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Le gouvernement français retire le «Contrat de première embauche» et enrôle les syndicats dans l'assaut sur la sécurité d'emploi

Par Rick Kelly 
11 avril 2006

Le président Jacques Chirac et le premier ministre Dominique de Villepin ont annoncé hier qu'une nouvelle loi serait préparée pour «remplacer» le «Contrat de première embauche» (CPE), qui a déclenché une vague de protestations et de grèves ces dernières semaines.

Les dirigeants syndicaux, ainsi que certains syndicats étudiants et partis politiques «de gauche», ont immédiatement qualifié le changement de victoire décisive pour le mouvement anti-CPE et signalé leur intention de mettre fin à toute autre mobilisation de masse contre le gouvernement.

Les démagogiques cris de «victoire» des syndicats et des partis de «gauche» représentent une trahison du mouvement anti-CPE. Leur choix d'endosser la dernière manoeuvre du gouvernement gaulliste désarme politiquement les travailleurs et les jeunes et prépare le terrain à l'imposition future de mesures de libre marché visant à démanteler les acquis des travailleurs et faire empirer les conditions sociales.

Dès le début, les syndicats et les partis officiels de «la gauche», le Parti socialiste et le Parti communiste, ont cherché à stabiliser le gouvernement Chirac-Villepin et à fragmenter le mouvement des étudiants, lycéens et travailleurs pour qu'il évite qu’il en arrive à remettre en question l'État capitaliste français.

Chirac a annoncé hier matin qu'il avait décidé de «remplacer [le CPE] par un dispositif en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes en difficulté». Peu d'informations ont été jusqu'à présent fournies sur les nouvelles mesures proposées, mais elles comprendraient des allègements fiscaux et des subventions aux compagnies qui embauchent des jeunes considérés désavantagés. Plus de stages seraient également offerts dans le secteur généralement sous-payé des services, tel que les restaurants, les hôtels et les crèches.

Selon le ministre de l'emploi et de la cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, les réformes vont demander une mise gouvernementale de 150 millions d'euros en 2006, somme minuscule qui montre le caractère bidon des mesures annoncées.

Bien que le gouvernement ait présenté ces mesures comme étant destinées à accroître l'emploi chez les jeunes sans toucher aux protections existantes sur l'emploi, il y a tout lieu de croire que Chirac et les syndicats ont secrètement accepté de formuler conjointement d'autres lois allant dans le sens du CPE. Le gouvernement a fait cette annonce hier, après des jours de discussions en coulisses avec les syndicats, lesquels ont souligné à plusieurs reprises leur désir d'établir une collaboration plus étroite avec les employeurs et le gouvernement.

La Confédération européenne des syndicats (CES), à laquelle sont affiliés les principaux syndicats français, a tenu un «sommet social» le mois dernier avec les principales associations patronales d'Europe, y compris l'UNICE (Union des industries de la communauté européenne). Les syndicats se sont engagés à appuyer «la modernisation du modèle social de l'Union européenne» et la stratégie de Lisbonne de l'UE, qui comprend des propositions visant à introduire des baisses supplémentaires d'impôt pour la grande entreprise, réformer les systèmes de santé et de pensions, et accroître la flexibilité du marché du travail.

Le gouvernement français a maintenu une série d'autres mesures visant, comme le CPE, à réduire les coûts de la main-d'oeuvre pour les entreprises françaises et à intensifier l'exploitation des jeunes travailleurs. Le contrat nouvelle embauche (CNE), qui permet aux entreprises employant moins de vingt travailleurs de mettre des employés à la porte sans raison pendant leurs deux premières années d'emploi, demeure en vigueur.

Les autres sections de la loi dite pour l'égalité des chances, dont le CPE n'était qu'une composante, restent pareillement inchangées par le dernier annonce gouvernemental. La loi pour l'égalité des chances, dont le gouvernement a fait la promotion en tant que réponse aux émeutes de l'année dernière dans les banlieues appauvries de Paris, permet que des jeunes de 14 ans commencent des stages à temps plein, que des jeunes de 15 ans travaillent de nuit, préconise une formation policière et militaire pour les jeunes sans emploi et retire des prestations d'aide sociale aux mères si diverses conditions ne sont pas remplies.

Rien de ceci n'a empêché les chefs syndicaux d'endosser pleinement l'annonce de Chirac et de Villepin. «Une victoire historique après une mobilisation historique», a affirmé Karl Stoeckel, chef du syndicat lycéen UNL. «Aujourd'hui je pense qu'on peut dire qu'ils [le gouvernement] ont finalement compris et que nous sommes satisfaits», a déclaré Julie Coudry, présidente du syndicat d'étudiants universitaires Confédération Étudiante. Elle a également annoncé que les grèves étudiantes et les occupations de lycées et d'universités devraient cesser.

Les chefs syndicaux ont émis des déclarations allant dans le même sens. Jean-Claude Mailly de FO (Force ouvrière) a déclaré le CPE «mort et  enterré», ajoutant que «le but est atteint». François Chérèque de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) a pareillement annoncé que «l'objectif de retrait du CPE est atteint». Bernard Thibault de la CGT (Confédération générale du travail) a également proclamé le «succès» du  mouvement anti-CPE et annoncé que le premier mai serait célébré comme un jour de victoire.

Les deux plus importants syndicats de lycéens et étudiants, UNEF et FIDL, étaient un peu plus hésitants. Les étudiants de plusieurs universités ont voté pour continuer les occupations après l'annonce de Chirac, ce qui démontre que les deux syndicats subissent une pression considérable des membres de la base. Ils ont maintenu leur appel à d'autres manifestations le 11 avril et dit que le CNE et d'autres sections de la loi pour l'égalité des chances devraient également être retirés.

L’Intersyndicale, un regroupement de douze syndicats industriels et étudiants, a tenu une réunion lundi soir, déclarant son appui aux manifestations de mardi mais refusant d’en appeler au retrait du CPE.

Malgré cette ambiance d’autosatisfaction, la conséquence politique immédiate du retrait du CPE est le renforcement des éléments les plus à droite de l’establishment politique français, en premier lieu le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Les syndicats en portent directement la responsabilité, après avoir collaboré avec Sarkozy pour mettre un terme au mouvement de masse contre le CPE.

Sarkozy a été universellement reconnu, en France comme à travers l’Europe, comme celui à qui profiterait le plus la crise actuelle et il est le grand favori pour ravir la nomination présidentielle du gouvernement gaulliste, l’Union pour un mouvement populaire (UMP), lors des élections de l’année prochaine.

Après avoir joué sa crédibilité personnelle sur le CPE, Villepin est maintenant considéré comme un canard boiteux. Le dernier sondage a indiqué que la cote de popularité du premier ministre avait atteint 25 pour cent, la même que celle de Chirac. «J'ai voulu agir vite, parce que la situation dramatique et le désespoir de beaucoup de jeunes l'exigent», Villepin a déclaré lors d’un discours découragé la veille. «Cela n'a pas été compris par tous, je le regrette.»

Sarkozy a tenté de consolider sa position politique en mobilisant les sentiments les plus rétrogrades en France. Sur la base de dures politiques anti-immigration, il en appelle directement aux supporters du Front national néo-fasciste, et soutient son image de solide représentant de «la loi et de l’ordre» par de constantes apparitions aux côtés de la police anti-émeute et d’autres agents de l’autorité. Il a personnellement ordonné les attaques policières sur les manifestations contre le CPE qui ont blessé des dizaines de personnes et qui ont mené aux arrestations de plusieurs milliers de manifestants.

Sarkozy est l’un des plus francs partisans de la «rupture» de la France d’avec ses protections sociales et dispositions de sécurité d’emploi et il a argumenté en faveur de réformes de style «libre marché» américain. Ses mésententes avec Villepin au sujet du CPE n’étaient pas basées sur le contenu de la loi mais plutôt le fait que de Villepin n'ait pas cherché à obtenir le soutient préalable des syndicats. Sarkozy est partisan d’un modèle corporatiste dans lequel les syndicats sont intégrés efficacement à l’appareil de l’État afin d’aider à supprimer l’opposition populaire aux mesures du gouvernement.

Les syndicats en France, tout comme ceux de l’Europe au complet, ont lutté depuis longtemps afin d’établir leur crédibilité aux yeux de l’élite dirigeante comme «partenaires sociaux» constructifs. Leur alignement avec Sarkozy n’est ni accidentel, ni incongru. Les syndicats sont d’accord avec la bourgeoisie : il est impossible de maintenir les salaires et conditions actuels des travailleurs en France à l’intérieur d’un système capitaliste mondial compétitif.

La question, pour les syndicats et l’élite dirigeante, est de trouver comment briser la résistance des travailleurs aux réformes de type libre marché. Certains bureaucrates syndicaux ont sans nul doute considéré un gouvernement autoritaire dirigé par Sarkozy comme moyen possible d’empêcher d’autres soulèvements de la classe ouvrière qui menacent leur position privilégiée.

Il ne fait non plus aucun doute que la politique anti-immigrants et sécuritaire de Sarkozy a été reçue avec une grande bienveillance par des sections de la direction syndicale. Une grande partie du personnel de la bureaucratie provient de la basse classe moyenne à laquelle Sarkozy fait directement appel, alors que plusieurs autres représentants syndicaux ont été formés dans la tradition chauvine du stalinisme français.

Sarkozy a déjà indiqué qu’il se préparait à aller de l’avant avec de nouvelles mesures de «libre marché». Selon le Nouvel Observateur, peu après l’annonce de Chirac sur le CPE, Sarkozy a convoqué une rencontre avec les principaux députés de l’UMP qui doit avoir lieu le 15 mai pour discuter d’autres réformes «nécessaires pour moderniser la France».

D’autres ministres ont aussi indiqué leur détermination à introduire des réformes. Jean-Louis Borloo a dit au quotidien Le Monde lundi que le gouvernement planifiait d’autres discussions avec les syndicats sur la «flexibilité» du marché du travail.

«Nous voulons discuter, a-t-il dit, avec les partenaires sociaux [c’est-à-dire les syndicats et les organisations patronales] des problèmes de sécurité juridique de la relation contractuelle: quelle sécurité pour le salarié mais aussi pour l'employeur? On peut poser la question de la flexibilité en l'associant à des garanties supplémentaires pour les deux parties.»

Comme les syndicats, les partis de la «gauche» officielle ont tous répondu à l’annonce d’hier du gouvernement en déclarant que c’était une grande victoire pour les travailleurs et les jeunes. Le Parti socialiste, le Parti communiste et la Ligue communiste révolutionnaire ont tous joué un rôle pour garder le gouvernement de Chirac et de Villepin au pouvoir tout au long de la crise, malgré son immense isolement et sa grande faiblesse. Ils font maintenant la promotion de l’illusion que les attaques droitières du gouvernement peuvent être battues par la simple pression de masse, quand, en fait, la première demande du mouvement de masse doit être la démission du gouvernement de Chirac et Villepin.

C’est seulement sur une telle base qu’une lutte peut être menée pour mettre au pouvoir un nouveau gouvernement qui représentera les intérêts des travailleurs et des jeunes plutôt que ceux d’une petite couche d’oligarques financiers. La tâche cruciale est de rompre d’avec tous les partis établis et les syndicats et de construire un nouveau parti politique basé sur une perspective révolutionnaire socialiste et internationaliste.