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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Congrès à Madrid à l'occasion du 70e anniversaire de la guerre civile espagnole

Par Bill Van Auken
11 décembre 2006

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Le congrès d’une durée de trois jours qui a eu lieu la semaine passée lors du 70e anniversaire du début de la guerre civile espagnole a été un des plus grands événements de ce genre en Espagne depuis longtemps.

Au cours de ces trois jours, près de 200 universitaires ont fait une présentation dans 40 différents ateliers. Les sessions publiques en soirée où des historiens en vue  d’Espagne et d’ailleurs dans le monde étaient les orateurs ont rempli l’auditorium de la Circulo de Bellas Artes dans la capitale espagnole.

L’intérêt populaire pour le congrès reflétait clairement la situation politique de plus en plus tendue en Espagne même, où les questions non résolues des crimes de l’armée et des fascistes il y a 70 ans lors de la guerre civile et sous la dictature de Francisco Franco qui a duré 40 ans sont devenues le sujet de disputes acerbes.

Juste avant le début du congrès, les évêques catholiques d’Espagne ont publié une missive provocatrice dénonçant le gouvernement du Parti socialiste.

« Notre histoire récente, écrivent les évêques, est plus agitée et convulsive qu’il est désirable. Une société qui semblait avoir trouvé la voie de la réconciliation s’aperçoit qu’elle est divisée et en confrontation. L’utilisation de la mémoire historique, guidée par une mentalité sélective, ouvre encore une fois les vieilles plaies de la guerre civile et ravive les sentiments que l’on croyait résolus. »

Le document nomme simplement la dictature sauvagement répressive de Franco comme « le précédent régime politique qui a duré 40 ans ». Ni dans ce document, ni ailleurs, la hiérarchie de l’Eglise catholique espagnole n’a reconnu sa responsabilité d’avoir soutenu le coup de Franco et d’avoir défendu la répression militaire des travailleurs de ce pays comme étant une sainte croisade.

L’intervention du clergé était une réponse aux demandes populaires croissantes pour que soient établis les crimes de la dictature, qui a tué et emprisonné des centaines de milliers de personnes après que l’armée de Franco eut gagné la guerre civile. Au cours des récentes semaines, des proches des victimes ont exhumé le corps de près de 1000 personnes qui ont été sommairement exécutées et lancées dans des fosses communes.

En réponse, le gouvernement du Parti socialiste dirigé par le premier ministre José Luis Rodriguez Zapatera a proposé une « loi de la mémoire historique » qui a provoqué la colère de la droite tout en ne réussissant pas à satisfaire aux demandes de justice de la famille des victimes de la dictature.

Les présentations faites au congrès traitaient d’un large éventail de questions, y compris les antécédents de la guerre : l’intervention de l’étranger, les conditions militaires, sociales et économiques, le rôle de l’Eglise et l’impact et les reflets du conflit dans la littérature, l’art et le cinéma.

Toutefois, malgré l’ampleur indéniable de l’entreprise, le congrès pris comme un tout, n’a pas réussi à saisir sérieusement les profondes questions politiques et historiques soulevées par la guerre civile espagnole et sa place dans le développement mondial des événements sanglants du vingtième siècle.

Alors que de nombreux articles présentés au congrès offraient une bonne étude de l’impact de la guerre civile dans différentes régions et dans différentes sphères sociales, d’autres étaient une expression de la tendance postmoderniste si courante dans le milieu universitaire internationalement, cherchant des explications ethniques, de genre ou psychologique pour les événements historiques. Ce qu’il manquait, presque sans exception, c’était une tentative de s’adresser aux questions politiques plus générales comme le caractère révolutionnaire de la lutte de classe dans l’Espagne des années 1930, les conflits politiques et sociaux au sein du camp républicain et la nature de la politique soviétique pour la guerre civile espagnole.

Le ton intellectuel du congrès a été donné par le principal orateur de la session d’ouverture, Jorge Semprun. Ancien membre dirigeant du Parti communiste stalinien de l’Espagne qui a été expulsé de l’organisation en 1964, Semprun a fini par devenir ministre espagnol de la Culture. Il est bien connu pour ses écrits traitant de ses propres expériences en tant que membre des mouvements souterrains français anti-nazi et espagnol anti-franquiste et comme prisonnier du camp de concentration de Buchenwald. Il a été sélectionné pour des oscars pour ses scénarios des films La guerre est finie et Z.

L’idée générale de l’allocution de Semprun était de remettre en cause la conception que le coup de Franco était une réponse de sections importantes des classes dirigeantes de l’Espagne à la menace perçue d’une révolution sociale par la classe ouvrière espagnole.

« L’idée que l’insurrection fasciste était une réaction contre une révolution bolchevique est une des choses les plus absurdes jamais écrites en espagnol » a-t-il dit.

Semprun a tout d’abord dirigé sa charge contre ce qu’il a appelé le « révisionnisme pseudo-historique », faisant référence aux apologistes de la droite du franquisme comme Pio Moa et Cesar Vidal, et a insisté que la guerre menée contre les forces de Franco était une « guerre juste » en défense d’un « régime parlementaire légitime » en même temps que de la « justice sociale ».

Une attaque contre Trotsky et une défense du stalinisme en Espagne

Il a continué, toutefois, en déclarant que « la thèse de Trotsky selon qui la guerre civile pourrait avoir été victorieuse si la révolution n’avait pas été trahie » était fausse. Il a de plus affirmé que les politiques de Staline et du Parti communiste espagnol étaient correctes, même si les méthodes qu’ils avaient utilisées pour les mettre en œuvre — l’assassinat et la répression de masse contre les opposants de gauche et les sections radicalisées de la classe ouvrière — étaient « infâmes ».

Tout en reconnaissant l’« obsession » de Staline pour Trotsky et que celui-là avait envoyé l’agent stalinien espagnol Ramon Mercader au Mexique pour assassiner le dirigeant révolutionnaire en 1940, Semprun a insisté que « Staline en 1936 était correct ; la guerre en Espagne n’était pas une révolution socialiste, mais une défense de la démocratie. »

Cette attaque explicite contre le trotskysme et la défense des politiques, si ce n’est de l’ensemble des méthodes, de la contrerévolution stalinienne dès le début d’un congrès sur la guerre civile dont un des commanditaires était le ministère espagnol de la Culture était explicitement dans le champ de la politique et non dans celui de l’histoire.

L’affirmation selon laquelle il n’existait pas de situation révolutionnaire en Espagne durant la période précédant la guerre civile a été l’introduction d’une autre conclusion de Semprún : non seulement la guerre civile était-elle inévitable, mais la victoire du coup d’Etat militaire fasciste de Franco l’était tout autant.

Ce même thème central a été évoqué par un grand nombre d’éminents historiens qui se sont adressés à la conférence. La plupart d’entre eux ont affiché une tendance marquée à rejeter la possibilité d’une révolution socialiste en Espagne dans les années 1930. Bien qu’ils aient justement accusé les gouvernements de Grande-Bretagne et de France d’avoir refusé d’armer ou d’appuyer la République contre le coup d’Etat fasciste, ils ont essentiellement traité les politiques du régime soviétique sans faire preuve d’esprit critique. La relation entre le gouvernement républicain et la bureaucratie stalinienne en Union soviétique n’a été évaluée que selon le point de vue du soutien soviétique en terme d’équipement militaire, plutôt que du point de vue du rôle contre-révolutionnaire joué par le stalinisme en Espagne et des ses conséquences catastrophiques.  

En plus d’une attitude non critique envers les politiques du gouvernement espagnol républicain et de la bureaucratie stalinienne, un silence quasi total, sans fondement, a pris place sur le rôle du POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista), un parti d’environ 40 000 travailleurs en Catalogne, qui est devenu l’une des principales cibles de la répression stalinienne. 

Lorsqu’un historien italien, Gabriele Ranzato de l’Université de Pise, a suggéré lors d’une des principales séances publiques que la raison pour laquelle la Grande-Bretagne et la France avaient refusé de porter assistance était qu’ils percevaient la menace que le pouvoir en Espagne tombait « aux mains des masses armées » et que la révolte de Franco avait « libéré la révolution qu’il voulait empêcher », il a été attaqué par les autres conférenciers invités. 

La seule participante à s’être opposée ouvertement à la perspective présentée à la séance d’ouverture a été Ann Talbot, une historienne et correspondante pour le World Socialist Web Site, qui avait été invitée à présenter un article au congrès.

Son article, intitulé « L’Espagne républicaine et l’Union soviétique : la politique et l’intervention des puissances étrangères durant la guerre civile espagnole de 1936 à 1939 », soutenait que la relation entre le gouvernement républicain espagnol et la bureaucratie stalinienne a émergé de la réunion d’intérêts parallèles.

Etouffer la révolution sociale en Espagne

Pour sa part, la bourgeoisie républicaine espagnole ne voulait pas seulement des armes soviétiques pour combattre Franco, mais aussi le pouvoir et le prestige de Moscou derrière elle pour confronter et réprimer le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière espagnole.

Dans le cas de Staline et de la bureaucratie, du point de vue de la politique étrangère soviétique, ceux-ci souhaitaient limiter l’expansion du fascisme allemand et italien. Ce qui était encore plus important pour la bureaucratie, toutefois, consistait à repousser le succès de la révolution en Espagne, dans des conditions où le régime stalinien était engagé dans une violente purge et répression des cadres révolutionnaires et internationalistes qui étaient identifiés à Trotsky. La bureaucratie stalinienne et la bourgeoisie républicaine espagnole partageaient le même intérêt « d’étouffer la révolution sociale émergente en Espagne ». L’article de Talbot a puisé de la documentation des archives soviétiques, britanniques et américaines qui démontre que les centres impérialistes et Moscou étaient conscients de la situation révolutionnaire en Espagne et qu’ils la craignaient. Cette documentation confirme aussi l’existence du plan des staliniens pour écraser ce mouvement et restaurer la propriété privée et le pouvoir de l’Etat bourgeois en Espagne. « La cause fondamentale de la défaite aux mains des fascistes a été la destruction par l’Union soviétique de la force sociale qui animait la résistance militaire », a soutenu l’article de Talbot. En présentant cet article, Talbot fit remarquer que toute sa thèse avait été attaquée dans le rapport d’introduction du congrès. « Dans une telle situation, deux choix se présentent : faire ses valises et retourner chez soi, ou descendre dans l’arène. » Elle a clairement exprimé qu’elle optait pour la deuxième option et qu’elle s’attendait pleinement à ce que sa position provoque la controverse et soit attaquée.

Cela a été rapidement confirmé durant la période de questions, lorsque Angel Viñas, un éminent historien espagnol, s’est levé pour contester l’article. Viñas, en plus d’être l’auteur de plusieurs livres et de recherches théoriques sur la guerre civile espagnole, est un personnage politique bien en vue en Espagne, ayant servi dans divers ministères, ainsi qu’au Fond monétaire international et en tant que ambassadeur pour la Commission européenne aux Nations unies.

Viñas, un admirateur déclaré du rôle joué par le président droitiste du Parti socialiste, Juan Negrín, a accusé Talbot de traiter non pas de « la guerre civile, mais d’une guerre idéologique ». Il a aussi contesté son utilisation de documents, visant en particulier les écrits de Burnett Bolloten, qui a couvert la guerre civile espagnole comme correspondant pour la United Press International. Le fait que Bolloten, qui a sympathisé avec le Parti communiste avant d’être témoin de la trahison envers la révolution espagnole, n’ait pas documenté son travail par des archives, mais plutôt par des reportages de l’époque discrédite, selon Viñas, son évaluation, malgré qu’il ait été témoin oculaire de ces événements.

Il attaque également le choix des documents cités en provenance des archives soviétiques, incluant un rapport inquiet du représentant du Comintern en Espagne qui indiquait que les travailleurs ont pris le contrôle de la quasi-totalité des moyens de production et que la « machinerie de l’Etat est soit paralysée ou détruite » comme étant sélectifs et trompeurs. 

Il y a aussi dans l’article de Talbot des documents demandant que les « trotskystes », un terme utilisé par Moscou pour décrire le POUM et pratiquement toute opposition de gauche, soient détruits et « liquidés ». Ces ordres ayant été donnés durant la période des procès de Moscou et du massacre des éléments révolutionnaires en URSS, il y a peu de place à l’erreur d’interprétation.

Finalement, Viñas doute de la citation par Talbot d’un document envoyé de Moscou quelques semaines avant les événements cruciaux de mai 1937 à Barcelone, lançant un appel aux agents staliniens de « hâter et provoquer » une crise gouvernementale. Elle déclare que ce document confirme les accusations du POUM et des anarchistes que les staliniens ont délibérément provoqué une confrontation et un soulèvement dans le but de donner un prétexte pour un changement de gouvernement et le lancement d’une attaque féroce contre la gauche.  En l’espace de quelques semaines, le POUM était déclaré illégal et son dirigeant, André Nin, arrêté, torturé et assassiné. .

Viñas a déclaré qu’il a « personnellement examiné » les documents contenus dans les archives de services du renseignement militaire soviétiques et qu’aucun parmi ceux-ci ne confirmait que Moscou avait provoqué les événements de Barcelone

En réponse, Ann Talbot a défendu la validité des documents cités et déclaré que Viñas sous-estime sérieusement la signification de la lutte de la bureaucratie stalinienne contre le trotskysme.

Une personne de l’assistance a également défié Viñas, disant qu’il était stupéfié d’entendre le professeur rejeter que la bureaucratie stalinienne était responsable de la répression de Barcelone. Il a fait référence aux enlèvements et assassinats systématiques par la police secrète stalinienne des trotskystes et autres opposants au stalinisme en Espagne, incluant non seulement Nin lui-même, mais également le secrétaire de Trotsky, Erwin Wolff, le socialiste Autrichien Kurt Laudau et plusieurs autres. « L’Espagne a été un test pour la contre-révolution stalinienne », a-t-il dit.  

Le rôle du GPU-NKVD, la police secrète stalinienne, a-t-il ajouté, était bien documenté, notamment par le témoignage d’Alexandre Orlov, l’agent de liaison du NKVD avec le gouvernement républicain.  

Le congrès s’est terminé mercredi soir par une session publique comble animée par les présentations du vétéran historien américain Gabriel Jackson et de l’historien espagnol et organisateur du congrès, Santos Juliá.

Jackson a comparé le « niveau d’inhumanité et de cruauté » atteint durant la guerre civile espagnole et la période qui suivit l’arrivée au pouvoir de Franco à la situation actuelle en Irak. Il a également discuté de l’importance des valeurs universalistes et  des conceptions des droits humains établit durant les Lumières.

Santos Juliá a réfuté la conception selon laquelle le peuple espagnol souffre d’une amnésie collective en ce qui concerne la guerre civile et le franquisme, insistant sur le fait que les deux sujets sont l’objet d’une discussion continue depuis la mort de Franco il y a plus de trente ans.

Il a décrit comment sa propre génération, née immédiatement après la guerre civile, a été endoctrinée à croire que la guerre avait été menée pour le salut de l’Espagne contre une population largement coupable d’avoir livré leur nation au communisme sans foi.

Il a expliqué comment l’expérience « tragique et horrible » de la pauvreté et de l’oppression endurée par les masses en Espagne dans les années 1940 et le début des années 1950 entre en conflit avec ce mythe de la guerre civile qu’il commence à détruire. 

Alors qu’initialement la réponse des jeunes gens, indique-t-il, était de rejeter la guerre civile et ses résultats et le désire « d’être comme le reste de l’Europe » au lieu d’être dirigé par une autarcie fasciste, dans les années 1960, il y avait une demande croissante de savoir ce qui s’était vraiment passé.

Malgré la quantité volumineuse de matériel soumis au Congrès, ce qui témoigne de l’intérêt populaire pour la guerre civile espagnole, il semble que les historiens espagnols de renom ont sous-estimé l’immense potentiel révolutionnaire des années 1930 et ignoré les problèmes profonds de direction révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. Ces questions complexes ont été traitées en large mesure simplement comme des questions d’Etat, des questions militaires et diplomatiques, au lieu du point de vue d’un conflit social et politique et des relations de classe. 

(Article original anglais publié le 4 décembre 2006)

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