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Le Canada mène le bal du soutien au simulacre des élections en Irak

Par Keith Jones
Le 17 janvier 2005

Sous les ordres du gouvernement libéral fédéral, la commission électorale du Canada dirige la Mission internationale sur les élections en Irak (MIEI) qu'elle a créé. Le but ostensible de la MIEI est de déterminer si l'élection du 30 janvier d'un gouvernement provisoire de 275 membres à l'Assemblée nationale irakienne et les votes subséquents pour ratifier une nouvelle constitution et élire une nouvelle assemblée nationale avant la fin de l'année sont libres et justes. Mais le véritable mandat de la MIEI - comme ses origines, sa composition et la conduite de la mission le démontrent - est de rallier un soutien international au simulacre des élections organisé par les États-Unis en Irak de façon à légaliser l'occupation militaire continue de ce pays riche en pétrole.

Le gouvernement canadien n'a cessé de réitérer son appui au régime de marionnette créé par Washington en Irak; il a également salué comme la naissance d'un Irak « démocratique » le processus conçu par les États-Unis où un parlement sera élu et une constitution rédigée sous l'oeil attentif des forces d'occupation américaines et britanniques« Nous reconnaissons tous qu'il s'agit d'un moment crucial dans la transition politique en Irak », a déclaré le ministre canadien des Affaires étrangères, Pierre Pettigrew à la conférence internationale qui a créé la MIEI. « La meilleure façon d'assurer la stabilisation de l'Irak est un processus politique démocratique, ouvert à tous et crédible. »

Depuis des mois, les fonctionnaires du gouvernement libéral sollicitent un rôle pour le Canada dans l'organisation et la validation des élections en Irak comme moyen d'apaiser les plaintes de l'administration Bush à propos du manquement du Canada à participer à l'invasion américano-britannique de l'Irak. On s'attendait à ce qu'un tel rôle pour le Canada dans l'organisation et la surveillance des élections irakiennes à venir soit annoncé juste avant ou pendant la récente visite du président américain George Bush de fin novembre au Canada. Mais l'insurrection populaire grandissante en Irak et l'incapacité des forces militaires américaines d'assurer la sécurité des fonctionnaires du gouvernement canadien devant être déployés dans ce pays a fait que cette annonce a été reportée et qu'en bout de ligne l'importance et l'étendue du rôle du Canada a été réduit de façon considérable.

Les autres missions d'observation des élections auxquelles Élections Canada a participé consistaient en l'observation sur place de la campagne, du vote et du dépouillement. Mais la MIEI sous contrôle canadien sera beaucoup plus « souple ». En fait, selon toute vraisemblance, elle n'aura aucune présence en Irak. Ses membres « observeront » les élections plutôt de leurs bureaux et de leurs chambres d'hôtel depuis l'État voisin de Jordanie!

Le reporter Lawrence Martin du Globe and Mail, lui même partisan d'un soutien canadien aux élections parrainées par les États-Unis en Irak, a rapporté cette semaine que le dirigeant d'Élections Canada, Jean-Pierre Kingsley, et ses aides « n'imposeront pas de critères très sévères » dans l'évaluation de ces élections. En fait, Martin concède que Kingsley « place la barre basse ». Il n'établira pas de plancher minimum pour la participation populaire. Pas plus qu'il ne s'abstiendra de déclarer que les élections seront l'expression légitime de la volonté du peuple irakien « même si les [arabes] sunnites- qui constituent le cinquième de la population du pays - n'iront pas voter ».

Il serait absurde de prétendre que les élections du 30 janvier seront autre chose qu'un simulacre. L'Irak est placé sous occupation militaire, le résultat d'une guerre d'agression illégale déclarée sur la base de mensonges et de fabrications. En 22 mois de guerre et d'occupation, plus de 100 000 Irakiens - la vaste majorité des civils - ont été tués et des quartiers, des agglomérations, et dans le cas de Fallouja, une ville entière, ont été réduits en ruines. Confronté à une insurrection populaire croissante - dont le commandant des forces terrestres américaines en Irak, le lieutenant-général Thomas Metz, a concédé la semaine passée qu'elle rendait impossible la tenue d'élections en tout ou en partie dans quatre provinces - le Pentagone envisage d'organiser des escadrons de la mort du style utilisé au « El Salvador ». Ceux-ci s'emploieraient à écraser la rébellion en faisant « disparaître » des personnes et en imposant des représailles collectives contre les collectivités soupçonnées de soutenir les insurgés.

Devant la préoccupation internationale grandissante quant à la perspective de la tenue d'un exercice ne ressemblant en rien à des élections véritables le 30 janvier, le premier ministre par intérim irakien Iyad Allawi insistait récemment sur le fait que seule quelques « poches » dans le pays n'allaient pas voter. S'il s'agit là de plus qu'une simple emphase, cela ne peut vouloir dire qu'au cours des deux dernières semaines de « campagne », les forces militaires américaines vont exercer un règne de terreur dans la majorité du pays, y compris dans les deux plus grandes villes d'Irak, Bagdad et Mossoul. Pendant ce temps, à Kirkuk, la minorité turkmène fait face aux tentatives concertées des nationalistes kurdes pour les expulser.

Quelques 70 partis et organisations, notamment des organisations turkmènes et de femmes, le principal ordre religieux sunnite, l'Association des intellectuels musulmans, et le plus grand parti politique sunnite, le Parti islamiste d'Irak, appellent au boycott ou au report des élections sur la base que des élections véritablement démocratiques sont impossibles tant que le pays est placé sous occupation étrangère et aux prises avec une insurrection.

L'administration Bush ne tolérera cependant aucun délai, et la MIEI dirigée par le Canada, agissant sous les ordres du gouvernement libéral du Canada, est prête à fournir la charade de sa parole. Ce faisant, elle répétera sans nul doute les déclarations des États-Unis selon lesquelles la violence des « opposants à la démocratie » - et non pas la résistance à l'impérialisme américain - a empêché les masses irakiennes d'aller aux urnes.

Les liens entre la MIEI et le gouvernement américain

La MIEI a été établie lors d'une conférence à huis clos convoquée par le gouvernement canadien et à Ottawa les 19 et 20 décembre. Cette conférence a été endossée par les Nations Unies qui, suite à un consensus des grandes puissances autour de l'idée qu'une déroute des États-Unis en Irak déstabiliserait dangereusement le Moyen-Orient, sont apparues comme un rempart essentiel du gouvernement provisoire d'Irak. Bien qu'Élections Canada pas plus que le ministère des Affaires étrangères n'aient publié une liste complète des participants, on sait que des militaires américains ont déposé un rapport lors de cette conférence.

Parmi les pays dont les commissions électorales participent à la MIEI, il y a le Royaume-Uni, principal allié des États-Unis dans la conquête de l'Irak, le Mexique qui, à l'instar du Canada, cherche à tout prix à apaiser Washington après avoir rechigné à joindre la « coalition », le Panama, qui en 1989 a été lui même envahi par les États-Unis, et deux pays pauvres à majorité musulmane, l'Albanie et l'Indonésie.

Élections Canada rapporte qu'elle a organisé la conférence en « partenariat » avec la Fondation internationale pour les systèmes électoraux. La FISE fait partie d'un réseau d'organisations de la dite société civile créée au cours des deux dernières décennies par des chefs d'entreprises américains et des membres des partis républicain et démocrate. La FISE fonctionne comme un bras de la politique étrangère des États-Unis. Son conseil d'administration regorge d'anciens hauts fonctionnaires du gouvernement et de politiciens tels que Robert Livingston, ancien leader républicain à la Chambre des représentants et Peter Kelly, ancien trésorier du Parti démocrate. Parmi la poignée de membres du conseil d'administration de la FISE qui ne sont pas Américains, il y a Jean-Pierre Kingsley précédemment mentionné, et Andrés Pastrana, l'ancien président de la Colombie de 1998 à 2002 qui a facilité l'application du plan Colombia américain. Lancé au nom de la lutte contre le trafic de la drogue et le terrorisme, le plan Colombia a entraîné une intensification de la répression étatique en Colombie et facilité une augmentation massive de la présence militaire américaine dans la région andine.

Par l'entremise de la FISE, le rôle dominant dans la mission d'observation des élections initiée par le Canada peut ainsi être remonté directement jusqu'au gouvernement américain.

C'est loin d'être la première fois que le gouvernement canadien met son image de gardien de la paix, de défenseur de la démocratie et du droit international qu'il cultive avec soin au service de l'impérialisme américain. Pour ne citer qu'un exemple : lors de la guerre du Vietnam, la délégation canadienne de la Commission de contrôle international, agissant sous les instructions d'Ottawa, a défendu les violations de traité effectuées par le régime sud-vietnamien appuyé par les États-Unis, aidé à l'introduction clandestine de personnel et de matériel militaire américain, fournit des renseignements à la CIA et fait du repérage d'objectifs pour les attaques aériennes américaines contre Hanoi.

En mars 2003, Jean Chrétien, le prédécesseur de Paul Martin à la tête du Parti libéral, alors qu'il était premier ministre, a abandonné tout plan de participation des Forces armées canadiennes à l'invasion américano-britannique de l'Irak. Chrétien craignait la réaction politique au pays - les semaines précédentes ont en effet été le théâtre de gigantesques manifestations contre la guerre comptant parmi certaines des plus importantes manifestations politiques de l'histoire canadienne. Mais sa principale préoccupation a été d'empêcher l'effondrement du système des alliances interimpérialistes qui a soutenu la géopolitique mondiale depuis le début de la Guerre froide et qui a fourni à la classe dirigeante canadienne un bon moyen pour faire pression sur les États-Unis et les retenir.

Depuis le déclenchement de la guerre cependant, le gouvernement libéral est désespéré d'arranger les choses avec Washington et de convaincre l'administration Bush que le Canada peut être un partenaire zélé et loyal dans le développement de la Forteresse nord-américaine. Sous Chrétien, et depuis décembre 2003 sous Paul Martin, le gouvernement libéral a rejeté toute discussion sur la légalité de la guerre « préventive » américaine et a depuis annoncé l'octroi de 300 millions $CAD pour aider à la reconstruction de l'Irak, déployé des troupes canadiennes en nombre toujours plus importants pour soutenir le régime de marionnette pro-américain en Afghanistan, annoncé d'importantes augmentations des dépenses militaires et le renforcement des troupes canadiennes, et organisé pour Bush une réception somptueuse et servile lors de sa visite au Canada en novembre dernier.

Dans cette voie, les libéraux ont reçu le plein appui de la classe dirigeante canadienne. Si une chose est sure, c'est bien que les médias contrôlés par les entreprises sont très critiques envers le gouvernement, trop lent selon eux à cimenter des liens plus étroits avec Washington et Wall Street. La bourgeoisie canadienne calcule qu'avec la compétition qui va en s'intensifiant rapidement pour les marchés et les profits, et les rivalités géopolitiques entre les grandes puissances, elle peut mieux défendre et faire valoir ses intérêts prédateurs en formant un partenariat encore plus étroit avec ses rivaux historiques que sont les États-Unis.

Ce n'est pas un hasard si le premier accord que Martin a négocié avec Bush dès qu'il est devenu premier ministre a été la levée des restrictions frappant les entreprises canadiennes pour soumissionner pour l'obtention de contrats de reconstruction en Irak.

Le rôle d'Élections Canada dans l'orchestration d'un bal international pour soutenir le simulacre d'élections en Irak ne fait que souligner la complicité du gouvernement libéral et de la classe dirigeante canadienne dans l'occupation coloniale sanglante de l'Irak.



 

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