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Référendum français sur la constitution européenne : le non en avance dans les sondages

Par Richard Dufour
25 mars 2005

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Selon deux récents sondages d'opinion menés par les firmes CSA et Ipsos, si la constitution européenne était soumise cette semaine à un vote populaire en France, elle serait rejetée par un peu plus de la moitié des électeurs.

C'est la première fois que le non passe en tête dans les intentions de vote pour le référendum du 29 mai. Mais ce renversement était préfiguré dans le déclin continuel des intentions de oui: de 65 pourcent qu'elles étaient il y a encore trois mois, elles ne s'élevaient plus qu'à 56 pourcent dans un sondage effectué par Sofres-Unilog juste avant ceux de CSA et Ipsos. Une constante de toutes les enquêtes a été le fort taux d'abstention anticipé.

L'annonce des dernières prévisions a provoqué tout un émoi au sein de l'establishment politique français, qui a historiquement mené la charge avec l'Allemagne pour une Europe capitaliste «forte». Si le non l'emportait, a tonné le président Jacques Chirac, «nous serions probablement tout à fait isolés, avec tout ce que cela comporterait ... comme conséquences pour la France et sa capacité à défendre ses intérêts». Quant à François Bayrou, chef de l'UDF (Union pour la démocratie française), une des composantes de la coalition gouvernementale de droite de l'UMP (Union pour un mouvement populaire), il a fait savoir que «ce serait la fin de l'Europe politique».

Les responsables du Parti socialiste (PS) ont adopté le même ton alarmiste, où perce la menace contre ceux qui oseraient rompre le consensus officiel. «Ce qui est en cause», a déclaré l'ancien ministre de l'économie de Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, «c'est l'avenir de l'Europe, c'est l'avenir de la France». Quant au numéro un du PS, François Hollande, il répète partout que «si le traité est repoussé, il n'y aura pas de constitution et on en restera au marché».

Ce que Hollange et toute l'élite dirigeante craignent le plus, c'est que les mouvements de protestation ayant éclaté depuis le début de l'année contre l'assaut patronal et gouvernemental sur les conditions de vie ne viennent alimenter le non. «Ce n'est pas supportable», a laissé échapper le dirigeant socialiste, «d'avoir une montée à ce point de la colère et de la frustration, référendum ou pas».

Les sondages de CSA et Ipsos ont pris le pouls politique des Français alors que s'amorce la campagne référendaire. Fait remarquable et largement passé sous silence, le non est passé en tête dans les intentions de vote en dépit d'une couverture médiatique très largement biaisée en faveur du oui - 69 pourcent du temps d'audience télé, 80 pourcent des commentaires à la radio et 85 pourcent des points de vue publiés dans la presse écrite, selon ce qu'a noté un observateur pour la période du 1er au 14 mars.

La plupart des analystes ont associé la montée du non à l'actualité récente, pointant du doigt les massives protestations étudiantes et syndicales du 8 et du 10 mars, ainsi que la controverse suscitée par la directive dite de Bolkestein sur la «libéralisation» des services. Mais l'opposition aux mesures anti-sociales de la classe dirigeante, et la méfiance envers ses plans constitutionnels dont la directive de Bolkestein est vue avec raison comme un symbole, ont des causes plus fondamentales.

Elles expriment avant tout la persistance d'une profonde aliénation populaire, laquelle explose à la surface à intervalles réguliers. Il y a eu le 21 avril 2002 et le vote-sanction asséné au Premier ministre socialiste Lionel Jospin, qui s'est vu éliminé du second tour de l'élection présidentielle au profit du chef du Front national d'extrême-droite, Jean-Marie Le Pen. Ce «séïsme politique» a été suivi par un taux d'abstention-record lors des élections européennes de juin 2004. Voilà maintenant que le référendum du 29 mai offre la réelle possibilité d'un rejet de la constitution - projet visant à fournir un cadre légal au tournant brutal du grand capital européen vers le modèle social américain, c'est-à-dire l'élimination de toute restriction à son «droit» d'accumuler les profits via privatisations, délocalisations et démantèlement de la sécurité sociale.

Loin d'être un phénomène conjoncturel, la poussée du non dans les sondages est le symptôme d'une crise sans précédent pour laquelle la classe capitaliste dirigeante n'a aucune solution progressiste.

L'ampleur de cette crise est mise en évidence par divers indicateurs sociaux. Après avoir enregistré une poussée du chômage à plus de 10 pourcent pour la première fois en cinq ans, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a publié le 15 mars une étude indiquant que le salaire net moyen a reculé de 0,3 pourcent en 2003 en tenant compte de l'inflation. Autre indice révélateur récemment rendu public, les bénéficiaires du RMI (Revenu minimum d'insertion, ou aide de dernier recours) ont été 9 pourcent plus nombreux en 2004 comparé à 2003.

Pendant ce temps, 2004 a été une année de profits records pour la grande entreprise, à la faveur notamment de transferts d'opérations vers les pays de l'Est nouvellement intégrés à l'Union européenne (UE) où se trouve une main-d'oeuvre qualifiée sujette à des taux salariaux et avantages sociaux minimes comparés à ceux de l'Ouest.

À défaut de pouvoir offrir une véritable solution à la crise socio-économique, l'élite politique cherche, avec l'aide des médias de masse, à manipuler l'opinion publique dans l'espoir de renverser la tendance révélée dans les récents sondages.

C'est ainsi que le gouvernement Raffarin prétend s'être mis à l'écoute de la rue en laissant entendre qu'il pourrait revoir l'offre salariale faite aux fonctionnaires. Mais ce n'était qu'une des nombreuses questions figurant au coeur des protestations de masse des derniers jours. Celles-ci ont été tout autant provoquées par l'allongement du temps de travail, l'assaut sur l'éducation, les coupures d'emplois, ou le démantèlement des services publics. Le léger recul promis par le gouvernement est d'ailleurs loin d'être assuré. Le ministre de la fonction publique Renaud Dutreil s'est refusé cette semaine lors de la supposée réouverture des négociations salariales à communiquer toute proposition chiffrée de revalorisation des traitements pour 2005.

Ce qui n'empêche pas les centrales syndicales de participer pleinement à ce semblant de négociations. Elles poursuivent par là leur rôle essentiel consistant à neutraliser l'énergie combattive des membres de la base en la maintenant dans le cadre étroit de la négociation collective sans remettre en cause le système de profit ou l'ordre politique existant.

Les concessions verbales du gouvernement ont été mal reçues par certaines sections de la grande entreprise. Le Medef (Mouvement des entreprises de France) a exigé «des contreparties en termes d'effectifs, de productivité, de réformes», c'est-à-dire une aggravation des conditions de travail des fonctionnaires. L'association patronale a également servi une fin de non-recevoir aux vagues prommesses du gouvernement d'«inciter» les entreprises à relever les minima salariaux de nombreuses branches. «Remonter brutalement ces minima au niveau du smic [salaire minimum]», a déclaré son président Ernest-Antoine Seillère, «serait un signal extrêmement fort d'une politique salariale totalement incompatible avec notre économie».

Des députés UMP ont dénoncé le manque de «courage» du gouvernement Raffarin. «À force de prendre notre électorat à rebrousse-poil en lui donnant le sentiment qu'on recule», a tempêté le président du groupe UMP au Conseil de Paris, Claude Goasguen, «on va finir par avoir de sérieux ennuis aux prochaines élections». Lors de la «Convention sociale» de l'UMP, tenue la semaine dernière avec la participation de 8 ministres et 80 parlementaires, son président Nicolas Sarkozy, étoile montante de la droite française, a réaffirmé que c'est «le marché qui détermine le niveau de salaire». Comme «solution» au manque à gagner salarial, il a préconisé de favoriser les heures supplémentaires en «baissant les charges sociales et patronales».

Le comble de l'hypocrisie dans le débat politique officiel a peut-être été atteint avec la controverse suscitée par la directive sur la «libéralisation» des services au sein de l'UE, connue sous le nom du commissaire l'ayant parrainée, le néerlandais Fris Bolkestein.

Cette directive s'inscrit dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, adoptée en mars 2000 lors du sommet des Quinze dans la capitale portugaise, en pleine euphorie de plans grandioses voulant faire de l'Europe en dix ans «l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde». Elle a été votée à l'unanimité et sans débat en janvier 2004 par la Commission Prodi, où siégaient les commissaires français Pascal Lamy et Michel Barnier, l'actuel ministre des affaires étrangères.

En introduisant le principe qu'un fournisseur de services dans tout pays de l'Union européenne serait assujetti aux standards légaux et sociaux en vigueur dans son pays d'origine, cette directive ouvre la porte au nivellement par le bas des conditions sociales sur l'ensemble du continent. Il y a deux ans, par exemple, les Chantiers de l'Atlantique de Saint-Nazaire, appartenant au groupe français Alstom, ont été mis sur la sellette par la grève d'ouvriers roumains et indiens: ces travailleurs protestaient contre les conditions que leur imposaient les entreprises de sous-traitance qui vendaient leur travail aux Chantiers.

Chirac a soudainement découvert le caractère «outrancier» de cette directive et pris la posture du défenseur des services publics et du niveau de vie des salariés français. Loin de s'attirer la risée des médias, sa position a été généralement acceptée comme étant de bonne foi. Tout le monde a feint d'ignorer qu'en criant sur les toits que la directive Bolkestein n'a rien à voir avec la constitution européenne - alors qu'elle met en lumière sa vraie nature - le président français tente désespérément de freiner le sentiment anti-constitution enregistré en début de semaine.

Réunis à Bruxelles cette semaine, les vingt-cinq États de l'UE ont voulu, semble-t-il, donner un coup de pouce à l'élite politique française clairement en difficulté à l'approche de l'échéance référendaire du 29 mai. Mais ils se sont contentés d'émettre une déclaration commune ne remettant nullement en question la directive mais promettant «des modifications qui prennent en compte notre souci de maintenir le modèle social européen».

La direction que prendront ces modifications, dont le contenu exact sera seulement discuté à l'automne, longtemps après le référendum français, a été indiquée par les propos de Jean-Claude Juncker, premier ministre du Luxembourg et président en exercice de l'Union. «Si la directive [Bolkestein] était retirée», a-t-il expliqué, «nous donnerions l'impression que l'ouverture du marché des services a disparu de l'agenda européen».

Ce théâtre politique plaira sans doute au nouveau commissaire français, Jacques Barrot, qui avait déclaré: «Mieux vaut, pendant la campagne référendaire, éviter d'ouvrir des débats trop conflictuels qui pourraient mettre le feu aux poudres». Mais on peut douter qu'il sera suffisant à apaiser le mécontement social ou diminuer le sentiment d'aliénation populaire envers la politique officielle - y compris la constitution européenne elle-même.

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