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L'élite économique canadienne recherche un partenariat plus étroit avec Washington et Wall Street

Par Keith Jones
11 novembre 2004s2

Après la réélection de George W. Bush la semaine dernière, le premier ministre canadien Paul Martin a réitéré que son gouvernement libéral souhaiterait entretenir des relations plus étroites avec Washington. Lorsqu'il a appelé Bush pour le féliciter, Martin a invité le président américain à faire sa première visite officielle à Ottawa. Les planifications pour une visite présidentielle seraient rendues à un stade avancé et cette dernière aurait lieu probablement avant l'inauguration du deuxième mandat de Bush le 20 janvier.

Martin a fait du besoin d'améliorer les relations avec Washington, qui se sont détériorées lorsque le gouvernement canadien avait refusé à la dernière minute de joindre l'invasion américaine en Irak, un thème central de sa campagne pour remplacer Jean Chrétien à la tête du gouvernement libéral. Cependant, Martin s'est fait de plus en plus critiquer par les grands médias canadiens et la grande entreprise pour ne pas avoir respecté sa promesse depuis qu'il est devenu premier ministre en décembre 2003. Un commentaire typique est venu, la semaine dernière, de Thomas d'Aquino, le président et directeur général du Conseil canadien des chefs d'entreprises (CCCE), qui représente les 150 plus grandes entreprises du pays. D'Aquino a critiqué Martin pour avoir constamment reporté l'approbation à Bush concernant sa demande pour que le Canada participe au projet de bouclier antimissile américain. « Ce que ça vous prend sur une question comme celle-là, c'est du leadership. Si vous devez prendre une décision controversée, c'est votre responsabilité de vous affirmer et d'expliquer aux gens les pour et les contre. Vous ne pouvez pas simplement vous cacher dans votre cave à vin »

Martin a aussi été critiqué pour ne pas avoir congédié Carolyn Parrish du caucus parlementaire libéral. Députée libérale de l'Ontario, Parrish a plusieurs fois traité Bush, ainsi que son entourage, de belliciste et d'idiot. Martin « a mis beaucoup d'efforts sur l'amélioration des relations canado-américaines, ou, à tout le moins, a dit qu'il le ferait, » a déclaré la semaine dernière Catherine Swift, présidente de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes. « Est-ce que [mettre Parrish dehors du caucus] ce ne serait pas un indice plus tangible qu'il fait ce qu'il dit ? »

Un des facteurs causant les paroles équivoques de Martin est la forte antipathie populaire envers l'administration Bush, la guerre en Irak et un impérialisme américain plus belliqueux. Selon un sondage récent, 4 canadiens sur 5 croient que les États-Unis se comportent comme «un état voyou.» Un deuxième facteur est la reconnaissance qu'un partenariat plus étroit avec les États-Unis interfère sur l'idéologie nationaliste canadienne que la classe dirigeante a fait la promotion, particulièrement sous l'égide du Parti Libéral, pour retenir les travailleurs sous sa domination. Historiquement, le nationalisme canadien était associé au Parti Conservateur, à l'Empire britannique et à l'opposition à l'esprit égalitaire de la démocratie américaine. Mais, dans les décennies plus récentes, le nationalisme canadien s'est donné un air de « gauche », avec l'État-nation canadien faussement présenté comme une alternative pacifique et progressiste à la vorace république du dollar au sud.

Les sections les plus puissantes de l'élite corporative canadienne sont convaincues, toutefois, que les changements économiques et géopolitiques de la dernière décennie ne leur laissent aucun autre choix que de rechercher un partenariat économique, stratégique et militaire avec les Etats-Unis et ainsi et de sécuriser leurs intérêts prédateurs dans un monde caractérisé par une course encore plus intense pour les marchés, les profits et les ressources naturelles.

La perturbation des échanges douaniers entre le Canada et les Etats-Unis après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 a fait constater à la grande entreprise sa vulnérabilité dans l'éventualité que le Canada se retrouve en dehors de la Forteresse Amérique. Avec 85 % de toutes les exportations canadiennes allant vers les Etats-Unis et 40 % du PIB canadien relié aux échanges avec les Etats-Unis, aucun autre pays d'une importance majeure dans le monde n'est plus dépendant d'un seul partenaire économique.

Il y a aussi des inquiétudes à l'intérieur de l'élite canadienne concernant l'effritement de ses relations privilégiées avec Wall Street et Washington. En effet, les États-Unis ont signé des accords de libre-échange avec d'autres États, de nouveaux pays, comme la Chine et le Mexique, ont émergé en tant que partenaires économiques majeurs et attirants pour l'investissement américain, pendant que la Grande-Bretagne et l'Australie assument le rôle des alliés militaires les plus fidèles envers les États-Unis.

Brian Mulroney, le premier ministre Conservateur qui avait négocié l'Accord de Libre-Échange entre le Canada et les États-Unis et qui est apparue comme étant un des directeurs d'entreprise les plus influents du pays depuis qu'il s'est retiré de la politique, a plusieurs fois parlé en faveur d'un partenariat sur mesure et d'un « périmètre de sécurité commun. »

En avril dernier, le CCCE, de loin le groupe de pression le plus puissant du pays, publia un document de 43 pages intitulé « Nouvelles frontières : Construire un partenariat canado-américain en Amérique du Nord pour le 21e siècle. » Il demande au gouvernement canadien de rechercher un partenariat spécial avec les États-Unis qui garantirait que le commerce canado-américain ne serait pas obstrué par des considérations de sécurité américaine et qui placerait les produits et les biens canadiens au-dessus de la portée des lois commerciales américaines habituelles. « La sécurité économique et physique, » déclare le CCCE, sont « inséparables. » Nous « devons intégrer nos plans pour obtenir un avantage économique avec une stratégie pour assurer la sécurité de nos propres frontières et du continent au complet. »

Même si le CCCE dit qu'il n'est pas nécessairement en faveur d'une négociation faite uniquement dans le but de reconfigurer toutes les relations canado-américaines, il est catégorique dans son rejet d'une « approche à petit pas » pour répondre aux questions actuelles. Il insiste que le gouvernement canadien doit faire la promotion active d'un partenariat plus étroit, ce que certains ont appelé l'ALÉNA-plus ou d'autres une « intégration profonde ».

Pour obtenir un partenariat canado-américain plus étroit, le CCCE soutient que le gouvernement canadien doit tenir compte des inquiétudes américaines sur le fait que le Canada servirait d'un point d'entrée pour les terroristes et qu'il doit augmenter de façon drastique ses capacités militaires et sa coopération militaire avec les États-Unis.

Même si le CCCE ne critique pas explicitement la décision du gouvernement libéral d'avoir garder les Forces Armées Canadiennes en dehors de l'invasion américaine sur l'Irak, il déplore la situation actuelle de l'armée canadienne, demande une « injection majeure d'argent neuf » pour l'armée et pour la sécurité intérieure et aux frontières, implore Ottawa de signer immédiatement le programme de bouclier anti-missile américain et soutient une expansion majeure des capacités des Forces Armées Canadiennes pour intervenir autant en Amérique du Nord qu'outre-mer. « [Si] nous voulons remplir notre devoir envers nous-mêmes et envers les valeurs canadiennes, nous devons montrer au monde que nous ne sommes plus des profiteurs galopant dans le sillage des américains et des défenseurs sans merci du « soft power », mais que nous sommes plutôt sérieux et de véritables alliés dans la lutte pour la sécurité et la paix mondiale. »

Comme autre moyen pour gagner l'appui des Etats-Unis, le CCCE désire que le gouvernement canadien offre à Washington et à Wall Street un «pacte de sécurité des ressources.» Pendant qu'un pacte comme celui-ci exempterait le bois canadien des actions commerciales américaines, il offre aux États-Unis le prix beaucoup plus gros d'avoir un accès garantit et de plus en plus grand aux ressources énergétiques canadiennes. Le Canada, avec son pétrole, son gaz naturel et son énergie hydroélectrique, est déjà de loin le plus grand exportateur d'énergie aux États-Unis et les entreprises canadiennes souhaitent attirer des investissements américains dans de nombreux projets énergétiques dont ceux du grand nord québécois et des sables bitumineux de l'Alberta.

Les cinq éléments de la « stratégie compréhensive » du CCCE sont : 1) repenser les frontières, i.e. travailler avec les États-Unis pour établir un périmètre de sécurité commun par une coopération renseignement/sécurité accrue et possiblement par l'introduction d'une carte d'identité nationale canadienne munie d'identificateurs biométriques ; 2) l'harmonisation de la réglementation sur les entreprises au Canada et aux États-Unis, en fait un mécanisme pour continuer à abaisser les standards du marché du travail et les standards environnementaux dans les deux pays ; 3) un « pacte de sécurité des ressources » ; 4) « revitaliser l'alliance de défense nord-américaine » ; et 5) développer de nouvelles institutions pour gérer le partenariat canado-américain.

Que les propositions du CCCE aient attiré l'attention du gouvernement libéral et des partenaires de l'ALÉNA fut indiqué le mois dernier, lorsque les gouvernements canadiens, mexicains et américains ont donné le feu vert à l'établissement d'un groupe d'étude dédié à « l'examen de l'intégration régionale depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de Libre-échange Nord Américain il y a dix ans. »

Le groupe a été créé sous les auspices du Conseil Américain sur les Relations Étrangères (US Council on Foreign Relations) qui fonctionne comme un organe quasi-officiel de la politique étrangère du gouvernement américain et qui publie le journal Foreign Affairs. Selon un article de l'édition du 16 octobre du National Post, « De chevronnés chefs politique et chefs d'entreprises provenant du Canada, des États-Unis et du Mexique joignent leurs forces pour mettre de l'avant un plan d'action visant à la construction d'un puissant bloc commercial nord-américain capable d'affronter le monde, défendu par un périmètre de sécurité dans le style de Forteresse Amérique. »

Le groupe est co-dirigé par différents individus dont l'ancien gouverneur républicain du Massachusetts, William Weld, l'Ex-Ministre des Finances du Mexique Pedro Aspe et, pour le Canada, l'ancien Ministre libéral John Manley.

Le Président du CCCE et PDG D'Aquino a été nommé pour être un des trois sous dirigeants du groupe. Le groupe inclut aussi l'ancien Ministre des Finances Conservateur et le dirigeant de Bay Street Michael Wilson, l'ancien Premier Ministre du Québec et aussi l'ancien chef du Parti Québécois Pierre-Marc Johnson, l'ex ministre des finances albertain et l'actuel président de TransAlta, James Dinning et Tom Axworthy, l'ancien secrétaire principal au Premier Ministre Trudeau. Parmi les associés américains, on retrouve Nelson Cunningham, qui faisait partie de la firme de conseil stratégique d'Henry Kissinger nommé Kissinger McLarty Associates, Heidi Cruz de Merrill Lynch, et plusieurs anciens ambassadeurs américains au Canada. Le Mexique est représenté par des hommes d'affaires et par des intellectuels, incluant Alfonso de Angotia de Grupo Televisa.

Le comité, qui présentera son rapport pendant l'été de 2005, examinera la possibilité que les trois partenaires de l'ALÉNA développent des tarifs et des politiques régulatrices communes, i.e., une union faite sur mesure et une coopération accrue au niveau de la sécurité.

Lors d'une visite au Canada à la fin du mois dernier, le Président Mexicain Vicente Fox a démontré de l'intérêt pour une ALÉNA-plus, affirmant qu'un bloc économique nord-américain plus étroit était nécessaire pour face à la menace que représente la Chine. L'élite mexicaine est entrée dans l'ALÉNA avec l'espoir que les grandes réserves de main-d'oeuvre à bon marché du Mexique attireraient massivement les investissements américains dans les usines d'assemblages orientées vers l'exportation. De tels investissements ont augmenté de façon significative dans les premières années de l'ALÉNA, mais la stratégie de la maquiladora de l'élite mexicaine a été par la suite sérieusement ébranlée par l'émergence de la Chine comme le plus grand site du monde pour la production destinée à l'assemblage-exportation.

Les sections les plus puissantes du capital canadien recherchent un partenariat plus étroit avec les Etats-Unis afin d'intensifier leurs attaques sur la classe ouvrière au pays, de profiter de la domination économique et géopolitique américaine partout dans le monde et de mieux se positionner par rapport à leurs rivaux économiques d'Europe et d'Asie. On peut s'attendre à ce que les sections plus faibles du capital canadien, accompagnées des sociaux-démocrates du NPD et de la bureaucratie syndicale, qui craignent d'être marginalisées ou éliminées suite à une intégration économique plus étroite avec les États-Unis, s'opposeront à l'ALÉNA-plus à partir de la perspective réactionnaire de la défense de l'État-nation capitaliste canadien et de la défense des entreprises et des emplois « canadiennes ».

Le déploiement du programme d'intégration économique de la bourgeoisie dans le but d'intensifier les attaques sur les emplois, les salaires et les bénéfices sociaux des travailleurs ainsi que la lutte géopolitique et économique grandissante entre les rivaux, i.e. des élites capitalistes nationales en quête de profits, de ressources naturelles et de main-d'oeuvre à exploiter, souligne l'urgence d'unir les travailleurs au Canada, aux États-Unis et au Mexique dans une lutte commune contre le capitalisme et le système d'État-nation.



 

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