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Le cessez-le-feu de l'ETA, le statut de la Catalogne et le fractionnement de l'Espagne - Partie 1

Par Paul Mitchell
Le 17 avril 2006

Voici le premier de deux articles expliquant les récents développements vers une plus grande autonomie régionale en Espagne.

Le 24 mars, le groupe séparatiste basque Euskadi ta Askatasuna (Patrie basque et liberté - ETA) annonçait qu'il mettait fin de façon permanente à sa campagne militaire d'attentats à la bombe et au pistolet qui ont causé la mort de 800 personnes en 38 ans. Six jours plus tard, la chambre des représentant espagnols votait un nouveau statut, par 189 voix contre 154, accordant plus de pouvoirs à la région de la Catalogne. Ce plan doit maintenant être approuvé par le Sénat avant de faire l'objet d'un referendum régional en juin.

La source de ces divers événements politiques réside dans le fractionnement de l'Espagne causé par la mondialisation de la production, qui a surpassé l'État-nation en tant que principale unité de l'organisation économique.

En lançant son appel pour un cessez-le-feu, l'ETA n'a fait aucune référence à l'autodétermination ou à l'indépendance basque, se contentant de la formule «nos droits en tant que peuple». L'organisation n'a jamais appelé auparavant à un cessez-le-feu permanent ou parlé de «dialogue et négociation». En fait, l'unique demande faite par l'ETA est que le peuple habitant les régions de langue basque en Espagne et en France puisse décider de son avenir sans «interférences» de Madrid ou de Paris.

Le premier ministre José Luis Rodríguez Zapatero du Parti ouvrier socialiste (PSOE) au pouvoir a déclaré que des pourparlers officiels avec l'ETA pourraient débuter dans quelques mois en autant que le cessez-le-feu de l'organisation soit total et qu'elle mette fin à la violence urbaine et à sa «taxe révolutionnaire» sur les entreprises.

Les pourparlers devraient s'inspirer du modèle des «deux tables» mis de l'avant en novembre 2004 par Arnaldo Otegi, leader du Batasuna, l'aile politique de l'ETA. À une table, le gouvernement et l'ETA discuteront des questions concernant le désarmement et la libération des prisonniers. À l'autre, tous les partis politiques, y compris le Batasuna, discuteront de l'avenir de la région basque.

Les leaders de l'ETA espèrent que l'organisation sera capable de garantir une plus grande autonomie pour la région basque et des postes dans l'appareil d'État par l'entremise d'un accord de partage des pouvoirs semblable à celui conclu avec le Sinn Fein en Irlande du Nord. On pense que d'anciens leaders de l'Armée républicaine irlandaise (IRA) auraient joué un rôle clé dans les pourparlers de l'ETA, se rendant dans la région basque plusieurs fois dans l'année.

L'engagement de l'IRA dans le processus de cessez-le-feu est un indice de ce qui va suivre. Le processus de paix en Irlande du Nord s'est déroulé au-dessus des masses de travailleurs, tant irlandais que britanniques, catholiques ou protestants, du nord comme du sud. Les participants aux pourparlers représentaient les principales factions de la bourgeoisie britannique, les intérêts politiques et économiques dominants en république d'Irlande, la bourgeoisie unioniste et les éléments catholiques/républicains aspirants, regroupés autour de la direction du Sinn Fein -- tous dominés par les États-Unis, le principal investisseur international en Irlande.

Pendant près de deux décennies, la république d'Irlande a mené une politique qui l'a transformée en plate-forme d'investissement pour les grandes entreprises en quête de main-d'oeuvre hautement qualifiée et à bon marché, et pour accéder au marché européen. L'Irlande du Nord en revanche, s'est révélé incapable d'émuler le succès de sa voisine à cause de trois décennies de conflits militaires et de partition. L'accord du Vendredi saint de 1998 visait à établir des conditions plus favorables pour garantir des investissements profitables au nord comme au sud, pour le capital international en créant des conditions plus favorables à l'exploitation de la classe ouvrière.

Cherchant à émuler ses vis-à-vis irlandais, une section du Batasuna soutient le plan pour une région basque «autonome» et en «libre association» avec l'Espagne, conçu par Juan José Ibarretxe, le leader du plus important parti nationaliste basque qui a dominé le gouvernement régional au cours des 25 dernières années, le Partido Nacionalista Vasco (PNV). Ce dernier est bien prêt à accueillir le Batasuna et l'ETA dans les structures du gouvernement, mais il craint également d'être éclipsé. Récemment, la section jeunesse du PNV a désobéi aux instructions lui enjoignant de ne pas participer à une marche appelée par le Batasuna et qui a attiré 50.000 personnes.

Le plan Ibarretxe vise à établir une place pour la bourgeoisie basque au sein du marché mondial en défendant «le droit à la propriété privée et le respect pour la liberté des entreprises dans le cadre de l'économie de marché». Bien qu'enrobées du langage de l'«autodétermination», les propositions visent non pas à protéger les droits des travailleurs basques, mais bien à les vendre comme force de travail à bon marché à la bourgeoisie européenne et aux entreprises transnationales.

Le nouveau statut catalan accroît les pouvoirs de la région, lui permet de conserver une plus grande partie de ses recettes fiscales, renforce la position de son appareil judiciaire et lui permet d'exercer un plus grand contrôle sur certaines questions comme les politiques en matière d'immigration. Ce statut exigera également que les résidents apprennent le Catalan.

Opposition du Parti populaire aux changements

Zapatero et le PSOE cherchent à préserver les intérêts généraux de la bourgeoisie espagnole, tout en faisant des concessions vues comme inévitables aux intérêts régionaux. Afin de maintenir l'union de l'État espagnol, ils doivent être perçus comme ayant une attitude différente à celle de leurs prédécesseurs du Parti populaire (PP) en ce qui a trait au dialogue régional. Mais il y a de sérieuses limites jusqu'où ils peuvent aller dans leur quête d'apaisement des séparatistes sans susciter l'antagonisme des sections les plus puissantes de la bourgeoisie nationale. C'est de là que découle l'ambiguïté dans la formulation du statut. On fait référence dans le préambule de la déclaration de l'Assemblée nationale catalane l'an dernier que la région est une «nation» (même si nulle part ailleurs dans le texte cette déclaration n'est endossée). Parallèlement, le document fait référence à la constitution espagnole et à sa formulation selon laquelle la Catalogne est déjà une «réalité nationale en tant que nationalité», formulation pour le moins ambiguë remontant à la rédaction de la constitution en 1978.

L'architecte du statut de l'assemblée catalane, la Gauche républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC), a voté contre la version de Zapatero en déclarant qu'elle constituait un « recul fondamental » par rapport à la version catalane, et elle menace de boycotter son application. Pour rester au pouvoir, Zapatero dépend de l'ERC, qui fait également partie de la coalition du gouvernement catalan avec le parti frère du PSOE, le Parti socialiste catalan (Parti Socialist de Catalunya, PSC).

Le président de l'ERC, Josep Lluís Carod-Rovira, a clairement annoncé que « e que veut l'ERC pour la Catalogne, ce n'est pas un statut régional, mais bien un État. Personne ne doit perdre de vue cela, et encore moins nous. Nous savons qu'avec 16 pour cent du vote, nous n'avons pas la majorité, alors nous devons favoriser une approche graduelle. Je pense que chaque nation veut un État, même si ce ne sont pas toutes les nations qui en ont un». Carod-Rovira a ajouté «je suis un séparatiste et je veux une république».

Pour faire adopter le statut par l'Assemblée espagnole, le PSOE a dû se fier au soutien du parti de droite Convergence catalane et unité (Convergència i Unió, CiU), ainsi que de d'autres partis régionalistes, notamment le PNV, qui voit dans le statut catalan un modèle pour ses propres ambitions. Anxo Quintana, vice-premier ministre de Galicie, a déclaré, «nous devons mettre fin à l'idée que la Galicie est subsidiaire de l'Espagne, et nous devons définir une nouvelle division du pouvoir entre l'État et la région, de même que de nouveaux critères pour l'imposition. Le résultat final doit être la reconnaissance par l'État espagnol qu'il n'est pas une nation, mais bien constitué de plusieurs nations». À Valence, l'assemblée régionale a voté son propre statut le 27 mars, définissant Valence comme étant une «nationalité historique».

Le plus important parti à voter contre le statut est l'opposition de droite formée par le PP. Mariano Rajoy, président du PP, a déclaré que le statut catalan était «le début de la fin pour l'État tel qu'il a été conçu par le peuple espagnol en 1978».

«Malgré toutes les déclarations relatives au fait que tout cela n'est pas grand chose, ajouta-t-il, nous nous trouvons maintenant en pratique avec deux États», l'Espagne et la Catalogne.

Le PP utilise les questions du statut catalan et de l'ETA pour mobiliser les forces d'extrême-droite telles que l'Association des victimes du terrorisme et des éléments au sein de l'Armée dans une campagne pour déstabiliser le gouvernement du PSOE. Il accuse Zapatero d'avoir pris le pouvoir de façon illégitime grâce à une « coercition antidémocratique », faisant référence au mouvement de masse qui a renversé le gouvernement du PP de José Maria Aznar après que ce dernier ait tenté de blâmer l'ETA pour les attentats terroristes du 11 mars à Madrid, alors que tous les indices démontraient qu'ils étaient en fait l'oeuvre de fondamentalistes islamistes.

Le lieutenant-général José Mena Aguado, commandant des troupes de l'Armée de terre espagnole forte de 50.000 hommes, a annoncé en janvier que les forces armées avaient pour mission» de garantir la constitution, ainsi que la «souveraineté et l'indépendance de l'Espagne», et il lancé une mise en garde contre les «sérieuses conséquences» qu'auraient l'adoption d'un statut donnant à la Catalogne le statut de nation. Son discours a été salué comme étant un «reflet fidèle de l'opinion, des préoccupations et des sentiments de nombreux commandants et officiers».

La division des travailleurs par nations

Les efforts pour obtenir l'indépendance catalane et basque sont liés à la tentative de la bourgeoisie et de la couche supérieure de la classe moyenne d'exploiter leurs positions économiques déjà privilégiées dans deux des régions les plus prospères de l'Espagne. En fait, l'une des principales réclamations de l'élite catalane est de ne plus voir d'impôts alloués pour subventionner les régions les plus pauvres d'Espagne.

La Catalogne est de loin la plus riche des 17 régions autonomes d'Espagne, représentant pour quelque 20 pour cent du produit intérieur brut du pays. Entre eux, la Catalogne et Madrid fournissent 80 pour cent du fonds de solidarité interrégional qui est redistribué aux régions les plus pauvres. En 2002, le revenu des ménages bruts dans la province catalane de la Gérone était presque le double de celui de la province pauvre de Jaén, plus au sud en Andalousie.

La région de la Catalogne est déjà le foyer en Espagne de plus de 3.000 entreprises internationales. En 2002, ses industries ont enregistré 146,1 milliards de $US en revenus, soit 25 pour cent du total de toute l'Espagne. Barcelone est devenue un aimant pour les industries des services telles que les centres d'appel avec ses promesses de force de travail à bon marché et multilingue. Le mois passé, l'agence de location de voitures Avis a déménagé son centre d'appel de Manchester à Barcelone, transférant ainsi 180 emplois venant s'ajouter aux 10.000 autres de cette industrie. Selon les dernières statistiques, la Catalogne attire plus de la moitié des investissements directs étrangers en Espagne dans le domaine de la recherche et du développement, et elle est en voie de devenir rapidement le centre biotechnologique de l'Espagne avec 60 pour cent de l'ensemble de la production pharmaceutique espagnole située dans la région.

L'actuelle crise politique des régions doit également être comprise comme la poursuite des tentatives de l'élite dirigeante de contrer le militantisme de la classe ouvrière espagnole au cours du vingtième siècle en tentant de la diviser selon des lignes nationales.

Le nationalisme catalan et basque s'est développé au tournant du dix-neuvième siècle en réaction à la montée du mouvement ouvrier. Apparaissant surtout parmi l'intelligentsia petite-bourgeoise, il a cherché un appui dans la paysannerie contre les prédations du grand capital et la bureaucratie de l'État. Chaque fois qu'un mouvement révolutionnaire s'est développé, ces éléments se sont efforcés de le contenir et de le détourner à leur avantage.

Lorsque la dictature du Général Miguel Primo de Rivera est tombée en 1931, le PNV a alors fait son apparition au début de la Révolution espagnole en déclarant que son objectif était «d'arrêter le mouvement ouvrier et toute possibilité de révolution». Il a exigé de ses membres «l'abstention absolue à toute participation dans quelque mouvement de classe que ce soit, et d'observer les ordres émanant des autorités au besoin». C'est l'une des raisons pourquoi le nationalisme n'a jamais eu une grande influence dans les régions industrielles de la région basque.

En Catalogne, la situation était en quelque sorte différente Un référendum portant sur le statut autonome catalan en 1931 a recueilli l'appui de 99 pour cent des électeurs. À Barcelone, où un tiers du million d'habitants n'étaient pas catalans, il n'y eut que 3.000 votes contre.

À suivre


 

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