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Canada : Pourquoi les libéraux ont élu Stéphane Dion comme nouveau dirigeant

Par Keith Jones
6 décembre 2006

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L’ancien ministre fédéral Stéphane Dion a été élu chef du Parti libéral du Canada (PLC) qui forme l’opposition officielle au parlement canadien au congrès du parti le week-end dernier.

Au quatrième tour, Dion a obtenu un décisif 55 pour cent des voix contre 45 pour cent pour son adversaire Michael Ignatieff, un écrivain et un universitaire bien connu internationalement pour être un apologiste libéral de l’invasion illégale de l’Irak et de la suppression des droits démocratiques à l’intérieur de l’administration Bush.

Ministre canadien des Affaires intergouvernementales de 1996 à 2004, Dion s’est fait un nom politique en prenant la tête de la poussée de l’élite dirigeante canadienne après le référendum québécois de 199 pour développer une stratégie anti-démocratique et dure — qui était nommé « le plan B » — à une future crise sécessionniste.

Comme plusieurs candidats à la direction du Parti libéral, Dion a dénoncé l’actuel gouvernement minoritaire conservateur pour se soumettre à l’administration Bush dans les affaires mondiales et pour implémenter des politiques socio-économiques « non généreuses » punissant les sections les plus vulnérables de la société.

Il tente de faire oublier que le gouvernement conservateur actuel ne fait que continuer sur la voie de droite ouverte par les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin dans lesquels Dion a loyalement servi. Durant leurs douze années au pouvoir (1993-2006), les libéraux ont imposé les plus importantes compressions budgétaires sociales de l’histoire canadienne, retirant à la majorité des chômeurs leur droit aux prestations d’assurance-chômage, implémentant des diminutions d’impôts massives profitant surtout à la grande entreprise et aux biens nantis, joignant les guerres menées par les Etats-Unis contre la Yougoslavie et l’Afghanistan et passant des lois anti-terroristes draconiennes qui donnent à l’Etat le pouvoir de détenir des individus indéfiniment sans accusation.

Et alors que Dion et la plupart des autres candidats à la direction ont critiqué les conservateurs pour leur politique en Afghanistan, les libéraux, tant comme les conservateurs de Stephen Harper, appuient entièrement la guerre de type colonial que les Forces armées canadiennes mènent dans le sud de l’Afghanistan.

Suivant les traces d’Al Gore, Dion a fait de son appel pour la protection de l’environnement, particulièrement pour réduire les gaz à effet de serre, le cœur de sa campagne à la direction du parti — adoptant même le vert, plutôt que le rouge traditionnel des libéraux, comme couleur thématique de sa campagne.

Dion n’était pas le premier de l’establishment de son parti. Lorsqu’il est entré dans la course, on lui donnait peu de chances de gagner, principalement parce qu’il lui manquait un réseau de supporteurs et beaucoup de charisme. Des quatre plus importants candidats dans la course — ceux qui ont obtenu plus de 15 pour cent des délégués — Dion était celui qui est entré dans la course avec le plus petit nombre d’appui de députés libéraux.

Mais la campagne de Dion a bénéficié de beaucoup de couverture médiatique favorable dans les derniers mois. Dans le dernier droit de la course, il a été endossé de plusieurs quotidiens importants comme le Globe and Mail, le porte-parole traditionnel des banques et des maisons de courtage, ainsi que de la Montreal Gazette.

Un sondage ayant eu lieu peu de temps avant le congrès montrait que Dion était le deuxième choix, et par beaucoup, de la plus grande partie des délégués au congrès libéral. Il faut ajouté que le parti était profondément divisé suite à la campagne de Martin, menée avec le soutien des grands médias, pour chasser le premier ministre Chrétien et qu’il est indécis sur la façon de se repositionner après que la grande entreprise se soit ralliée de façon décisive derrière les conservateurs lors de la dernière campagne électorale fédérale l’hiver dernier.

Les médias de la grande entreprise ont chaudement accueilli la victoire de Dion. Le Globe and Mail titrait son principal éditorial lundi : « Le choix malin des libéraux », alors que le Toronto Star, le quotidien le plus identifié au Parti libéral, a écrit que « la victoire de Dion a été décisive et bien méritée ».

Mais certains dissidents se sont exprimés. Dion est perçu par l’élite québécoise, fédéraliste et indépendantiste, comme un opposant implacable à ses tentatives d’obtenir davantage de pouvoirs constitutionnels pour le Québec. Au même moment, de l’Ouest, sont venus des commentaires se plaignant que les libéraux aient encore choisi un Québécois comme chef. (Quatre des cinq derniers chefs libéraux représentaient des circonscriptions québécoises au parlement.)

Au commencement de la course à la direction du Parti libéral il y a dix mois, Ignatieff, qui récemment avait été encouragé par d’importants membres du Parti libéral de quitter l’Université Harvard pour revenir au Canada, était perçu comme le grand favori pour remporter la course.

Mais finalement, la candidature d’Ignatieff a été fatalement compromise par deux choses : son appel à la réouverture de la constitution canadienne pour que l’on reconnaisse le Québec en tant que nation; et son identification à l’administration Bush, dont la tentative de maintenir la domination mondiale des Etats-Unis par la conquête de l’Irak a été perçue de plus en plus par l’élite dirigeante américaine comme un fiasco sans précédent qui menace de sérieusement porter atteinte aux intérêts à long terme de l’impérialisme américain.

Ignatieff a soutenu que la reconnaissance du Québec comme nation à l’intérieur du Canada pourrait aider à défendre l’adoption de la constitution du Canada de 1982 par l’Assemblée nationale du Québec et ainsi renforcer l’Etat fédéral. Mais les opposants libéraux d’Ignatieff, les médias et l’establishment politique du Canada anglais ont catégoriquement condamné la proposition, affirmant que cela constituait la preuve qu’Ignatieff était peu expérimenté et que l’on ne pouvait se fier sur lui. Les plus puissantes sections de la classe dirigeante canadienne sont hantées par la série de crises constitutionnelles qui ont ébranlé l’Etat canadien au cours des trois dernières décennies et en sont venues à voir toute réouverture de la constitution comme une source d’importants dangers. De plus, elles craignent que le fait d’évoquer la nation québécoise fournisse à leurs opposants indépendantistes des munitions légales et politiques lors d’une future crise sécessionniste.

Ironiquement, les efforts d’Ignatieff pour donner une couverture libérale à la guerre impérialiste en Irak et à l’assaut sur les droits démocratiques étaient au départ la raison qui l’avait avantagé aux yeux de nombreux libéraux en vue. Le parti de l’establishment est profondément conscient des plaintes de la grande entreprise canadienne à propos de Chrétien et Martin qui irritaient inutilement Washington et de l’enthousiasme de celle-ci pour les tentatives des conservateurs visant à promouvoir le militarisme et habituer la population aux Forces armées canadiennes en guerre.

Mais la crise de l’administration Bush à la suite de l’élection du Congrès du mois dernier a fait prendre une pause à l’élite canadienne, tout comme aux autres bourgeoisies, afin que celles-ci reconsidèrent et révisent leurs politiques et stratégies.

Dans des conditions ou le peuple américain et la classe dirigeante des Etats-Unis, pour des raisons toutefois fort différentes, ont perdu confiance en la politique en Irak de l’administration Bush, où l’intervention du Canada en Afghanistan devient de plus en plus un bourbier, et où la population canadienne demeure en très grande majorité hostile à Bush, l’élite dirigeante du Canada a considéré qu’il ne serait pas sage d’avoir ses deux principaux partis dirigés par des politiciens ouvertement associés à l’administration Bush et ses crimes.

Pour ces raisons, le Parti libéral et les médias se sont distancés d’Ignatieff.

En gardant une certaine distance entre eux et Bush et Harper, les libéraux se positionnent pour jouer le rôle qu’ils ont traditionnellement joué : se présenter comme les opposants d’un programme de droite, et en implémenter ensuite les éléments centraux. Continuellement, entre 1993 et 2006, les libéraux de Chrétien et de Martin ont imposé les propositions politiques des réformistes, de l’Alliance canadienne et du Parti conservateur.

L’agonie du libéralisme

Comme Ignatieff, Bob Rae qui a terminé troisième dans la course à la direction, était nouveau dans le Parti libéral.

Alors qu’il était premier ministre de l’Ontario entre 1990 et 1995, le néo-démocrate Rae a sabré dans les dépenses sociales, imposées des contrats de travail avec des coupures de salaire et d’emploi à un million de travailleurs du secteur public et introduit l’aide sociale conditionnel à l’emploi. Les dernières années de son mandat ont été marquées par l’opposition de masse de la classe ouvrière.

Mais l’érosion de la base d’appui traditionnel pour le Parti libéral, le principal parti gouvernemental de l’élite dirigeante canadienne depuis 1896, est telle que plusieurs libéraux croyaient que ce renégat social-démocrate serait leur meilleur pari pour reprendre le pouvoir. Au troisième tour du scrutin, Rae avait rallié l’appui de près de 30 pour cent des délégués.

Alors que les médias expliquent la chute du membership et de l’allégeance envers le Parti libéral à l’arrogance des libéraux et à une série de scandales, la plupart relativement mineurs, la vraie raison de la diminution de l’appui populaire pour les libéraux vient du gouffre croissant qui existe entre, d’un côté, le programme de la grande entreprise imposé par le Parti libéral alors qu’il était au pouvoir et, de l’autre, les besoins et aspirations des travailleurs.

Pendant des décennies, le Parti libéral ainsi que tous les autres partis, incluant le Parti québécois bénéficiant de l’appui des syndicats et le NPD, ont démoli les services publics et sociaux.  Le gouvernement libéral de Trudeau, considéré comme le summum du libéralisme canadien, est entré en collision frontale avec la classe ouvrière.

Dion utilise à fond la rhétorique libérale pour tenter d’accroître son appui électoral, promettant des politiques progressives et un engagement à la justice sociale. Mais il a déjà un long dossier en tant que ministre au sein du gouvernement canadien le plus à droite depuis la grande dépression – titre que lui dispute peut-être l’actuel régime Harper. 

La principale cause de la célébrité de Dion, la Loi sur la clarté, établit que le parlement fédéral est seul arbitre pour décider si le résultat d’un futur référendum québécois constitue un mandat pour la sécession et menace le Québec qui se séparerait de partition — une menace qui, considérant l’histoire tragique des partitions au 20e siècle, a une forte odeur de violence.

Dion espère sans doute que son programme environnemental sera erronément compris par une section de l’électorat comme étant dirigé contre les intérêts corporatifs rapaces.  Mais lorsqu’il est devant un auditoire composé de gens d’affaires, il s’efforce de rendre clair que son programme environnementaliste vise à vivifier l’entreprise canadienne et non pas à lui nuire. Dion déclare, « Nous allons exporter nos connaissances [environnementales] et nous allons faire des mégatonnes d’argent. »

Alors que les médias espèrent que Dion va redonner une certaine crédibilité aux libéraux, pour en faire ainsi un instrument plus efficace pour manipuler l’opinion publique, ils avisent Dion d’être prudent et de ne pas faire des promesses visant à améliorer le lot des travailleurs, même vaguement.  « M. Dion, affirmait le Globe and Mail, devrait reconnaître ce qu’est le Parti libéral, louvoyer au centre économique et abandonner la teinte rosée de ses politiques collectives. »

(Article original anglais publié le 5 décembre 2006)

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