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Référendum français sur la constitution européenne : le débat officiel

Par Peter Schwarz
26 mai 2005

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Les dernières semaines ont vu un débat intense se développer en France à l'approche du référendum du 29 mai sur la constitution de l'Union européenne. Mais le débat a été entièrement confiné au cadre de la politique bourgeoise officielle. Il n'y a pas la moindre trace d'une perspective indépendante qui permettrait à la masse de la population d'articuler ses propres revendications et de faire valoir ses intérêts à elle.

Une telle perspective, basée sur la lutte pour les États unis socialistes d'Europe, n'a été mise de l'avant que par le World Socialist Web Site, l'organe du Comité International de la Quatrième Internationale. (Voir : «France : Votez 'non' au référendum sur la Constitution européenne »)

Le camp du « oui » est dirigé par les leaders de l'establishment politique: d'un côté, le président Jacques Chirac et ses supporters au sein de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), et l'Union pour la démocratie française (UDF) partisane du « libre marché », qui fait également partie du camp gouvernemental; et de l'autre côté, la direction du Parti socialiste sous la houlette de François Hollande. Le Parti vert est également un membre bien en vue du camp officiel du « oui ».

Le Parti socialiste qui, sous le président François Mitterrand et le président de la Commission de l'Union européenne Jacques Delors, était considéré comme le parti pro-européen le plus en vue de la France, est profondément divisé au sujet du référendum. L'ancien premier ministre Laurent Fabius, un droitier dans l'establishment du parti, ainsi que les députés Henri Emmanuelli et Jean Luc Mélenchon, considérés tous deux à la gauche du parti, font campagne pour le « non ». Dans un vote interne du parti sur la question à la fin de l'année dernière, 40 pour cent des membres ont voté contre la constitution.

Il y a également des tensions substantielles dans le camp gouvernemental. À part un petit groupe de dissidents, l'UMP opte pour le « oui », mais les deux plus importants représentants du parti, le président Chirac et le chef du parti Nicolas Sarkozy, justifient leurs campagnes respectives pour le « oui » sur la base d'arguments très divergents et même opposés.

Quant au camp du « non », une aile comprend l'extrême-droite. Celle-ci présente l'Union européenne comme une menace à la nation française et mène une campagne raciste et anti-islamique contre l'admission de la Turquie au sein de l'UE.

L'autre aile se compose d'un large regroupement de gauche, qui va d'une minorité au sein du Parti socialiste aux souverainistes menés par Jean-Pierre Chevènement et aux adversaires de la mondialisation au sein d'Attac, en passant par le Parti communiste et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

Lorsque Chirac a annoncé un référendum sur la constitution européenne le 14 juillet dernier, la fête nationale française, il n'a jamais envisagé la possibilité d'un rejet. Les sondages d'opinion publique faisaient alors état d'une majorité de deux tiers en faveur de la constitution. Avec la tenue d'un référendum, Chirac cherchait à faire mousser sa popularité suite aux défaites douloureuses subies par le camp gouvernemental aux élections européennes et régionales.

Depuis lors, cependant, l'humeur publique a changé. Les sondages enregistraient il y a quelques semaines jusqu'à 60 pour cent de soutien pour le « non », et le résultat du vote demeure incertain à l'approche du jour du scrutin. Ce changement d'humeur exprime en premier lieu les craintes populaires quant aux effets de la politique économique « du libre marché » incorporée dans la constitution, ainsi qu'une opposition largement répandue à la politique sociale menée par Chirac et son premier ministre, Jean-Pierre Raffarin.

Le camp du « oui »

Les promoteurs de la constitution font ouvertement appel au chauvinisme français plutôt qu'à un large idéal européen. Le destin d'autres peuples européens n'occupe aucune place dans leur campagne. Leur argument central est que seul le cadre fourni par l'Union européenne permettra à la France de rassembler la force nécessaire pour faire face au défi que présente l'Amérique.

Le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier, un ami de confiance de Chirac, a déclaré que le référendum était le moyen pour le peuple français de décider s'il voulait d'une « Europe européenne » ou d'une « Europe sous influence américaine ». Si la constitution est rejetée, a-t-il soutenu, la France verra un déclin de son influence internationale.

Le patron de l'UDF François Bayrou s'est exprimé de manière encore plus claire. Lorsqu'on lui a demandé en entrevue de citer les raisons de voter « oui », il a répondu : « Nous avons besoin d'une Europe unie et forte face aux États-Unis, à la Chine et aux puissances émergentes. Regardez la pression de l'immense Chine. Regardez la domination américaine. Sans l'Europe, sans la constitution, nous serions dans une situation de soumission. »

Les tenants du « oui » au sein du Parti socialiste avancent des arguments similaires. Dans un article paru dans la revue Politique Internationale, Pierre Moscovici, ministre délégué des Affaires européennes dans le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, a écrit qu'une Europe élargie « sera, pour la France, un multiplicateur d'influence ». Il a lancé l'avertissement suivant: « Au moment où les États-Unis viennent, après un premier mandat contesté de George Bush, de lui confier un leadership indiscutable sur une base profondément réactionnaire en politique intérieure comme en politique extérieure, un affaiblissement de l'Europe et la renonciation aux apports du traité seraient absurdes, voire suicidaires. Une Europe en crise, paralysée et divisée, serait un cadeau inespéré - ou plutôt espéré - pour une administration américaine qui ne reconnaît déjà pas de bornes à son pouvoir. »

Le chancelier allemand Gerhard Schröder et le président français Chirac ont exprimé essentiellement la même position dans une déclaration commune émise fin avril. La ratification de la constitution européenne est « une phase importante » dans le maintien de « l'influence de l'Europe sur la scène internationale », ont-ils déclaré.

Cherchant à apaiser les craintes populaires quant aux conséquences économiques et sociales de la constitution, ses partisans soutiennent que seule une Union européenne forte peut servir d'écran protecteur au modèle social européen face à la mondialisation. C'est l'argument classique du chauvinisme social.

Il s'agit de subordonner les intérêts sociaux de la classe ouvrière à la nécessité pour l'impérialisme français et européen de « maintenir l'influence de l'Europe sur la scène internationale. » Avec la même logique - la défense de son propre pays en tant que condition du socialisme - les sociaux-démocrates des diverses puissances européennes ont envoyé des millions de travailleurs à une mort insensée sur les champs de bataille de la première guerre mondiale.

Le camp du « non »

Les arguments avancés par la plupart des adversaires bien en vue de la constitution diffèrent à peine de ceux du camp du « oui ». Ils préconisent également une France forte dans une Europe forte. S'ils rejettent cependant la constitution, c'est parce que celle-ci cède à leur avis aux États-Unis une influence trop grande sur la politique européenne. Ils soutiennent également que la France ne peut pas simultanément faire face aux États-Unis et mener une guerre contre sa propre classe ouvrière.

Sur cette base, ils demandent une révision de la constitution pour rendre moins apparents son soutien biaisé pour le libéralisme économique et son caractère anti-social. Ils ne remettent nullement en question le caractère capitaliste et impérialiste de l'Union européenne elle-même.

Sur son site Web, Laurent Fabius énumère « six bonnes raisons de voter Non ». Les trois premières sont ouvertement de type chauvin : la constitution résulterait en « une Europe impuissante », une « France affaiblie » et des « institutions verrouillées ».

Comme preuve de l'impuissance de l'Europe, il cite la subordination de sa politique de la défense à une OTAN dominée par les États-Unis ainsi que la condition d'unanimité prévue par l'UE pour les décisions touchant à la politique étrangère. Il soutient ensuite que la France sera affaiblie si elle perd la parité des voix avec l'Allemagne tel que stipulé par la constitution, et il dénonce le fait qu'après 2014, la France ne sera plus automatiquement autorisée à nommer un commissaire de l'UE. Il affirme plus loin que l'expansion de l'UE diminuera le poids relatif de la France.

Le fait que la constitution ne puisse être amendée qu'à l'unanimité, poursuit-il, mènera à des « institutions verrouillées » et rendra impossible la formation « d'une avant-garde européenne ».

Ses trois autres raisons de voter « non » sont dirigées contre le libéralisme économique à toute vapeur incarné dans la constitution et l'absence d'une politique de réconciliation sociale. C'est de la pure démagogie venant d'un Fabius ayant joué un rôle important dans l'application de la politique qu'il critique maintenant. De 1984 à 1986, Fabius a mené une stricte politique d'austérité en tant que premier ministre de Mitterrand. Dans les années 1990, il a appuyé les traités européens de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice, précurseurs de l'actuelle constitution.

Tout en s'opposant à la constitution proposée, Fabius déclare son soutien explicite pour l'Union européenne, pour une Europe « capable d'agir » et pour un renforcement de l'axe franco-allemand. « Le couple franco-allemand est absolument décisif » , a-t-il dit dans une entrevue sur France inter. « J'aurais souhaité pour ma part », a-t-il ajouté, « que l'on aille vers une défense franco-allemande, que nous mettions en commun nos puissances, au FMI et à la Banque mondiale, et qu'ensemble nous allions aider les pays en développement ».

Dans un article de l'Humanité, il a justifié son soutien pour l'union monétaire européenne avec l'argument que l'euro sert d' « instrument de stabilité et de puissance dans le concert mondial ». Il a continué ainsi : « La monnaie unique doit permettre à l'Union européenne, donc à la France, de rééquilibrer le rapport monétaire des forces avec les États-Unis ».

Fabius préconise la renégociation de la constitution, ce qui, souligne-t-il, était expressément prévu au cas où le document était rejeté par plusieurs pays. Si la France devait rejeter la constitution, soutient-il, elle verrait son influence accrue dans tout processus de renégociation.

Un tel résultat est fort douteux, et Fabius le sait trop bien. La logique de sa position est qu'il vaut mieux se passer de constitution que d'en avoir une qui limite la puissance française et où les décisions sont prises par une majorité sous l'influence de Washington.

L'aile majoritaire, pro-constitution, du Parti socialiste juge la position de Fabius hautement risquée. Jospin, qui s'est retiré complètement de la politique après sa défaite aux élections présidentielles de 2002, est sorti de son silence pour prendre publiquement position contre Fabius. « Quand on veut l'Europe, on dit oui à l'Europe, on ne dit pas non à l'Europe », a-t-il dit dans sa première apparition télévisée en trois ans.

Le Parti communiste français (PCF), qui n'a jamais eu de scrupule à se complaire dans un nationalisme français débridé, a raffiné les arguments de Fabius. Le PCF présente la France comme la « voix du peuple », un chef de file dans le combat contre le néo-libéralisme économique et un défenseur de « l'Europe sociale ». L'organisation stalinienne réclame sur cette base plus de pouvoir et d'influence pour la France.

« Un rejet du traité de constitution par la France lui donnerait l'occasion de faire entendre en position de force une voix différente sur le cours de la construction européenne », voici comment l'organe du parti l'Humanité plaide pour le « non ». Le journal cherche à rassurer ceux qui sont enclins à voter « oui » en soutenant que si la constitution était rejetée, l'Europe pourrait continuer sur la base du traité de Nice de 2002, avec « la France en son sein, à la différence que sa voix et ses positions seront particulièrement attendues ».

Fois après fois, poursuit l'Humanité, « quand la France ose faire entendre la voix des peuples dans le concert des institutions internationales, elle gagne en prestige et en influence ». L'Humanité cite en exemple l'opposition de Chirac à la guerre d'Irak au sein des Nations Unies et les pressions françaises pour que la directive de Bolkestein soit révisée par la Commission européenne.

L'organe du PCF va jusqu'à critiquer la constitution parce qu'elle permet aux États-Unis, via l'OTAN, de saboter le réarmement militaire européen : « Tout programme qui déplairait à l'administration des États-Unis pourrait être immédiatement gelé par les États dont la défense est garantie par Washington à travers l'OTAN. Déjà certains pays de l'UE comme la Grande-Bretagne bloquent le développement des applications militaires du système de positionnement satellitaire Galileo qui aurait permis de briser le monopole du Global Positioning System (GPS) entièrement contrôlé par les États-Unis ».

Le Ligue communiste révolutionnaire (LCR) fait partie intégrante du camp bourgeois du « non », fournissant une couverture de gauche à la politique nationaliste de ce dernier. Ses porte-parole figurent régulièrement aux côtés de représentants du Parti socialiste, du Parti communiste, d'Attac et des « souverainistes » à l'occasion de meetings conjoints contre la constitution. Bien qu'elle n'utilise pas la rhétorique nationaliste des staliniens et des sociaux-démocrates, et qu'elle préconise une « Europe des travailleurs », sa principale fonction politique est de camoufler le chauvinisme social de ses alliés du camp du « non ». La LCR s'abstient de toute polémique contre eux, et s'efforce de gommer les contradictions irréconciliables qui existent entre la politique du camp bourgeois opposé à la constitution et un programme socialiste dans l'intérêt de la classe ouvrière.

Sarkozy

Tandis que les représentants des camps du « oui » et du « non » présentent tous deux l'État français comme le garant et le défenseur « du modèle social français » contre l' « ultralibéralisme », Nicolas Sarkozy, le président de l'UMP et le plus rude rival de Chirac, affirme le contraire au sein de son parti. Le Figaro a résumé en ces mots les différences entre Chirac et Sarkozy : « Il y a le oui de Chirac basé sur l'exaltation du "modèle social français" et le oui de Sarkozy qui voit l'Europe comme un levier pour réformer la France ».

Sarkozy justifie son soutien pour la constitution sur la base qu'elle facilitera justement la réforme de l'économie de la France selon des lignes néo-libérales. « Je suis européen parce que l'Europe est un formidable levier pour faire des réformes en France », a-t-il dit en entrevue au journal Le Monde. Lors d'une réunion à Montpellier, il s'est moqué de la campagne contre le néo-libéralisme : « Notre modèle social, c'est deux fois plus de chômeurs que les autres. Heureusement que le ridicule ne tue pas ! Je ne pense pas que ce soit un excès de libéralisme qui menace la France », a poursuivi l'ancien ministre de l'Intérieur. « Je ne m'inscris pas dans cette tremblante de l'ultralibéralisme. »

Sarkozy est clairement arrivé à la conclusion que les attaques sur la classe ouvrière, jugées nécessaires par le patronat français sous la pression des marchés internationaux, ne peuvent plus s'accommoder de la rhétorique sur le « modèle social français » et l' « Europe sociale » encore utilisée par Chirac et les autres partisans de la constitution.

L'appel de Sarkozy pour une sorte de thatchérisme français est lié à une orientation différente en matière de politique étrangère. Une analyse du conflit entre les deux protagonistes de l'UMP publiée récemment dans la revue académique allemande Blätter für deutsche und internationale Politik note ceci : « En politique étrangère, Sarkozy adopte un profil pro-atlantiste beaucoup plus accentué que Chirac. Il préfère un rapprochement avec les États-Unis et des rapports plus étroits avec Israël, pays où il a effectué en décembre sa première visite à l'étranger en tant que président nouvellement élu de son parti. »

À un niveau européen, poursuit la revue, il critique la doctrine qui accorde la « priorité à un bloc franco-allemand et donne le ton au sein de l'UE, et il considère le britannique Tony Blair, l'Italien Silvio Berlusconi et l'Espagnol Jose Maria Aznar comme des partenaires. »

Sarkozy lie son soutien pour la constitution européenne à un rejet clair de l'adhésion de la Turquie à l'UE. Dans un affront à Chirac, Sarkozy a réuni l'appui de 90 pour cent des fonctionnaires du parti en faveur d'une résolution rejetant l'entrée de la Turquie, signal clair d'opposition à toute expansion supplémentaire de l'UE.

Le rapprochement de Sarkozy avec les États-Unis en politique étrangère s'accompagne de la même orientation en politique intérieure que l'administration Bush. Tandis que Chirac continue à utiliser l'appui des syndicats et des partis officiels de la gauche pour atteindre ses objectifs (en 2002, ceux-ci ont appelé à voter pour lui au deuxième tour des élections présidentielles et ils soutiennent maintenant la campagne gouvernementale pour le constitution), Sarkozy utilise la démagogie sécuritaire et les préjugés religieux pour chercher à établir une base sociale pour sa politique de droite. En tant que ministre de l'Intérieur de 2002 à 2004, il a attiré l'attention des médias par des actions spectaculaires de police et la déportation en masse d'immigrés. Catholique dévot, il a établi le Conseil français du culte musulman (CFCM) dans le but d'intégrer à l'État les éléments islamiques conservateurs.

Crise de politique étrangère

Le féroce conflit autour de la constitution européenne exprime une profonde crise dans la politique étrangère de la France.

Entre 1870 (quand l'Allemagne a vaincu la France à Sedan) et 1945 (quand le troisième Reich s'est effondré), la politique étrangère de la France a été dominée par le conflit avec sa voisine allemande. Dans la première guerre mondiale, la France était du côté des vainqueurs, mais la tentative de dompter sa rivale allemande par le biais du Traité de Versailles a complètement échoué. Deux décennies après la fin de la guerre, une machine de guerre allemande bien armée enfonçait les lignes de défense françaises dans une offensive éclair.

Après la deuxième guerre mondiale, la France s'est tournée vers une autre stratégie de politique étrangère. Saignée à blanc par la guerre, discréditée par la collaboration du régime de Vichy avec les nazis, et conduite au bord de la guerre civile par la tentative futile de préserver ses possessions coloniales en Indochine et en Algérie, la bourgeoisie française a jeté ses espoirs sur l'intégration européenne. La France était l'un des États fondateurs de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (1951), de la Communauté économique européenne (1957), de la Communauté européenne (1967) et de l'Union européenne (1992). Elle poursuivait par là deux objectifs : intégrer l'Allemagne à l'Europe pour éviter de rallumer le conflit franco-allemand, et augmenter le propre poids politique de la France dans le monde.

Cette orientation s'est avérée un succès parce qu'elle était soutenue par les États-Unis financièrement et politiquement, et qu'elle coïncidait également avec les intérêts de l'Allemagne. Les États-Unis avaient besoin d'une Europe de l'Ouest stable en tant que rempart contre l'Union soviétique et marché pour sa propre production.

Dans les années 1970, quand des tensions ont surgi entre les États-Unis et une Europe économiquement renforcée, la France a misé encore plus sur l'intégration européenne. Tandis que De Gaulle conduisait toujours la politique étrangère au nom de la « grande nation », la politique de l' « Europe puissance », une Europe forte et capable d'agir, a pris de l'ascendant.

La revue allemande Internationale Politik a commenté récemment : « La politique étrangère de la France peut encore s'expliquer dans une grande mesure par son objectif de préserver tant sa propre position que son indépendance. Depuis au moins les années 1970, la France a été consciente du fait qu'elle ne peut réaliser cet objectif qu'au moyen de l'intégration européenne. »

Il fallait faire de l'Europe un contrepoids politique et économique aux États-Unis afin de pouvoir faire face à l'Amérique sur un pied d'égalité. La coopération avec l'Allemagne s'est renforcée. Une relation étroite s'est développée entre les chefs respectifs de gouvernement, bien qu'ils venaient presque toujours de camps politique divergents : que ce soit entre l'ultralibéral Giscard d'Estaing et le social-démocrate Schmidt dans les années 1970, entre le socialiste Mitterrand et le démocrate-chrétien Kohl dans les années 1980, ou finalement entre le gaulliste Chirac et le social-démocrate Schröder.

Mais la base objective d'une telle politique a reçu un coup sérieux en 1990 : l'effondrement du pacte de Varsovie, la réunification allemande, et la fin de l'Union soviétique ont changé le rapport des forces en Europe. L'Amérique n'avait plus besoin de l'Europe en tant que rempart contre la superpuissance soviétique et se sentait moins porté à prêter attention aux intérêts européens. Avec la chute des régimes staliniens, l'Allemagne, dont le poids avait considérablement augmenté par rapport à la France, relevait une fois de plus la tête au coeur de l'Europe.

Après une brève et futile tentative d'empêcher la réunification allemande, Mitterrand a pris le taureau par les cornes et fortement encouragé l'intégration économique et politique de l'Europe et l'expansion de l'UE en Europe de l'Est. Il a poussé pour que l'Europe devienne le plus grand marché intérieur dans le monde, rattrapant les États-Unis dans le domaine économique et parlant au monde extérieur de sa propre voix sur les questions de politique étrangère et de défense. Cette orientation a été soutenue par l'Allemagne.

Le Traité de Maastricht de 1992, l'établissement de l'Union européenne, l'introduction d'une monnaie commune, et l'expansion de l'Union européenne de 15 à 25 membres ont été avant tout le fruit des efforts conjugués du chancelier Kohl et du président Mitterrand.

La constitution européenne devait être le parachèvement de ce processus, consolidant l'intégration économique et couronnant celle-ci d'une intégration politique. Mais elle a rencontré des obstacles de plus en plus intimidants.

L'expansion à l'est de l'UE, loin d'augmenter le poids de l'Europe face aux États-Unis, a renforcé l'influence américaine en Europe. Les régimes faibles et instables qui ont émergé de l'effondrement du Bloc de l'Est se sont tournés vers les États-Unis pour la protection militaire et politique. Fortement anti-russes, ils observent avec méfiance la domination franco-allemande de l'UE et craignent le développement d'un axe Paris-Berlin-Moscou. Bien qu'économiquement dépendants de l'UE, dès que les tensions montent ils se rangent politiquement aux côtés des États-Unis.

L'Angleterre, qui faisait face au danger d'être isolée en Europe, s'est sentie renforcée par son alliance avec les États-Unis et n'était plus disposée à adhérer à l'union monétaire ou à accorder une plus grande autorité à Bruxelles. Les gouvernements de droite d'Italie et d'Espagne se sont également orientés vers Washington.

La guerre en Irak a finalement mis à nu les divisions au sein de l'Europe. Depuis lors, l'Allemagne et la France ont subi des reculs répétés.

La constitution européenne actuelle n'est qu'une version réduite du traité initial, qui donnait à Berlin et à Paris beaucoup plus de poids et de possibilités pour imposer leur volonté par des décisions à la majorité. L'été dernier, Chirac et Schröder ont été incapables de faire accepter leur candidat pour la présidence de la Commission européenne, le Belge Guy Verhofstadt, et ont dû accepter le Portugais José Manuel Barroso.

Comment procéder ? Comment la France peut-elle maintenir son statut sur une planète mondialisée qui se divise en pôles de puissance ? Devrait-elle s'accrocher à la perspective d'une Union européenne en expansion, même si elle risque d'être reléguée à une position de minorité ? Devrait-elle travailler à former un « noyau dur » européen capable de prendre des initiatives indépendantes en matière de politique étrangère, contre la volonté d'autres États de l'UE si nécessaire ?

Et l'Allemagne ? Peut-on se fier à elle ? Qu'arriverait-il si, suite à un changement de gouvernement, l'Allemagne faisait des ouvertures en direction de Washington aux dépens de la France ? La France devrait-il prendre les devants et chercher ses propres arrangements avec Washington ? Gardant à l'esprit l'influence montante de la Chine et de l'Inde, est-ce même crédible d'envisager une confrontation avec les États-Unis?

C'est à de telles questions et à d'autres semblables qu'est confrontée la classe dirigeante de la France. Elles forment le contexte des conflits qui ont éclaté autour du référendum français, et qui vont s'intensifier si la constitution est rejetée dans le référendum de dimanche.

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