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Canada : Martin se drape de l'unifolié en réponse aux réprimandes de l'ambassadeur américain

par Keith Jones
(Article original ayant paru le 16 décembre 2005)

Le premier ministre canadien Paul Martin a monté la rhétorique nationaliste d'un cran après que l'ambassadeur américain l'ait sévèrement réprimandé au milieu de la campagne électorale.

Alors qu'il se trouvait dans une scierie en Colombie-Britannique mercredi dernier, Martin a déclaré qu'il continuerait à critiquer les États-Unis pour les importants tarifs douaniers qu'ils imposent sur le bois d'oeuvre canadien et pour ses politiques environnementales. «Je ne vais pas me laisser dicter les sujets que je dois aborder. Je vais m'assurer que le Canada parle de sa propre voix, maintenant, demain et pour toujours, et vous ne devez pas en attendre moins d'un premier ministre.»

Plus tard, Martin, qui est depuis décembre 2003 à la tête du gouvernement libéral au pouvoir depuis douze ans, a déclaré aux journalistes : «Nous n'abandonnerons pas tant que les sociétés canadiennes n'auront pas récupéré les droits compensatoires qui ont été injustement imposés sur notre bois et tant que nos voisins ne respecterons le fait que l'échange équitable signifie échange équitable.»

Martin a fait ces commentaires en réponse à une sévère critique publique, un fait sans précédent dans une campagne électorale fédérale, de l'ambassadeur américain au Canada, David Wilkins.

Mardi passé, lors d'une conférence sur l'heure du midi au Canadian Club, Wilkins a interrompu ce qui semblait n'être jusque là que des remarques improvisées pour lire un texte qu'il avait préparé. «C'est peut être une bonne politique électorale de se bomber le torse et de constamment critiquer son ami et partenaire économique numéro un. Mais c'est une pente glissante et nous devrions tous souhaiter qu'il n'y ait pas d'impacts à long terme sur notre relation.»

Même si Wilkins n'a pas explicitement nommé Martin, il était évident pour tous que l'administration Bush voulait passer un message à Martin et à son gouvernement. La Maison blanche a été choquée et irritée en février 2005 lorsque Martin, qui avait promis lors de la campagne à la direction du Parti libéral du Canada d'améliorer les relations entre le Canada et les Etats-Unis, a annoncé que le Canada ne se joindrait pas officiellement au bouclier anti-missile américain, une mesure offensive sur le plan géopolitique.

La semaine dernière, l'ambassadeur canadien aux États-Unis Frank McKenna s'est fait passer un savon par la Maison blanche pour les commentaires que Martin avait faits lors d'une conférence internationale sur le changement climatique qui avait lieu à Montréal. Lors d'un discours devant des diplomates et des scientifiques du monde entier, Martin a dit que le fait que les États-Unis n'adhèrent pas au protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre indiquait un manque de «conscience globale».

Dans le texte qu'il avait préparé, Wilkins avait préparé sa réplique aux commentaires de Martin. «J'aimerais respectueusement vous soumettre que lorsque l'on parle de «conscience globale», les États-Unis sont à la hauteur. Parlant de changement climatique, nous avons réalisé des progrès importants, plus de progrès en fait que la plupart de ceux qui critiquent les États-Unis.» Cette pique était une référence au fait qu'au cours de la dernière décennie, les émissions des gaz à effet de serre ont augmenté plus rapidement au Canada qu'aux États-Unis, en dépit des prétentions du gouvernement libéral d'appuyer les accords de Kyoto.

Il n'y a aucun doute que l'intervention de Wilkins était une commande des plus hauts échelons de l'administration Bush qui lui ont fourni le texte qu'il devait lire. Le porte-parole du département d'État américain Sean McCormack a défendu les remarques de Wilkins, déclarant que l'ambassadeur avait parlé «en tant que représentant du gouvernement américain».

Hypocrisie et guerre en Irak

Il y a une bonne part d'électoralisme et d'hypocrisie dans les déclarations anti-Bush de Martin. Depuis 1993, les libéraux ont gagné quatre élections en s'en prenant aux politiques de droite de leur principal adversaire. Puis, une fois au pouvoir, les libéraux ont mis en oeuvre des politiques en tous points semblables à celles défendues par leurs rivaux du Parti progressiste conservateur, du Parti réformateur, de l'Alliance canadienne et, le dernier en lice, du Parti conservateur, que ce soit les compressions importantes des dépenses sociales, les diminutions d'impôts pour la grande entreprise et les biens nantis, la taxe régressive sur produits et services et l'accord nord-américain sur le libre-échange (ALENA).

Plus fondamentalement, en autant que Martin et le gouvernement libéral s'opposent à certaines politiques de l'administration Bush, c'est du point de vue de la défense des intérêts prédateurs de la classe dirigeante canadienne. Martin évite de faire usage de la rhétorique belliqueuse de la Maison blanche de Bush, mais il a déjà entrepris depuis les dernières années d'accroître et de réarmer les Forces armées canadiennes (FAC) pour qu'elles soient en meilleure position de défendre les intérêts de l'élite du monde des affaires canadien dans le monde.

À des fins électoralistes, Martin considère utile de faire valoir le fait que Jean Chrétien, son prédecesseur en tant que chef du Parti libéral et tant que premier ministre, a décidé d'annuler la participation des Forces armées canadienne à l'invasion illégale de l'Irak de 2003 par les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Cette décision, que Chrétien a prise à la dernière minute, n'a pas empêché le Canada d'offrir une aide irremplaçable à l'invasion américaine. Pour libérer des troupes américaines pour qu'elles puissent participer à l'invasion et pour courtiser l'administration Bush, Chrétien a annoncé en février 2003 que le nombre des soldats canadiens dépêchés en Afghanistan serait augmenté. Également, la force navale internationale «antiterroriste» déployée dans le Golfe Persique et placée sous la direction de l'armée canadienne a activement coopéré avec le Pentagone durant l'invasion.

Martin n'était plus ministre en mars 2003 lorsque Chrétien a choisi de ne pas impliquer les FAC dans l'invasion de l'Irak. Bien qu'il ait publiquement donné son appui à Chrétien sur cette question, il a aussi laisser savoir que s'il avait été à la tête du gouvernement, la décision aurait été probablement différente. Lorsqu'il est devenu premier ministre, Martin a nommé au poste de ministre de la Défense David Pratt, le supporteur de la guerre en Irak le plus éminent au sein du caucus libéral, et il a recruté Michael Ignatieff comme candidat vedette dans les présentes élections. Ignatieff est un intellectuel libéral qui est un des principaux apologistes de la guerre en Irak et de l'assaut de l'administration Bush contre les libertés civiles.

Néanmoins, Martin, comme Chrétien avant lui, a eu un succès considérable en s'identifiant avec le fort courant populaire contre la guerre et en déclarant que cela le distingue des conservateurs. C'est derniers ont dénoncé le gouvernement libéral en mars 2003 pour ne s'être pas rangé aux côtés des alliés traditionnels du Canada, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

Ceci dit, il y a de véritables tensions, et qui gagnent en importance, entre les élites canadiennes et américaines, comme le démontrent les querelles répétées entre le gouvernement Chrétien, et aujourd'hui le gouvernement Martin, et l'administration Bush.

Crise des relations Canada-États-Unis

La classe dirigeante canadienne a été enragée de voir que l'administration Bush était prête à fouler aux pieds le droit international et le système des alliances multilatéales que Washington a contribué à mettre en place dans les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. L'élite canadienne était un des plus grand partisan du multilatéralisme de la Guerre froide parce qu'au sein des différentes alliances inter-impérialistes, elle avait une importance bien au-delà de ce que commandait son poids économique et militaire et que ces alliance lui offrait un moyen de limiter et de défléchir les pressions économiques et politiques des États-Unis.

Surtout, il a été très préoccupant pour les élites canadiennes du monde des affaires de voir Washington refuser d'accepter de multiples décisions du tribunal de l'ALENA et de d'autres tribunaux en faveur du Canada sur la question des tarifs douaniers imposés sur le bois d'oeuvre canadien exporté aux États-Unis. Les sommes en jeu sont colossales. Washington a déjà amassé 4 milliards $ en droits compensatoires, une somme qu'il menace de transférer en sa totalité aux producteurs de bois américains. Mais il est encore plus significatif aux yeux des élites canadiennes de la politique et de la grande entreprise que les États-Unis refusent de s'astreindre aux règles de l'échange établies dans le traité sur le libre-échange.

Avec une opposition considérable au sein même de ses propres rangs, la classe dirigeante canadienne a effectué un changement majeur de stratégie de classe en adoptant le traité de libre-échange entre les Etats-Unis et le Canada en 1998 et l'ALENA un peu plus tard. Au moyen de ces traités sur le commerce interfrontalier, les sections les plus puissantes du capital canadien ont cherché à se garantir l'accès au marché américain dans un contexte où l'économie mondiale se fracturait en trois grandes zones, l'Amérique du Nord, l'Union européenne et l'Asie de l'Est.

Mais le blocage des frontières pendant plusieurs jours après les attaques du 11 septembre 2001 et les disputes sur le bois d'oeuvre et d'autres produits ont démontré que l'élite canadienne est loin d'avoir établi un accès privilégié au marché américain.

La classe dirigeante canadienne a de bon gré regardé ailleurs pendant que l'administration Bush piétinait la loi internationale pour envahir l'Irak. Mais c'est une autre chose lorsque l'intimidation brutale et l'unilatéralisme des Etats-Unis menacent ses profits et ses intérêts stratégiques.

Une indication de la colère et de la crainte de l'élite canadienne envers l'unilatéralisme de Bush est que les libéraux aussi bien que les conservateurs ont déclaré que si les Etats-Unis ne rencontraient pas les attentes canadiennes sur l'application des décisions du tribunal de l'ALENA, alors le Canada devrait adopter une politique agressive pour développer ses relations économiques avec la Chine et l'Inde.

Comme Martin, le chef du Parti conservateur Stephen Harper a trouvé qu'il était politiquement sage de mettre une certaine distance entre l'administration Bush et lui. Plus tôt cette semaine, avant que Wilkins ne critique Martin, Harper a dit qu'un gouvernement conservateur serait prêt à reconsidérer la question de la participation canadienne au bouclier anti-missile américain, mais qu'il n'enverrait pas de troupes en Irak.

Suivant l'échange entre Wilkins et Martin, Harper a accusé le premier ministre de faire le fanfaron et a laissé entendre qu'un gouvernement conservateur serait plus capable que les libéraux de confronter l'administration Bush sur la question des tarifs douaniers sur le bois d'oeuvre. Harper a comparé Martin à un écolier qui «lance des insultes tant qu'il reste à bonne distance», mais qui n'est pas prêt à entreprendre une bataille. Le premier ministre, a ajouté Harper, «ne pourrait pas porter un coup même si sa propre vie était en jeu».

(Un des principaux arguments que Harper et les conservateurs donnaient au temps du déclenchement de la guerre en Irak était que les libéraux avaient nui aux intérêts économiques canadiens en refusant de participer à l'invasion en Irak parce que cela renforcerait ceux qui s'opposent au sein des Etats-Unis à une entente avec le Canada sur la question du bois d'oeuvre.)

Si on laisse de côté l'aspect théâtral des élections, les conservateurs parlent au nom d'une section de la bourgeoisie canadienne qui croit que les intérêts du capital canadien serait mieux défendu en se positionnant agressivement comme les alliés les plus fidèles de Washington. Les libéraux, quant à eux, parlent pour une autre fraction qui accepte qu'il est inévitable d'avoir un partenariat économique et géopolitique plus étroit avec l'impérialisme américain, mais qui cherche la façon de continuer le type de politiques qui prévalaient sous le multilatéralisme d'avant 2001, ce qui lui permettrait de mieux défendre les intérêts particuliers du capital impérialiste canadien. Cette fraction craint aussi l'impact qu'aura sur les rapports entre les classes le fait que le Canada joue un rôle plus actif dans les aventures militaires des États-Unis ainsi que le réaménagement idéologique que cela nécessitera. (Depuis les 1960, l'élite dirigeante a fait la promotion d'une idéologie nationaliste canadienne qui insiste sur le contraste entre un capitalisme canadien pacifique et supposément plus responsable socialement que la rapace république du dollar au Sud.)

Les travailleurs au Canada doivent s'opposer à toutes les fractions de la classe dirigeante dans le débat sur les relations entre le Canada et les Etats-Unis et développer une lutte commune avec les travailleurs des Etats-Unis, du Mexique et du monde contre toutes les sections du capital et toutes les formes de l'impérialisme.




 

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