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La France soutient le régime du Tchad contre une tentative de coup d’Etat

Par Chris Talbot
Le 1er mai 2006

La tentative de coup d’Etat du 13 avril contre le régime tchadien du président Idriss Déby, a été contrecarrée par les troupes françaises stationnées dans le pays car la France était soucieuse d’empêcher tout transfert de pouvoir à des groupes soutenus secrètement par le Soudan voisin. Dans cette affaire, il semblerait que la France ait agi avec l’aide des Etats-Unis et d’autres gouvernements occidentaux.

Il est clair que les gouvernements occidentaux sont préoccupés de ce que le régime tchadien, faible et impopulaire, puisse tomber et céder ainsi le terrain à l’instabilité d’un conflit entre différents seigneurs de guerre et groupes tribaux, et être éventuellement remplacé par un gouvernement qui ne serait pas aussi servile eu égard à leurs intérêts. Etant donné que le Tchad est à présent un producteur de pétrole – une production de 180.000 barils par jour est loin d’être négligeable aux prix d’aujourd’hui – le soutien de la Chine représente donc une préoccupation de poids. Comme le remarquait le New York Times citant des sources diplomatiques anonymes, «un gouvernement tchadien différent pourrait également vendre du pétrole à la Chine, comme le fait le Soudan, ce qui donnerait aux Chinois accès aux oléoducs qui traversent le continent africain.»

Selon le magazine The Economist, des soldats français auraient traqué une colonne de rebelles en provenance du Soudan et se dirigeant vers la capitale tchadienne N’djamena, et ils auraient tiré des coups de feu au-dessus de leur tête. La France maintient 1.300 soldats dans le pays et les tirs d’avertissement, au dire d’un officier de l’armée française, n’étaient pas destinés à provoquer les rebelles mais à «exprimer» la position de la France. Du fait de l’avertissement donné par les Français, les forces armées tchadiennes ont été en mesure d’abattre des rebelles sur les marches du parlement et d’en tuer au moins une centaine.

L’identité des groupes rebelles qui ont traversé le Tchad jusqu’à la capitale n’est pas connue, bien qu’il existe plusieurs milices de l’opposition basées dans la région du Darfour au Soudan dont quelques unes bénéficient du soutien du régime soudanais. Le Tchad, quant à lui, a secrètement soutenu les deux groupes armés, l’armée de libération soudanaise (SLA) et le Mouvement pour la Justice et l’Egalité (JEM) qui luttent contre les forces du gouvernement soudanais et leurs mandataires au Darfour.

Compte tenu de l’éventualité que le conflit du Darfour pourrait s’intensifier en une guerre entre le Soudan et le Tchad, le colonel Kadhafi, dirigeant de la Libye, a servi de médiateur, en février dernier, lors des pourparlers entre les deux régimes, au cours desquels ces derniers se sont engagés à ne pas soutenir de groupes rebelles l’un contre l’autre. Manifestement, les promesses sont très vite restées lettre morte. Après la tentative de coup d’Etat, le président Déby a rompu toutes relations diplomatiques avec Khartoum.

Jusqu’à l’année dernière, Déby dépendait du soutien du groupe ethnique des Zaghawa dont il est membre et qui dominait les forces armées. Les terres zaghawa se situent à la fois au nord du Tchad et à l’ouest du Soudan et la communauté Zaghawa prédomine dans le SLA et le JEM.

Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1990, Déby a réussi à se maintenir au pouvoir grâce au soutien français en dépit de menaces de rébellions incessantes. Il a organisé des élections en 1996 et en 2001 avec les partis de l’opposition l’accusant de fraude électorale à grande échelle. Son soutien a tellement faibli que, en mai 2004, des soldats de son propre groupe ethnique ont tenté de le renverser. De nombreux membres de sa vaste famille ont à présent publiquement rompu tous liens avec lui. Parmi ces membres on trouve notamment les neveux de Déby, Tom et Timane Erdimi, le premier ayant été son conseiller en affaires pétrolières, vit à présent au Texas.

Des sections de l’armée ont déserté l’année dernière pour rejoindre le Soudan où se trouvent à présent bon nombre de miliciens de l’opposition basés dans la région du Darfour. En dépit d’une opposition grandissante, Déby entend rester en poste et des élections sont prévues en mai de cette année.

Certains des groupes d’opposition, apparemment soutenus par le régime soudanais, sont alliés aux Janjaouites, la milice arabe qui terrorise la population de l’ouest du Tchad en la contraignant à rejoindre des camps de réfugiés. Une tentative en décembre dernier d’unifier ces factions avec le groupe pro-occidental dirigé par les frères Erdimi en vue de former un mouvement d’opposition a échoué, prétendument du fait de différences ethniques. Interrogé par le New York Times, Tom Erdimi a nié toute implication de son groupe dans cette toute dernière tentative de coup.

Depuis 2003, le Tchad exporte du pétrole via un oléoduc de 1.070 km de long allant jusqu’à la côte atlantique en traversant le Cameroun. Il s’agit là d’un projet dirigé par le consortium d’entreprises pétrolières avec à sa tête ExxonMobil des Etats-Unis et financé par des prêts accordés par la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement (BEI). La Banque mondiale a réussi à contrer des critiques venant des ONG en faisant promettre au régime tchadien que les revenus pétroliers serviraient à soulager la pauvreté et à financer des mesures d’aide sociale.Le Tchad est un des pays les plus appauvris du monde et la clique dirigeante autour de Déby est notoirement corrompue.

Cela n’a été une surprise pour personne d’apprendre que Déby a contrarié la Banque mondiale en soutirant de l’argent du fonds de lutte contre la pauvreté pour l’achat d’armes destinées à défendre son gouvernement contre des attaques rebelles. Il a également employé l’argent pour réformer sa Garde républicaine en éliminant certains éléments Zaghawa.

La banque a riposté en bloquant les prêts destinés aux projets en cours en janvier dernier. Déby a alors menacé de suspendre la production de pétrole ce qui a eu pour conséquence que les Etats-Unis ont proposé leur «médiation» entre la banque et le régime tchadien, souhaitant vraisemblablement maintenir Déby au pouvoir.

Entre-temps, les gouvernements occidentaux continuent de faire pression sur le gouvernement soudanais avec le Conseil de sécurité des Nations unies qui a pris cette semaine la décision de passer une résolution parrainée par les Etats-Unis pour imposer des sanctions contre quatre ressortissants soudanais pour avoir, semble-t-il, commis des crimes de guerre. Parmi ces quatre on compte un ancien chef de l’armée de l’air soudanaise et un dirigeant de la milice Janjaouite, tous deux accusés d’avoir commis à grande échelle des atrocités contre des civils. Les deux autres sont des dirigeants du SLA et du JEM, et font partie du lot pour donner une impression «d’impartialité» et pour gagner le soutien de pays africains membres des Nations unies, dont un grand nombre craint que l’utilisation hypocrite d’accusation de violation des droits de l’homme à l’encontre du régime soudanais, par les pays occidentaux, pourrait également très facilement s’appliquer contre eux. Cette manœuvre diplomatique a aussi permis à la Chine et à la Russie de s’abstenir plutôt que de faire usage de leur droit de veto.

Des commentateurs ont fait remarquer que l’un des principaux individus accusés de crimes de guerre par le panel des Nations unies, à savoir le chef des services de sécurité du Soudan, Salah Abdallah Gosh, brillait par son absence sur la liste des accusés. Il s’est récemment envolé pour les Etats-Unis pour des pourparlers avec la CIA et à Londres pour y subir un traitement médical et pour avoir d’autres entretiens avec des officiers du renseignement. Les services de renseignement soudanais ont collaboré avec les Etats-Unis dans «la guerre contre le terrorisme» et Washington se contente pour le moment de menacer le régime de Khartoum plutôt que de le changer.

L’Union africaine (UA), forte du soutien de l’occident, a accordé au gouvernement soudanais et aux rebelles du SLA et du JEM un délai jusque fin avril pour se mettre d’accord sur un traité de paix et mettre fin aux combats au Darfour. L’UA dispose actuellement au Darfour d’une force de maintien de la paix comptant 7.000 hommes et qui souffre d’un manque de moyens financiers et qui n’a eu que peu d’impact dans une région qui est aussi grande que la France. Les gouvernements occidentaux dirigés par les Etats-Unis proposent à la force de l’UA d’être intégrée dans une force des Nations unies plus importante.

La pression diplomatique exercée sur Khartoum et la proposition d’intervention des Nations unies au Darfour est clairement destinée à sauvegarder les intérêts américains et occidentaux dans la région Tchad/Soudan. Le sort de la population dans la région du Darfour, qui a suscité l’intérêt des médias il y a deux ans quand les Etats-Unis ont accusé le Soudan de «génocide», ne fait qu’empirer. Jan Egeland, coordonnateur des secours d’urgence des Nations unies, a averti que des opérations humanitaires dans la région Darfour/Tchad pourraient s’effondrer complètement d’ici les prochaines semaines ou les prochains mois en raison d’un manque de moyens financiers. Il a expliqué que seule la moitié des moyens mis à disposition par les gouvernements occidentaux en 2005 étaient disponibles en 2006 et que l’on enregistrait à présent moins de soutien diplomatique pour les opérations humanitaires. Quelques 200.000 personnes avaient été déplacées rien qu’au cours de ces trois à quatre derniers mois en plus des 1,6 million de personnes déjà déplacées. Plus de trois millions de personnes ont besoin au quotidien d’assistance humanitaire dont 210.000 de nourriture de toute urgence.