Le 9 août à Amiens, un jeune garçon de 12 ans est tombé d’un
balcon du 4ème étage de son immeuble en tentant d’échapper avec son père,
à un raid de leur appartement par la police. Cinq jours plus tard, Ivan, ce
jeune garçon d’une famille de réfugiés tchétchènes, est toujours dans le
coma à l’hôpital où il est soigné, entre autres, pour de sérieuses
blessures à la tête.
La tragédie a provoqué une onde choc et de la révulsion de par
le pays contre les méthodes utilisées par le gouvernement à l’encontre
des sans-papiers. Le matin de l’accident, quelque 300 personnes ont
manifesté à Amiens et défilé de la cité des Pigeonniers, où habite la famille, jusqu’à
l’hôpital. Les manifestants portaient des pancartes disant, «M.le préfet,
arrêtez les rafles », « Non à la chasse à l’enfant et aux
parents », « Les lois Sarkozy tuent les droits. »
Le groupe pour la défense des droits des immigrés, France
terre d’asile, a indiqué que de telles tragédies étaient inévitables
étant donné les efforts massifs entrepris pour traquer les immigrés sans
papiers par Brice Hortefeux, ami fidèle et collaborateur de longue date du
président Nicolas Sarkozy et ministre de l’Immigration, de
l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement du
gouvernement UMP (Union pour un mouvement populaire) nouvellement nommé. Le
groupe a déclaré, « Nous savions tous qu’une telle politique de
traque systématique ne pouvait qu’entraîner des drames. Celui
d’Amiens, où le jeune Ivan est entre la vie et la mort…
n’est, hélas, pas le premier. Il ne sera pas le dernier si cette
politique continue. »
La mère d’Ivan, Natalia Dembsky, est tchéchène et son
père, Andreï Dembsky, ukrainien. Ils ont quitté Grozny, la capitale de la
Tchéchénie, que l’armée russe a dévastée en 1995. Depuis février 2005, soit
six mois après que les Dembsky soient arrivés en France, ils ont fait plusieurs
demandes d’asile politique et de permis de séjour, mais toutes ont été
rejetées. Ivan est scolarisé en France depuis deux ans et, selon ses
instituteurs, ses résultats sont excellents.
Sylvette Chevalier qui soutient plusieurs familles de
sans-papiers dans la cité des Pigeonniers, a déclaré à la presse que la famille
avait engagé un recours gracieux : « Nous avons fait un courrier il y
a un mois, mais il est resté sans réponse… Lundi, Natalia était allée au
commissariat avec Ivan. On lui avait dit de revenir avec son mari. Les
policiers ne lui ont donné aucune explication, mais elle avait deviné
qu’il y avait un risque à revenir. » Ils redoutaient à juste titre
d’être interpellés au commissariat de police et déportés vers leur pays d’origine.
La panique ressentie par la famille, en voyant les nombreuses
voitures de police devant l’immeuble et en entendant les coups à la porte,
ainsi que la tentative désespérée de fuir l’interpellation de la police,
reflètent le climat de peur qui est sciemment entretenu par le gouvernement
Sarkozy.
Thérèse Couraud, ancienne infirmière de 74 ans qui soutient le
collectif des sans-papiers à Amiens, a expliqué, « A force de traquer les gens,
ils ont peur… Certains préfèrent mourir en sautant par une fenêtre plutôt
que d’être torturés en revenant dans leur pays d’origine…
Cette semaine encore, trois autres ont reçu un courrier qui leur demandait de
se présenter en préfecture, avec aucun motif précis. Mais après, nous savons
qu’ils sont coffrés. Nous leur disons de ne pas aller à ces convocations,
nous les mettons sous notre protection. »
Thérèse a poursuivi, «C’est vraiment une triste image de
la France. J’avais 7 ans en 1940 et l’histoire de ces familles
renvoie pour moi aux rafles pendant la guerre. ». Elle a employé le terme
de « rafle », terme utilisé pour qualifier les arrestations de masse
des Juifs par la police du régime de Vichy du Maréchal Philippe Pétain, et qui collabora
avec les Nazis durant l’occupation allemande.
La Cimade, organisation qui défend les réfugiés a rapporté,
« Vous avez désormais des contrôles massifs et systématiques de certains
lieux qui évoquent des rafles.» Brigitte Weiser du Réseau
d’éducation sans frontières (RESF) a dit à la presse qu’à Paris, «La
préfecture a visiblement choisi de passer à la vitesse supérieure. Ils
profitent bien évidemment de l’été : c’est sûr que les écoles
seraient en grève en ce moment. »
Le RESF qui mène une campagne pour la défense des victimes des
opérations de la police contre les sans-papiers a publié un communiqué rejetant
la responsabilité de l’accident sur le gouvernement : « Ce
n’est pas un accident. C’est l’effet direct et inéluctable de
la politique imposée aux préfectures et aux policiers par le gouvernement. Les
services sont soumis à des quotas en matière d’interpellation (125 000
exigés par le ministre en 2007) et d’expulsions (25 000). »
Le communiqué souligne, « Oui, les sans-papiers sont
pourchassés par la police. Jusque chez eux. » Il poursuit en disant,
« D’autres drames, moins spectaculaires, se déroulent partout en
France : à l’heure où nous écrivons, 10 parents (pères ou mères)
d’enfants scolarisés sont placés en centre de rétention par la préfecture
de police de Paris, en attente de leur expulsion, » et précise que ce
n’est que la face émergée de l’iceberg. « Il faut mettre fin
aux expulsions, et aux pratiques auxquelles les forces de police se livrent, et
donner à ceux qui vivent à nos côtés le droit au séjour », précise-t-on
instamment le communiqué.
L’intensification des actes de répression à l’encontre
des sans-papiers a été facilitée par une manœuvre répugnante pratiquée
l’été dernier par Sarkozy face à un mouvement de masse contre les
déportations et le harcèlement de ces familles. En tant que ministre de
l’Intérieur, il avait déclaré un moratoire pour les familles dont les
enfants étaient scolarisés et promis qu’entre six à sept mille familles
remplissant certains critères seraient régularisées durant les vacances
d’été. Quelque 30 000 candidats à la régularisation qui pensaient remplir
les conditions requises avaient communiqué de ce fait leurs coordonnées aux
autorités. Il s’ensuivit que 23 000 demandes de régularisation furent
refusées et ce en dépit du fait qu’un grand nombre d’entre eux remplissait
entièrement les critères établis.
Hortefeux a nié qu’il y avait une intensification de
l’action contre les sans-papiers durant les mois d’été. Toutefois,
son porte-parole a admis qu’une réunion de travail des services de
l’administration avait eu lieu début juillet sur des « questions de
procédure » tout en niant l’existence de toute directive écrite.
Mais un document provenant du gouvernement et obtenu par le quotidien Libération
recommande à la police de procéder à des vérifications du domicile des
sans-papiers et de « solliciter le procureur de la République afin
d’obtenir la coercition » en cas de « non déferrement » de
personnes convoquées.
La procédure prévoit également de faire inscrire les
sans-papiers au FPR, le fichier des personnes recherchées. Les organisations de
défense des droits des sans-papiers remarquent qu’alors que les
interpellations de la police au domicile des sans papiers étaient
exceptionnelles, la recommandation d’Hortefeux en fait une chose
courante. Le vice-président du Syndicat des Magistrats, Jean-François Zmirou a
fait le commentaire suivant, « Je trouve particulièrement inquiétant que
les magistrats du parquet soient ainsi utilisés par le ministère de
l’Intérieur pour servir sa politique. »
Alors que la sincérité et l’inquiétude de la population
contre la chasse aux sorcières ayant pour cible les sans-papiers est
indubitable, le rôle joué par les partis de « gauche » est à relever.
A l’époque du gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin, une
coalition rassemblant le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PC) et les
Verts, 12 000 sans papiers étaient déportés chaque année (selon Libération
du 11 août).
Le programme électoral du PS pour les élections
présidentielles de 2007 contenait des mesures anti-immigration strictes :
« Nous mènerons une politique de fermeté à l’égard de
l’immigration illégale... Il nous faut par conséquent dissuader
l’immigration illégale. » Lorsque la candidate du PS, Ségolène
Royal, fit un geste démagogique durant sa campagne électorale en faveur des
enfants des sans-papiers, elle fut très vite obligée de se rétracter quelques
heures plus tard. http://www.wsws.org/francais/News/2007/avril07/070407_sanspapiers.shtml
La seule personnalité politique à avoir participé à la
manifestation de vendredi à Amiens était Francis Lec, avocat du Parti
socialiste et conseiller régional de Picardie qui travaille pour le RESF de la
Somme. Lec réclame la régularisation définitive d’Ivan et de ses parents
et le soutien total à leur égard des services sociaux tout en signalant que le
geste « humanitaire » d’Hortefeux permettant aux Dembsky de
séjourner six mois en France, le temps que leur fils se rétablisse est un refus
cynique de reconnaître que les blessures d’Ivan nécessiteront des années
de soins médicaux. Néanmoins, dans sa déclaration que la presse a rapportée,
Lec ne propose aucune campagne politique à mener contre la politique anti
immigration poursuivie par l’ensemble de l’élite dirigeante française.