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France : Les lycéens continuent leur lutte

Par Antoine Lerougetel
1 avril 2005

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Dans un climat de crise de la classe politique française créée par la montée du non à la constitution européenne dans les sondages où 55% des français rejettent les appels bipartisans à voter oui de la part du gouvernement et de l'opposition (Parti Socialiste), les lycéens en révolte contre la réforme de l'éducation sont en train d'organiser leur propres référendums contre la politique éducative du gouvernement dans des centaines de lycées dans toute la France. Le non contre la loi du ministre de l'éducation l'emporte en général avec plus de 90% des votes dans des scrutins avec participation massive des élèves.

Collectif lycéen Amienois pour le retrait de la loi Fillon. Mobilisons-nous

 

Selon un recensement effectué le 31 mars par la Coordination lycéenne, 180 lycées restent bloqués, occupés ou fermés en France. Une semaine après le vote de la loi Fillon par les députés, le mouvement se poursuit. La principale manifestation parisienne a réuni hier plusieurs centaines de grévistes entre la place de la République et le Panthéon. Les lycées du Quartier latin, jusque-là à l'écart du mouvement, ont été bloqués, à l'exception de Montaigne où des parents se sont opposés aux grévistes. Les syndicats d'enseignants rejoindront le 2 avril les élèves dans des défilés prévus à Paris, Ajaccio, Lyon, Marseille, Metz, Rennes, Toulouse et Clermont-Ferrand.

Le gouvernement n'a pas réussi à désamorcer le mouvement contestataire des lycéens s'exprimant depuis début février par des grèves et des manifestations de rue massives impliquant des centaines de milliers d'élèves, des assemblée générales dans les établissements, des occupations nocturnes, des blocus. François Fillon, après les manifestations du 15 février dans des centaines de villes regroupant 150,000 lycéens retira temporairement de sa réforme le très contesté volet sur la réforme du baccalauréat considérée par les lycéens comme une atteinte à l'égalité dans le système de l'éducation. La valeur de diplôme national serait minée si on inclut un élément de contrôle continu dans l'évaluation. Les lycéens craignent aussi des problèmes de discriminations à l'égard des élèves d'origine étrangère car l'anonymat des copies n'existe pas dans le contrôle continu. Cette reculade n'a fait que renforcer la confiance des lycéens dans leur lutte et leur mépris pour le ministre dont ils ont très bien compris la manoeuvre.

Ils ont continué leur lutte en élargissant le champ de leurs revendications : retrait intégral de la réforme, amélioration des conditions aux lycées, halte à la suppression de postes d'enseignants, de surveillants et d'autres personnels et à la suppression d'options.
D'autres éléments de la loi qui suscitent l'opposition des lycéens sont la suppression des très populaires TPE (travaux personnels encadrés qui permettent un travail de recherche autonome sur un projet pluridisciplinaire géré par l'élève avec l'aide de professeurs) et l'idée du tronc commun de disciplines et de savoirs, surnommé SMIC (salaire minimum) culturel. Ce serait le minimum d'enseignement que tout élève serait censé recevoir. Les lycéens craignent que le gouvernement projette une éducation à deux vitesses où la majorité recevrait une éducation minimale tandis qu'une éducation de qualité ne serait réservée qu'aux élites.

La loi rend obligatoire l'enseignement de l'hymne national de la bourgeoisie française, la Marseillaise, dans les écoles primaires. Elle donne aussi aux proviseurs le droit d'imposer aux enseignants deux heures par semaine en plus de leur emploi du temps pour remplacer des collègues absents.

Le 8 mars dernier, les lycéens manifestèrent par dizaines de milliers contre la loi Fillon et puis rejoignirent massivement la grève générale et les manifestations des salariés du privé et du public à l'appel des syndicats contre la remise en cause de la semaine de 35 heures et la baisse du pouvoir d'achat.

Suite à l'ampleur de ce mouvement le gouvernement proposa aux syndicats des négociations sur les salaires. Les syndicats cessèrent la mobilisation et laissèrent seuls les lycéens qui avaient beaucoup misé sur la jonction de leur mouvement avec les salariés et les syndicats.

La crise de la montée du non majoritaire à la constitution européenne obligea le gouvernement à proposer une hausse de salaire de 0,8% aux fonctionnaires pour tenter de calmer l'hostilité des masses à la politique sociale du gouvernement qui s'exprime maintenant par le non à la constitution européenne.

Dans ces conditions la coordination de délégués des lycées d'Amiens invita le WSWS à observer leur réunion du mercredi 30 mars à la salle Dewailly, Amiens.

Une vingtaine d'élèves et quelques étudiants surveillants se réunirent, représentant la majorité des lycées d'Amiens ainsi que le lycée d'Albert, ville située à une vingtaine de kilomètres. Ils discutèrent de l'utilité d'un référendum lycéen sur la loi Fillon pour démentir les commentaires dans les médias présentant le mouvement d'opposition dans les lycées comme minoritaire. Les résultats de l'unique lycée d'Amiens ayant tenté l'expérience, Robert de Luzarches, sont probants : sur un taux de participation de 56%, 93% des votes expriment un non à la loi Fillon. Les délégués de plusieurs autres lycées décidèrent d'organiser un référendum dans leur établissement en utilisant, comme cela avait été le cas à Robert de Luzarches, la structure des délégués de classe pour le promouvoir, non sans quelques doutes sur la coopération des proviseurs dans cette démarche.

Valentin, délégué du lycée d'Albert rapporta que sur 900 élèves, 600 s'étaient absentés du lycée le vendredi lors d'une journée « lycée mort » et que le mouvement s'était poursuivi le mardi suivant avec un taux de participation un peu plus faible.

Un bilan fut fait de l'occupation nocturne du lycée Edouard Gand du jeudi précédent par une soixantaine de lycéens. Des doutes furent exprimés sur l'efficacité de cette démarche comme moyen de faire avancer la conscience des lycéens sur la gravité des enjeux de la réforme pour l'avenir des jeunes. L'action avait valu une photo et quelques lignes dans la presse locale et une mention à la télévision locale. Un délégué surveillant dit qu' « il faut que ce soit constructif » et qu'il fallait se garder d' « un activisme stérile ». Un autre délégué fit remarquer qu' « il faut une prise de conscience d'abord, et puis une occupation. La plupart des lycéens ne se rendent pas compte de ce que la loi va apporter. »

Lucie, syndiquée à la FIDL (Fédération indépendante et démocratique de lycéens), un des syndicats nationaux des lycéens, et déléguée de Robert de Luzarches dit : « il faut faire des actions, ça urge ! ». Elle proposa le blocus du lycée Robert de Luzarches pour le lendemain matin, ce qui remporta l'adhésion de la salle. Cette action réussit, malgré l'intervention de l'administration, et fut mise en place par quelques deux cents élèves restés dehors pour manifester leur opposition à la loi Fillon.

Une discussion s'engagea sur la possibilité de mener une lutte contre une loi qui avait déjà été votée et les problèmes pour maintenir le mouvement malgré les pressions de l'administration des lycées, des professeurs et de l'approche du baccalauréat fin mai. Jonathan, surveillant et membre du MJC (Mouvement des jeunes communistes, affilié au Parti communiste français, PCF) fit observer qu' « une réforme, cela se fait et cela se défait ». Le délégué du lycée Delambre, Vincent, dit que l'attitude dominante dans son lycée était que puisque « la loi est passée, il n'y a plus grand'chose à faire. »

La possibilité de mener une action « péage gratuit », comme cela avait été fait dans le midi de la France fut discutée mais la mise en oeuvre concrète reportée à la réunion du collectif mercredi prochain.

Le fait que le ministère de l'éducation a cautionné l'envoi de brochures soutenant la constitution européenne et destinées aux élèves des classes de terminale fut soulevé. Plusieurs délégués ont exprimé leur opposition à cette ingérence inacceptable de la part du gouvernement dans l'Education nationale. Ils ont reconnu aussi un lien direct entre la constitution européenne et le processus de Lisbonne (le projet de l'UE, décidée en 2000, de faire de l'UE l'économie la plus compétitive du monde en réduisant le coût du travail et les services publics) et l'offensive du gouvernement contre la qualité de l'éducation pour tous en France. C'est cependant l'opinion de Nicolas du lycée Robert de Luzarches qui prévalut : Il affirma que les lycéens ne comprendraient ni n'accepteraient l'élargissement de leur mouvement pour y inclure la question de l'opposition à la constitution.

On ne peut que reconnaître la détermination et la combativité dont font preuve ces lycéens en lutte, pourtant il est clair qu'ils sont dans une impasse quant à leurs perspectives, ce qu'ils admettent eux-mêmes. La classe politique toute entière soutient la logique du processus de Lisbonne. Les lycéens, comme la classe ouvrière toute entière, ne peuvent pas faire l'économie d'une étude sérieuse de la crise du capitalisme mondialisé et du rôle dans l'histoire du vingtième siècle du réformisme (le Parti socialiste), du stalinisme (le Parti communiste), des bureaucraties syndicales et leurs serviteurs de la soi-disant extrême gauche tels que la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), LO (Lutte ouvrière) et le PT (Parti des travailleurs). Il est aussi nécessaire d'étudier le rôle du Trotskisme dans la lutte pour libérer politiquement la classe ouvrière de l'emprise de toutes ces formations, défenses essentielles du capitalisme en crise. Par exemple, la phrase « une réforme, cela se fait et cela se défait » avait aussi été utilisée pour minimiser l'envergure de la défaite représentée par le passage en force de la réforme des retraites et de l'échec du mouvement de 2003 dont la direction stalinienne de la confédération syndicale la CGT et les autres bureaucraties syndicales portent une lourde responsabilité.

L'offensive contre le droit universel à une éducation égalitaire et de qualité est partie intégrante de l'offensive mondiale du capitalisme pour réduire le niveau de vie de la classe ouvrière afin d'améliorer la compétitivité des entreprises. La défense des conditions des lycéens et de l'avenir des jeunes ne peut se faire ni au niveau des lycées ni même au niveau de la France. Elle nécessite un parti ayant un programme socialiste internationaliste.

Un petit groupe de délégués resta pour participer à un entretien avec le WSWS, dont Vincent, élève de seconde au lycée Delambre, Charlotte du lycée Thuillier, Lucie et Morgane, élèves de première littéraire au lycée Robert de Luzarches et Valentin, élève de première scientifique au lycée d'Albert.

Le WSWS demanda ce qui avait déclenché ce mouvement. Ils répondirent que c'était la loi Fillon sous tous ses aspects, contrôle continu, socle commun, options qui disparaissent.

WSWS : Quelles sont vos expériences de la lutte ?

Vincent : Des manifs, des occupations, un référendum.

Lucie : Rencontrer des gens, créer des contacts, se rendre compte qu'on est tous ensemble, c'est super important.

Vincent : Nous sommes mobilisés depuis que nous sommes rentrés des vacances de février, c'est-à-dire depuis le 24 février.

WSWS : Comment avez-vous réagi au retrait temporaire de la réforme du bac ?

Lucie : Nous avons bien compris que c'était pour nous calmer, nous démobiliser. Ils vont faire ça plus tranquillement plus tard, pendant le bac par exemple.

Valentin : Le bac, c'est la question qui touche le plus de gens. Moi qui suis en 2nd suis très concerné, peut-être même le plus. Le bac c'est l'avenir de la France, ça fait partie de la France.

Lucie : En défendant le bac, on défend notre éducation, le fondement de notre éducation, toutes les générations futures. On ne se bat pas que pour nous, on se bat pour la France et pour l'avenir. C'est une réforme dangereuse à long terme.


WSWS : J'ai été impressionné par un tract au nom du collectif lycéen amiénois et albertin qui insiste très fort sur l'égalitarisme.

Lucie: Déjà il existe des inégalités par rapport au bac entre les différents lycées et le contrôle continu au bac c'est créer un fossé, et tomber dans la fosse directement. Une réforme, on veut bien mais une bonne réforme, une réforme qui privilégie l'éducation.

Valentin : On voit bien avec le Brevet des collèges, c'est le contrôle continu et cela n'a aucune valeur.

Lucie : On voyait cela venir : on ne parle plus de l'Education Nationale, ce n'est plus que l'Education et beaucoup de gens ne s'en sont pas rendu compte.

WSWS : Est-ce que vous diriez que votre lutte c'est pour une société égalitaire ?

Valentin: Déjà le socle commun crée une éducation à deux vitesses.

Lucie : C'est très, très flou ce socle commun. Déjà il n'y a pas d'histoire dans ce socle commun, alors que la base même de la citoyenneté c'est de connaître l'histoire de son pays.

WSWS : Depuis la réforme Devaquet en 1986, il y a eu des vagues successives de luttes des lycéens contre l'élitisme. Le gouvernement avait dû céder en 86.

Valentin : C'était dû à l'assassinat de Malik Oussékine.

WSWS : En 1986, avec Jacques Chirac comme premier ministre, le ministre de l'intérieur, Charles Pasqua avait réprimé avec brutalité les manifestations et deux étudiants furent tués par les forces de l'ordre. Il y avait eu aussi des provocateurs qui avaient attaqué les manifestants.

Lucie : On a eu des problèmes de casseurs qui se sont introduits dans la manif du 8 mars. Ils étaient très nombreux, près d'un millier. On se demande s'ils n'ont pas été organisés par le gouvernement. La police a laissé faire, n'est pas intervenue. Cela a démobilisé beaucoup de gens.


WSWS : Le 10 mars il y avait beaucoup de gens dans la rue, un million de grévistes. Comment avez-vous réagi au fait qu'il n'y a pas eu de suite ?

Lucie : Grosse déception.

Valentin : Il n'y a pas eu de suite, le mouvement s'est cassé aussitôt. Pourtant il y a énormément de mouvements sociaux en ce moment.

Lucie : les marins pêcheurs, Eurostar, le Droit au logement aussi avait récemment appelé à une grande manif. Ils ont dit à Mme le maire d'Amiens : « N'oubliez pas que les pauvres aussi ont le droit de vote ». C'est un appel à la rébellion. Le problème c'est que les médias le cachent vraiment. L'information devient de la désinformation. On dit très peu sur le mouvement des lycéens et on sait que cela peut casser le mouvement et on a peur que ça marche. C'est pour ça qu'on essaie de faire des actions.

WSWS : Mais comment vous l'expliquez cette cassure du mouvement après le 10 mars ?

Lucie : Les lycéens se sentent seuls dans la lutte. Le bac c'est notre symbole et c'est ça qu'on défend mais en même temps on a peur de ce gouvernement, peur de ce qu'il veut faire aux générations qui vont suivre. Les lycéens ont besoin que les parents, la famille, les profs soient avec nous. C'est capital pour continuer. On a besoin du soutien des parents.

Vincent : Profs, élèves, parents doivent être mobilisés.

WSWS : Votre mouvement fait partie d'un mouvement, d'une résistance à échelle mondiale. Pensez-vous qu'il soit possible de gagner définitivement sur vos revendications en se battant au niveau lycéen et au niveau national ?

Valentin : Il faut une vision plus large.

Lucie : Les lycéens ont un poids, une force très grande. C'est l'avenir du pays. On fait peur au gouvernement. On peut faire jouer le climat social face au référendum sur la constitution européenne qui est mauvaise pour nous. Mais seuls, on peut s'essouffler. Il y a plein de mécontentement partout, mais c'est chacun son tour. Chacun y va de sa manif. Il faudrait un appel à la manifestation générale, pas forcément une grève, on verrait ce que cela donnerait. Le problème c'est que les syndicats ont un pouvoir énorme. Je ne sais pas, si on pouvait lancer un appel hors syndicat pour que tout le monde soit dans la rue pour toutes leurs revendications

WSWS : Qu'est-ce que ça veut dire gagner cette lutte ? Peut-on gagner si Fillon reste et Chirac ou même s'ils sont remplacés par la Gauche plurielle ?

Lucie : Les lycéens veulent le retrait immédiat de la réforme et ne pas aller vers une Europe libérale. Mais derrière ces mouvements, il y a aussi l'envie de renverser ce gouvernement et de changer de manière radicale ce qui a été fait.

Valentin : Il n'y a pas de grande nuance entre ce gouvernement et la Gauche plurielle.

Lucie : Nous, ce qu'on veut c'est un changement radical. Est-ce qu'on va y arriver ?...

Le WSWS a distribué la déclaration du Comité de rédaction du WSWS du 5 février 2005 « Les salariés ont besoin d'une nouvelle perspective politique » et plusieurs lycéens ont souhaité se procurer le pamphlet du Comité International de la Quatrième Internationale écrit par Peter Schwarz et Jacqueline Simon, « La lutte des étudiants et des lycéens novembre - décembre 1986, Une analyse marxiste ».

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