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Le gouvernement libéral canadien tiendra une enquête publique sur la façon dont a été traité Maher Arar

Par Keith Jones
4 février 2004

Après avoir insisté pendant des mois sur le fait qu'elle n'était pas nécessaire, le gouvernement libéral canadien a demandé une enquête publique sur l'affaire Maher Arar.

Citoyen canadien d'origine syrienne, Arar fut détenu par les autorités américaines alors qu'il était en transit à New York en septembre 2002. Il fut ensuite déporté en Syrie où il a été emprisonné et torturé à répétition pendant près d'un an. Le procureur général des États-Unis John Ashcroft a affirmé que c'est seulement après que le gouvernement syrien ait garanti qu'il ne serait pas maltraité qu'Arar avait été déporté. Mais, des reportages parus dans le Washington Post viennent le démentir, citant des hauts responsables américains qui glorifient la pratique de livrer des personnes suspectées de terrorisme à des pays qui font usage de la torture.

Plusieurs faits attestent que les plus hauts échelons des agences canadiennes de sécurité ont été complices d'avoir livré Arar à ses bourreaux syriens en violation flagrante de la loi canadienne et internationale.

* Les responsables américains ont souvent affirmé qu'Arar, un technicien en informatique possédant un permis pour travailler aux États-Unis, a tout d'abord attiré leur attention à cause de renseignements-en fait un amalgame de culpabilité par association et d'insinuations-fournis par les agences canadiennes de sécurité.

* L'ambassadeur américain aux États-Unis, Paul Celluci, a dit que les autorités canadiennes ont indiqué à Washington qu'elles ne seraient pas mécontentes de voir Arar déporté en Syrie, faute de ne pas avoir des motifs légaux pour l'arrêter si jamais il était retourné au Canada.

* Les représentants du consulat canadien qui étaient en contact avec Arar pendant qu'il était en détention à New York ont rejeté sa crainte qu'il pouvait être déporté en Syrie, malgré qu'il en ait été menacé par des responsables américains.

* Des officiers du service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) se sont rendus à Damas pour être informés des confessions qu'Arar avait faites aux militaires syriens après avoir été torturé par eux.

* Depuis qu'Arar a été relâché, des éléments des agences canadiennes de sécurité ont continué de salir son nom, et en même temps ont défendu le rôle qu'ils ont joué, en donnant des détails aux médias de ses supposées confessions.

Néanmoins, jusqu'à la semaine passée, Jean Chrétien, et ensuite son successeur en tant que premier ministre, Paul Martin, ont rejeté avec entêtement les demandes pour une enquête publique sur la façon dont Arar s'est retrouvé en Syrie pour se faire torturer. Chrétien affirma que, vu que la déportation d'Arar a été effectuée par les autorités américaines, il n'y avait pas matière à réponse pour les officiels canadiens. Pour sa part, Martin a maintenu qu'une enquête publique n'était pas nécessaire parce que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ainsi que la commissaire aux plaintes contre la Gendarmerie royale du Canada (GRC) menaient chacun leur propre enquête sur l'affaire Arar. Mais, jusqu'à maintenant, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a mené son travail de façon entièrement privée et la commissaire aux plaintes contre la GRC s'est plusieurs fois plainte que l'état-major de la force policière a cherché à étouffer son travail et qu'elle manquait d'outils appropriés pour enquêter sur des cas de sécurité nationale.

Opération policière sans précédent

Martin semble avoir changé de position face à la protestation publique qu'a occasionnée une intervention policière de la GRC à la maison et au bureau de Juliet O'Neill, une journaliste de l'Ottawa Citizen qui avait écrit sur l'affaire Arar. Le matin du 21 janvier, 10 officiers de la GRC ont fouillé minutieusement la maison d'O'Neill pour saisir des boîtes de papier et des disquettes d'ordinateurs. La descente était une grave atteinte à la liberté de presse, d'autant plus que O'Neill est sous la menace d'être accusée d'avoir violé la draconienne loi sur la protection de l'information .

La GRC recherchait apparemment de l'information pour savoir qui avait divulgué les détails de la confession d'Arar à O'Neill. (En tant que journaliste, O'Neill avait la responsabilité de divulguer la fuite. Cependant, qu'elle ait décidé de présenter l'information qui lui a été fournie avec le point de vue que cela justifiait les soupçons de la police envers Arar, plutôt que de mettre en évidence le fait que des éléments dans l'appareil de sécurité du Canada sont en train de se venger d'Arar en utilisant des confessions obtenues sous la torture, n'est pas à son honneur.)

Dans tous les cas, il apparaît que cette opération policière était une tentative musclée de la part des hauts dirigeants de la GRC de convaincre le gouvernement et le public qu'ils n'étaient pas responsables de la campagne de diffamation contre Arar. Plutôt, l'opération policière a forcé le gouvernement à se replier (au grand désarroi de la GRC, Martin a déclaré qu'O'Neill n'était coupable de rien) et a amené les médias de la grande entreprise à questionner pour la première fois la batterie de lois antidémocratiques «antiterroristes» que le Canada a adoptées dans les mois suivants les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Par exemple, la presse a noté que la GRC s'est fait donner plusieurs nouveaux pouvoirs et plusieurs nouvelles responsabilités dans le domaine de la sécurité nationale sans supervision indépendante, et encore moins parlementaire, de ses activités dans ce domaine.

On ne sait pas encore sur quels aspects de l'affaire Arar se penchera l'enquête publique récemment annoncée. Les cadres de l'enquête sont encore en train d'être négociés entre le gouvernement et le juge Dennis O'Connor, celui-là même qui a mené l'enquête judiciaire sur la tragédie de l'eau potable de Walkerton. Cependant, des porte-parole du gouvernement ont déclaré qu'étant donné que l'enquête traite de questions de sécurité nationale, certains témoignages seront probablement donnés à huis clos et qu'ils demeureront secrets. Ils ont ajouté que certains résultats de l'enquête ne seront peut-être jamais rendus publics.

En annonçant les effectifs de l'enquête, la vice première ministre Anne McLellan s'est donné beaucoup de mal pour rassurer Washington qu'en aucun cas l'enquête ne diminuera ou n'empêchera la coopération de la GRC et du SCRS avec leurs homologues américains. « Nous voulons certainement rassurer nos alliés, affirma McLellan, il est absolument essentiel que cette enquête publique ne remette en question rien de notre capacité à recueillir et partager de l'information en vertu des protocoles existants appropriés, et que l'on peut faire confiance à nos informations.» Le jour suivant, McLellan, qui est aussi la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, s'est rendue à Washington pour rencontrer le vice-président Cheney, le procureur général Ashcroft et le secrétaire à la Sécurité intérieure Tom Ridge.

Pendant ce temps, Martin continue d'insister sur le fait qu'il n'a rien vu de mal dans les pratiques de l'état-major de la sécurité canadienne. «Maintenant que nous avons une enquête publique, a dit Martin à une conférence de presse le 28 janvier, il n'y a aucun doute que toute l'information verra le jour, mais je n'ai rien vu qui pourrait changer mon opinion.»

Arar a exprimé l'espoir que l'enquête lavera son nom (il n'a pu se trouver d'emploi depuis qu'il est retourné au Canada) et recommandera qu'il soit compensé par le gouvernement pour sa dure épreuve. Il le mérite amplement.

Cependant, personne ne doit avoir d'illusion sur le but principal de l'enquête qui n'est autre que de redonner de la crédibilité à l'appareil de sécurité nationale, un élément intégral et vital de l'État capitaliste.

Traditionnellement, le gouvernement du Canada et des autres systèmes parlementaires démocratiques de type britannique ont utilisé les enquêtes publiques comme un moyen de désamorcer des crises politiques. Pas plus tard que la semaine passée, en Grande-Bretagne, l'enquête Hutton est venue à la rescousse de Tony Blair, en blanchissant le gouvernement de toute culpabilité pour son rôle dans la mort du «dénonciateur» David Kelly et, plus fondamentalement, pour son utilisation de renseignements non fondés pour justifier une attaque illégale contre l'Irak. En 1977, le gouvernement libéral de Trudeau avait répondu à une série de révélations politiquement embarrassantes à propos d'activités illégales de la GRC dirigées contre des gauchistes et des nationalistes québécois en établissant la commission royale Mcdonald sur les délits de la GRC. Même si la Commission Mcdonald a mis en lumière le fait que la GRC commettait des activités illégales de façon routinière, ses principales recommandations ont mené à la création d'un service du renseignement avec plus de pouvoirs et à l'adoption d'une loi écrite de façon plus maligne politiquement. Finalement, plusieurs des activités qui étaient illicites sous l'ancienne législation ont été légalisées.

Malgré cela, la décision du gouvernement Martin de lancer une enquête publique sur l'affaire Arar a causé de l'inquiétude parmi les rangs du SCRS et de la GRC et fera sans doute augmenter les tensions déjà très aiguës entre le gouvernement et l'establishment de la sécurité et du renseignement. Avec l'appui de l'opposition officielle droitiste et du National Post, des éléments du SCRS et de la GRC ont critiqué continuellement les libéraux pendant les cinq dernières années pour leur «mollesse» face au terrorisme.

En ce sens, il est significatif que le National Post du 2 février ait accordé une grande importance aux avertissements provenant d'un officier, maintenant retraité, du Service de sécurité de la GRC et du SCRS, qui mentionnait qu'une enquête sur l'affaire Arar aurait pour effet de «causer du tort aux intérêts et aux aptitudes opérationnels de la GRC et du SCRS». Elle aurait aussi pour effet d'affaiblir la coopération sur la sécurité avec les États-Unis et amènerait possiblement l'establishment de la sécurité à s'attaquer au gouvernement. «Ouvrir une enquête publique sur l'affaire Arar, a écrit Peter Marwitz au premier ministre Paul Martin, signifie exposer votre gouvernement à des dangers politiques au cours des prochaines élections.»


 

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