environnement étaient à risque, mais décidait de juger que le danger était controlable.»

Plusieurs personnes à Walkerton sont outrées qu'il n'y ait pas d'accusations portées contre Harris et d'autres représentants du gouvernement ontarien. Clayton Gutscher, membre de l'Association des contribuables de Walkerton a dit au Toronto Star: «Je suis extrêmement déçu qu'il n'y ait pas d'autres accusations que celles portées contre les frères Koebel. Les gens politiquement responsables ont échappé à ce qu'ils auraient dû subir.»

« Ils font des frères Koebel des boucs émissaires comme ils l'ont toujours fait», a dit Ron Leavoy, président des Citoyens concernés de Walkerton, un groupe formé en réponse à la crise de la contamination et qui a pris la tête de la campagne pour une enquête publique. « Je ne crois pas qu'ils sont allés assez haut dans l'échelle. »

Le vice-président des Citoyens concernés de Walkerton, Bruce Davidson, a dit au World Socialist Web Site, «C'est évident que le ministère de l'Environnement était au courant que Walkerton n'était pas conforme depuis plusieurs années Laisser entendre que cela ne mérite pas une quelconque forme de sanction, que ce soit criminel ou non, envoie un très mauvais message. Si nous jetons un coup d'il au ministère qui nous a laissé dans une situation aussi misérable, nous devons alors regarder au-delà, jusqu'au bureau du premier ministre, là où on trouve cette attitude d'éliminer les réglementations pour laisser la voie libre aux entreprises, là où les réductions des dépenses ont préséance sur la protection des vies humaines

«Ça me fait penser à une situation militaire où le soldat est envoyé en cour martiale et que le sergent et le général ne sont que transférés vers des positions de consultant. Je pense que les gens sont disposés à accepter que le travailleur de premier plan soit tenu responsable s'ils voient que les mêmes mesures sont prises jusqu'aux échelons les plus élevés.»

Ironiquement, le dévoilement des accusations en rapport à la tragédie de Walkerton arrive lors d'une autre crise de santé publique en Ontario: l'émergence du SRAS. Et, ici aussi, il y a de plus en plus de preuves démontrant que les coupes budgétaires du gouvernement ont joué un rôle majeur tant dans la propagation initiale de la maladie que dans les sérieuses difficultés que le système de santé publique a eu à la confronter.

La semaine dernière, la représentante de la santé médicale de Toronto, Dr. Sheela Basrur, a dit à la chaîne de télévision CBC que le manque d' «ressources d'appoint», la capacité d'avoir recours à du personnel et à des ressources additionnels, a joué un rôle majeur dans l'émergence du SRAS à Toronto. «La capacité des services de santé publique, des hôpitaux et des gouvernements en général à faire face à des crises imprévues et importantes est réduite de façon alarmante lorsque le financement public est déjà rongé à l'os.»

 

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