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Des milliers de personnes manifestent à Paris contre le projet de loi sur l'immigration

Par Antoine Lerougetel
18 mai 2006

Samedi dernier, Paris a été la scène de la plus importante manifestation pour la défense des droits des immigrés depuis bien des années. Avec quelques 20 000 participants, elle était deux fois plus importante que la mobilisation du 29 avril, ce qui reflète l'opposition grandissante au projet de loi sur l'immigration qui est voté en ce moment au parlement. Le projet de loi représente une attaque sévère à la fois contre les immigrés légalement installés en France et ceux qui espèrent la régularisation.

La manifestation a été organisée à l'appel de plus de 600 organisations de défense des immigrés et de partis politiques de la gauche française, dont le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et Lutte ouvrière (LO), sous l'égide du collectif «Uni(e)s contre l'immigration jetable».

La pétition du collectif appelle au retrait de la nouvelle loi, connue sous le nom de CESEDA (Code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile), mais n'appelle pas à l'abrogation des lois existantes qui restreignent les droits des immigrés.

Défilant ensemble en tête de cortège on trouvait Jean-Luc Mélanchon du Parti socialiste, Marie-Georges Buffet du Parti communiste, Olivier Besancenot de la LCR, Arlette Laguiller de LO et Alima Boumédiène des Verts.

François Hollande, secrétaire national du Parti socialiste, et sa compagne Ségolène Royal, admiratrice déclarée de Tony Blair, propulsée par les médias comme candidate présidentielle la plus viable face au ministre de l'intérieur gaulliste, Nicolas Sarkozy, aux élections de 2007, n'étaient pas présents. Royal ne s'est toujours pas exprimée sur le projet de loi d'immigration de Sarkozy.

Des groupes de centaines de travailleurs africains défilant derrière les banderoles de groupes de soutien locaux aux "sans papiers", ainsi que d'importants contingents de Chinois, revendiquaient le droit de vivre et de travailler en France. Il y en avait beaucoup parmi eux qui ont reconnu avoir dû surmonter un sentiment de vulnérabilité et d'intimidation pour venir manifester, sentiments que la législation anti immigrés a précisément pour but de susciter. Des délégations de collectifs de sans papiers étaient venus de Nantes, Lille, Alençon et Rouen.

Plusieurs groupes locaux du Réseau éducation sans frontière (RESF) étaient dans la manifestation. L'organisation s'est créée au début de l'année scolaire, quand sous la législation déjà existante, des élèves immigrés ont commencé à être retirés des établissements scolaires du fait que leur famille était en passe d'être expulsée. C'était dans la droite ligne de l'objectif de Sarkozy de reconduire à la frontière 25 000 immigrés en situation irrégulière en 2006.

Des mouvements de défense constitués d'élèves, d'enseignants et de parents se sont développés pour que les enfants puissent rester à l'école, et leurs parents en France. Sarkozy a été obligé à l'automne dernier, en plein milieu des émeutes des jeunes des banlieues, de donner des instructions au préfets pour que les enfants et leur famille ne soient pas inquiétées jusqu'à la fin de l'année scolaire, soit jusqu'au 30 juin.

Il y a fort à penser qu'avec le début des vacances d'été les autorités vont procéder à la reconduite aux frontières de plus de 10 000 élèves immigrés et de leur famille. Le RESF a lancé une campagne le 27 avril, soutenue par des personnalités en vue, pour héberger des enfants et leur famille en danger d'expulsion - délit passible de 5 ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Il y avait un important groupe d'étudiants venus de l'université de Nanterre, en banlieue parisienne. Ils dirent au World Socialist Web Site qu'ils voyaient leur mobilisation comme une continuation de la lutte anti CPE (Contrat première embauche) contre la précarité sociale et de l'emploi qui avait duré trois mois, et qu'ils espéraient que la loi sur l'immigration serait elle aussi retirée grâce à la pression de la rue.

De nombreuses dispositions de la loi de Sarkozy ont pour objectif de stigmatiser les immigrés et de créer un climat permanent de harcèlement et d'intimidation visant à en faire une main d'oeuvre plus vulnérable et donc plus exploitable.

Une mesure clé, annulant le droit automatique de résidence après dix ans de séjour en France, est estimée ne toucher que 3 000 à 4 000 immigrés. Néanmoins, une autre disposition qui annule le renouvellement automatique du permis de résidence de dix ans pour le soumettre au bon vouloir du préfet, remet en question l'avenir de nombreux immigrés en situation régulière installés en France de longue date.

Une autre mesure, qui allonge l'obligation de résidence en France de un an à 18 mois avant qu'un immigré puisse faire la demande de regroupement familial, équivaut à du harcèlement gratuit. Une condition liée à cette mesure et stipulant que le foyer du demandeur soit d'une certaine taille et ses ressources adéquates, indépendamment d'allocations sociales, privera de nombreux immigrés du droit de vivre légalement avec leur famille.

Ce n'est qu'après trois ans de mariage, et non plus deux, que le conjoint d'un Français aura le droit de demander un permis de résidence de dix ans. La durée de mariage nécessaire pour acquérir la nationalité française passe de deux à quatre ans. Ces droits sont sous réserve de preuve de vie commune.

Les partis de la gauche plurielle, Parti communiste et surtout Parti socialiste, avec l'aide de la LCR et de LO, lancent de plus en plus des mouvements de protestation portant sur une question unique afin d'apparaître comme une alternative au gouvernement gaulliste autoritaire et socialement rétrograde. Ils espèrent ainsi acquérir une image progressiste en vue des élections de 2007, tandis qu'ils empêchent toute discussion sur leur bilan de défense des grandes entreprises nationales et européennes au détriment des droits et du niveau de vie de la classe ouvrière.

Un coup d'oeil sur la politique d'immigration des gouvernements de la gauche officielle en France depuis 1981 révèle un long bilan de répression d'Etat. Le gouvernement conservateur du président Valéry Giscard d'Estaing et du premier ministre Raymond Barre avait promulgué en 1980 la très répressive «loi Bonnet». Lorsque le Parti socialiste est venu au pouvoir en alliance avec le Parti communiste, avec François Mitterrand du Parti socialiste comme président, ce gouvernement de «gauche» promulgua une loi de 1981 qui maintenait le délit de résidence irrégulière et donnait aux juges le pouvoir d'imposer des expulsions par la force.

Un document produit par le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), intitulé «Guide d'entrée et de séjour», fait remarquer que la «gauche maintient en vigueur en 1981 deux des dispositions les plus contestées de la loi Bonnet: l'exécution forcée des mesures d'expulsion et surtout la "rétention" des étrangers en instance de départ forcé»

La "loi Joxe" de 1989, sous le gouvernement du Parti socialiste de Michel Rocard, célèbre pour sa phrase selon laquelle la France ne pouvait accueillir «toute la misère du monde», a adouci bon nombre des mesures extrêmes de la loi Pasqua de 1986 «mais n'a pas empêché l'arbitraire administratif de se développer» et les étudiants, les conjoints de Français et les demandeurs d'asile d'être les principales victimes.

Le gouvernement du Parti socialiste d'Edith Cresson (1991-1992) a sérieusement renforcé les contrôles d'immigration:sanctions contre les compagnies aériennes qui transportent des voyageurs sans papiers, renforcement des peines encourues en matière de travail clandestin, suppression du droit au travail pour les demandeurs d'asile, création de zones d'attente dans les ports et aéroports où les immigrés peuvent être maintenus pendant 20 jours. Le gouvernement conservateur qui est venu au pouvoir après la défaite de la gauche en 1993 a placé Charles Pasqua au poste de ministre de l'intérieur. Il s'est servi des contributions de Cresson et Rocard pour renforcer la législation anti-immigrée.

Quand, dans la période précédent les élections législatives de 1997, un mouvement de cinéastes lança un appel à la désobéissance civique contre une loi obligeant les hôtes d'un immigré à fournir à la police des informations sur les allées et venues de leur invité, le dirigeant du Parti socialiste Lionel Jospin qui allait devenir premier ministre du gouvernement de la gauche plurielle avait déclaré qu'en tant que citoyen il devrait en informer la police, mais qu'en tant qu'être humain il ne le dénoncerait pas.

Lorsque son gouvernement est venu au pouvoir en 1997, il a refusé de régulariser les milliers d'immigrés mis en situation irrégulière du fait de la politique du gouvernement précédent.

Si cela ne suffisait toutefois pas à prouver qu'un autre gouvernement des partis socialiste et communiste poursuivrait la répression des immigrés, la révélation de l'existence d'un document préparatoire du Parti socialiste sur l'immigration est concluant. Il s'intitule «Nouvelle politique d'immigration» et a été rédigé en 2005 par Malek Boutih, secrétaire national chargé des questions de société au Parti socialiste et ancien dirigeant de l'organisation antiraciste SOS racisme.

Ce document propose un système de quotas pour l'immigration en provenance de différents pays, supprime le regroupement familial automatique et met l'accent sur le contrôle et la supervision par l'Etat des demandes de droit de résidence. Attaquant la droite pour s'être montrée incapable de contrôler efficacement l'immigration, Boutih dit: «Nous proposons de mettre sur pied une politique de quotas des flux migratoires permettant de prévoir les besoins et les capacités d'accueil de notre société. Ces quotas seront constitués sur la base du nombre d'immigrants que la France accueillera chaque année et concernera les pays qui ont des relations historiques, économiques et politiques avec la France, comme le Maghreb, les pays de la zone CFA ou certains pays de l'Est de l'Europe, membres ou non de l'Union.» Ce document n'a pas été répudié par la direction du Parti socialiste, qui a cherché à le garder loin des regards indiscrets.