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Les sociétés pharmaceutiques se retirent de la recherche sur les antibiotiques alors que la résistance des bactéries se généralise

par Guy Charron
11 septembre 2004

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Des spécialistes des maladies infectieuses ont établi le lien de cause à effet entre les compressions budgétaires gouvernementales et la croissance fulgurante du nombre des infections et des décès dans les hôpitaux québécois dus à la bactérie Clostridium difficile, une bactérie résistante aux antibiotiques courants.

Comme le rapportait le World Socialist Web Site il y a quelques jours, des chercheurs se penchant sur l'épidémie de C.difficile au Québec ont lié la propagation de l'infection aux infrastructures dépassées qui créent un environnement sanitaire déficient, au surpeuplement dans les hôpitaux et à la réduction du personnel. [voir Canada : Les compressions budgétaires ont contribué à la propagation d'une superbactérie]

Les infections contractées en milieu hospitalier et les bactéries résistantes aux antibiotiques, parfois appelées superbactéries, sont deux problèmes de plus en plus courants qui ont des liens entre eux. Les infections contractées en milieu hospitalier sont la quatrième cause de mortalité après les infarctus, les maladies vasculaires et le cancer, mais avant l'automobile. L'an dernier seulement, elles ont causé 3000 décès au Québec et une bonne part de ceux-ci ont été le résultat d'une infection par une bactérie résistante aux antibiotiques.

De façon générale, le nombre des souches bactériennes résistantes aux antibiotiques augmente de façon continuelle à travers le monde, un phénomène qui préoccupe les scientifiques et la population en général depuis le début des années 1980. Il est estimé qu'aujourd'hui, 20 pour cent de toutes les infections aux États-Unis impliquent des bactéries résistantes à plusieurs médicaments antimicrobiens.

Dans les articles consacrés à la question, on explique souvent que la croissance de la résistance bactérienne aux antibiotiques est un processus exclusivement naturel. Les bactéries qui résistent aux antibiotiques, ou qui subissent une mutation leur octroyant cette résistance, survivent aux traitements par antibiotiques et l'élimination des souches moins résistances leur permette de croître sans concurrence. C'est un phénomène découlant assez directement du principe de la sélection de Darwin. Mais comme la prolifération du C.difficile dans les hôpitaux québécois, le problème du développement du nombre des bactéries résistantes aux antibiotiques est amplifié par les conditions sociales : la pauvreté, le non respect des règles fondamentales de l'hygiène et la subordination des questions essentielles touchant la santé des masses aux profits de la grande entreprise et de la finance.

Un article écrit il y a presque dix années dans une publication du Collège américain des médecins (American College of Physicians) explique que les trois quarts de la population mondiale, qu'on trouve en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Asie, n'ont accès qu'à 20 pour cent de tous les antibiotiques. En d'autres termes, en Amérique latine par exemple, lorsqu'une personne prend des antibiotiques, il y aura seize personnes qui feront de même au Canada ou en France. Pourtant, c'est dans les pays soi-disant du Tiers Monde que l'on trouve les plus hauts taux de résistance aux antibiotiques.

L'article demande: « Pourquoi des pays qui ont si peu ont-ils un si grand problème avec la résistance aux médicaments antimicrobiens? La situation semble être due à une combinaison d'un grand nombre de cas d'infections bactériennes, d'immenses populations sans même les rudiments de soins primaires, d'usage inapproprié des médicaments antibactériens offerts sur le marché et de propagation rapide à cause du surpeuplement, des mauvaises installations sanitaires et des contacts sexuels. L'autoprescription est fréquente dans la plupart des pays en voie de développement et l'effet est augmenté par l'usage de toute une panoplie de médicaments spécialisés contenant des mélanges irrationnels de vitamines, de stimulants et de stéroïdes et par la possibilité de se procurer des médicaments sans ordonnance dans les pharmacies locales ou dans les bazars. Les médecins, lorsqu'il y en a, doivent voir le plus de patients qu'il est possible dans le temps le plus court avec peu ou pas de soutien d'examens radiologiques ou de laboratoires. Ils se sentent souvent forcés de prescrire des médicaments antimicrobiens pour combler les attentes de leurs patients. Les pharmacies ont souvent des moyens financiers limités et ne peuvent se procurer une quantité d'antibiotiques suffisante pour traiter des infections importantes

« Dans certains pays, les systèmes politiques sont si corrompus, les marchands locaux si vénaux et les médecins si désillusionnés que la situation semble sans espoir. »

Mais à cette époque encore, l'auteur gardait espoir que de nouveaux antibiotiques et autres médicaments antimicrobiens pourraient être développés. Depuis la situation a changé de façon draconienne. Aujourd'hui, les grandes sociétés pharmaceutiques se retirent de la recherche sur les antibiotiques malgré la menace du développement de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques.

Le nombre de nouveaux agents antibactériens approuvés par la FDA, l'agence américaine responsable de permettre la vente de masse des médicaments, est en diminution constante : seize entre 1983 et 1987; quatorze entre 1988 et 1992; dix entre 1993 et 1997 et dix entre 1998 et 2003. Le nombre d'agents anti-infection actuellement sous étude indique que la diminution continuera et déjà en 2003, il y a eu 10 pour cent moins de soumissions d'études à la FDA qu'en 2002.

En 2001, Eli Lilly and Bristol-Myers-Squibb ont arrêté de développer de nouveaux médicaments antimicrobiens et la plupart des autres grandes sociétés pharmaceutiques se préparent à en faire autant.

La dernière conférence annuelle sur les agents antimicrobiens à laquelle ont assisté des microbiologistes, des médecins et des pharmaciens qui s'est tenue à Chicago en septembre de l'an dernier, avait une session intitulée « Why Is Big Pharma Getting Out of Anti-infective Drug Discovery? » consacrée au désengagement de l'industrie pharmaceutique du secteur de la recherche antibactérienne.

Le docteur Henry Masur, un des conférenciers, n'a pas laissé de doute sur l'impact de la rapacité des dirigeants de l'industrie pharmaceutique sur la recherche médicale : « Le coût pour développer un nouveau médicament est astronomique, le marché n'est pas aussi intéressant que les marchés des médicaments qui doivent être pris durant toute la vie plutôt que pour quelques jours ou semaines et il y a de grandes pressions pour réduire les prix. »

Un article paru dans la revue Nature, une des plus importantes revues scientifiques, a donné un contre rendu de cette conférence. « Les grandes sociétés pharmaceutiques sont dans le marasme financier et la recherche pour les antibiotiques est facile à couper, a dit Steven Projan, responsable de la direction de la recherche aux laboratoires de Wyeth à Pearl River dans l'État de New York. La sélection naturelle fait que la résistance apparaîtra inéluctablement, ce qui diminue la profitabilité de tout nouvel antibiotique avec le temps. Les nouveaux médicaments qui combattent les bactéries résistantes sont souvent gardés en réserve par les médecins pour traiter seulement les infections les plus coriaces, ce qui a pour effet qu'ils ne peuvent rapporter beaucoup. Et, au contraire des médicaments pour les maladies chroniques comme les maladies du cur, les antibiotiques guérissent les gens, éliminant leur clientèle du même coup. »

Le marché des antibiotiques génère 24 à 26 milliards en revenus annuels et il est prévu qu'il devrait croître de 10 pour cent d'ici quatre ans. Mais, les grandes sociétés pharmaceutiques se retirent de la recherche sur les antibactériens non parce qu'il n'y a pas de profits, mais plutôt parce qu'il y a en plus à faire dans d'autres secteurs.

Pour juger de la qualité d'un investissement, l'industrie pharmaceutique utilise un indice appelé la valeur nette présente (risk-adjusted net present value en anglais ou NPV) qui estime le retour sur l'investissement en millions de dollars. Cet indice tient compte, entre autres facteurs, des ventes appréhendées ainsi que du coût de la recherche et des expériences cliniques. Selon Projan, les antibiotiques ont un NPV de 100, les médicaments anti-cancer 300, les médicaments neurologiques 720 et les médicaments musculosqueletiques 1150.

Pour se défendre, l'industrie se plaint régulièrement des coûts liés à l'obtention du droit de vendre un nouvel antibiotique, blâmant la lourdeur bureaucratique. La FDA a montré que les agents anti-infections avaient le plus haut taux d'approbation de toutes les classes thérapeutiques depuis 1964 aussi bien que le plus court ou le deuxième plus court temps de développement depuis 1982.

Les inégalités sociales et la propriété privée des moyens de production a un impact largement négatif sur la santé publique en général. Le manque de ressources pour le système de santé dans les pays avancés, les conditions sociales catastrophiques dans les pays les moins avancés, y compris évidemment celles de la santé, les pressions pour la déréglementation, l'anarchie dans le développement des nouveaux médicaments, le secret technique et scientifique pour conserver l'avantage concurrentiel font peser sur l'humanité des calamités aussi immenses qu'inutiles.


 

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