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Elections présidentielles en France: Le nationalisme du Parti des travailleurs

02 Avril 2007
Par Pierre Mabut et Peter Schwarz

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Un des aspects remarquables de la campagne électorale en France est la rhétorique nationaliste à laquelle tous les candidats de l’establishment politique ont recours afin de camoufler les oppositions sociales, d’attaquer les immigrés et de défendre « les intérêts français ».

Ce n’est pas seulement le cas de partis conservateurs et d’extrême droite comme l’UMP de Nicolas Sarkozy et le Front national (FN) de Jean-Marie Le Pen ou encore du Parti socialiste dont la candidate Ségolène Royal préconise que chaque Français ait chez lui un drapeau tricolore et termine ses meetings électoraux en chantant la Marseillaise. A l’extrême gauche aussi il y a un parti, le Parti des travailleurs (PT) qui mène une campagne dont le contenu et le langage ont très nettement pour objectif la défense de l’Etat français et de la « souveraineté nationale ».

Le PT est issu de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) qui a rompu avec la Quatrième Internationale en 1971. Depuis cette époque, l’OCI est constamment allée à droite et elle est devenue un des soutiens de l’ordre bourgeois. En 1992, elle fonda le « Parti des travailleurs » et s’y est dissoute. Le PT prétend représenter plusieurs courants politiques, communiste, socialiste, anarcho-syndicaliste, mais il est toujours dominé par l’ancien cadre de l’OCI, qui compte encore Pierre Lambert, maintenant âgé de 86 ans, dans ses rangs.

On cherche en vain le terme « socialisme » dans les déclarations électorales du PT, même la notion de classe ouvrière en a disparu. Ses déclarations se limitent à des revendications purement bourgeoises comme « pour la reconquête de la démocratie » et « pour la défense de la république laïque ». La pierre d’angle de la campagne électorale du PT est une « défense des 36 000 communes » du pays, situées pour la plupart dans des régions rurales.

Si c’est le secrétaire national du PT, Daniel Gluckstein, qui était candidat à l’élection présidentielle il y a cinq ans, c’est à présent le maire de Mailhac, un village de 373 habitants de la région vinicole de l’Aude, Gérard Schivardi, maître artisan maçon, qui a été choisi pour représenter le parti. Bien que sa campagne soit exclusivement soutenue par le PT, il ne se présente pas au nom de ce parti. Il se présente bien plutôt comme le « candidat des maires ».

Schivardi et le PT transforment les petites communes de France en incarnation de la démocratie et en rempart contre la démolition des services publics. C’est là le thème qui sous-tend toutes les déclarations de ce parti.

C’est ainsi que Schivardi expliqua lors d’une conférence de presse : « Nos 36 000 communes avec leurs conseils municipaux élus, leurs syndicats intercommunaux librement constitués sont les piliers de la République, il ne faut pas qu’elles disparaissent dans la fusion avec les grandes communautés d’agglo. »

Le secrétaire national du PT, Gluckstein avait déjà, il y a deux ans, proclamé dans une lettre à tous les maires de France : « Les 36 000 communes sont étroitement liées à l’unité et l’indivisibilité de la République laïque reposant elle-même, sur l’égalité des droits des citoyens dans l’ensemble du territoire. Cette égalité dépend de l’existence du service public d’Etat, garantissant que dans toutes les communes, les citoyens puissent accéder aux mêmes conditions — le monopole d’état garantissant l’égalité tarifaire — à l’énergie, à la poste, à la perception et bénéficier des services de l’équipement. »

Cette glorification des petites communes et de leurs maires en tant que bastions de l’égalité et de la démocratie est de toute évidence insensée.

Les maires ne représentent pas les électeurs face à l’Etat, mais sont plutôt une partie essentielle de l’appareil répressif de l’Etat. L’actuel gouvernement Villepin a, il y a peine un mois, fait voter une nouvelle loi sur la prévention de la criminalité et qui fait des maires une sorte de shérif local. Les familles dont les enfants manquent l’école perdent l’aide sociale si le maire le décrète à la place d’un juge. Cette loi donne en outre au maire le pouvoir de maintenir l’ordre et la sécurité publique et de « réprimer » les conflits de voisinage. Un autre article de cette loi règle l’expulsion forcée de nomades qui camperaient sans autorisation sur le territoire d’une commune.

S’ajoute à cela le fait que de nombreuses mairies où se décident les dotations d’emplois, l’attribution de contrats publics et d’autres faveurs, sont des lieux où la corruption est notoire.

Les maires, c’est bien connu, sont au niveau local, mis en lice par les mêmes partis que ceux qui déterminent la politique au niveau national. La prétention qu’a Schivardi de parler au nom de tous les maires, indépendamment de leur appartenance politique, est un appel à la collaboration de classe au-delà de toutes les divisions politiques.

Cette tendance est également visible dans une lettre du PT aux maires qui ont permis à Schivardi de participer à l’élection présidentielle. Dans cette lettre on peut lire ceci: « N’avons-nous pas eu raison de nous adresser à tous les candidats à l’élection présidentielle et aux élections législatives qui vont suivre pour dire : "Nous sommes prêts à soutenir tout pas en avant d’un candidat qui s’engagerait dans la voie de la rupture avec l’Union européenne, dans la voie de la restauration de la démocratie, de la reconquête de nos services publics, de la défense des 36 000 communes et de leurs prérogatives" ? »

Autrement dit, le PT est prêt à collaborer avec tout le monde, aussi avec des maires de droite, tant qu’ils se déclarent opposés à l’Union européenne, qu’ils déclarent soutenir la démocratie et défendre l’autonomie des communes.

L’Association des maires de France (AMF), dont font partie presque tous les maires du pays, s’est tout sauf enthousiasmé de la candidature de Schivardi. Elle a mené une action en justice pour interdire à Schivardi de se présenter comme « candidats des maires dans leur globalité ». L’association insiste sur la stricte neutralité politique de la représentation nationale des maires.

Une campagne chauvine contre l’Union européenne

Le second axe de la campagne du PT est formé par la revendication d’une « rupture avec l’Union européenne ». Cette revendication n’attaque pas l’Union européenne d’un point de vue de classe et n’a pas pour point de départ la défense des intérêts de toute la classe ouvrière européenne et internationale. Le PT critique l’UE du point de vue de la nation française et mène une campagne chauvine et antiaméricaine virulente.

Pour le PT, l’Union européenne et le capital financier international (ce dernier ayant toujours du point de vue de ce parti un visage américain) sont à l’origine de tous les maux sociaux de la société française, y compris des problèmes des communes. Le capital français et la classe dirigeante française restent pour l’essentiel épargnés.

Daniel Gluckstein écrit ainsi dans un éditorial de l’organe de presse du PT, Informations ouvrières, que « les directives européennes et le traité de Maastricht livrent l’économie nationale au pillage éhonté des prédateurs du grand capital financier ».

Dans un autre éditorial, il s’en prend à une remarque du magazine Le Point selon laquelle « la bannière étoilée » flotterait sur la bourse de Paris et écrit : « Ainsi donc, "la bannière étoilée" flotte non seulement sur le palais Brongniart, mais aussi sur Airbus, sur l’industrie et, finalement, sur l’économie tout entière ». Et il avertit que la France doit rompre avec l’UE si « l’on ne veut pas que notre pays se réduise prochainement à un champ de ruines sur lequel "flottera la bannière étoilée". »

Il faut, selon le PT, remplacer l’Union européenne par « une Europe libre des peuples libres ». Schivardi se présente dans une déclaration à la presse comme le candidat d’une « Union libre des peuples et des nations libres d’Europe ».

Ce langage a un contenu politique sur lequel il n’y a pas à se méprendre. La référence au « peuple » et à la « nation » en réponse à la globalisation est la marque de fabrique de tendances politiques extrêmement droitières. Ce n’est pas par hasard que les opposants de droite de l’Union européenne se sont regroupés au parlement européen sous la dénomination d’« Europe des nations » au sein d’une fraction parlementaire où on trouve, entre autres, les partis italiens Alleanza Nazionale et Lega Nord ainsi que les trois partis gouvernementaux polonais et le Rassemblement pour la France de Charles Pasqua.

De telles tendances droitières s’adressent en général aux classes moyennes qui voient les fondements de leur existence menacés, ont la nostalgie d’un Etat qui les protègerait et sont réceptives à des slogans qui disent que la racine de tous les maux se trouve dans ce qui est étranger.

De telles tendances jouent un rôle utile pour la classe dirigeante. Elles défendent la propriété capitaliste et divisent la classe ouvrière dont l’existence est liée aux forces productives modernes et mondialisées. La classe ouvrière ne peut défendre ses acquis sociaux et ses droits démocratiques que dans la mesure où elle s’unit internationalement et où elle réorganise l’économie mondiale sur une base socialiste. Sa réponse à l’Union européenne sont les Etats-Unis socialistes d’Europe et non pas une « Europe des Nations ».

On ne trouve aucune revendication socialiste dans le programme du PT. Il prend bien fait et cause pour une « renationalisation » d’Airbus et des entreprises du service public. Mais il entend par là une reprise de ces entreprises par l’Etat bourgeois qui devra défendre de façon d’autant plus agressive les intérêts des trusts français sur le marché mondial. Il y eut souvent dans l’histoire du capitalisme français de telles nationalisations capitalistes. Elles n’ont rien à voir avec des nationalisations socialistes. Celles-ci ont pour condition préalable une participation active des travailleurs et ont pour objectif de placer l’ensemble de la société sur un fondement socialiste.

L’évolution à droite du PT

La campagne électorale nationaliste du PT montre à quel point ce parti est allé à droite. Il a totalement abandonné la classe ouvrière et il s’identifie aux « intérêts nationaux » de la bourgeoisie française. Cette évolution droitière a une longue histoire.

L’OCI a réagi à la révolte de masse de 1968, qui lui apporta des jeunes en grand nombre, mais sans expérience politique, en se détournant de la Quatrième Internationale et en se rapprochant de la bureaucratie sociale-démocrate. Au début des années 1970 elle envoya bon nombre de ses adhérents dans le Parti socialiste, qui soutinrent François Mitterrand. Parmi ceux-ci se trouvait Lionel Jospin qui, en tant que membre secret de l’OCI, parvint jusqu’au sommet du Parti socialiste. En 1995, il devint premier ministre. L’OCI fut dans le même temps active au sein du syndicat Force ouvrière (FO) qui par moment se trouva entièrement sous son influence.

Le PT devint un parti de la bureaucratie réformiste qui avait organisé le compromis de classe de la période d’après-guerre, recevant en contrepartie des revenus considérables, et qui de cette façon a assuré la stabilité de la société capitaliste.

La globalisation a privé cette bureaucratie de l’espace de manœuvre requis pour obtenir des concessions sociales. D’une hostilité organique vis-à-vis de la classe ouvrière, elle est allée constamment à droite afin de prouver son utilité à la classe dirigeante. Elle perdit en conséquence, une partie considérable de son influence. Syndicats et Parti socialiste perdirent des adhérents en masse.

Le PT a été fondé en tant que rassemblement pour les fonctionnaires déçus qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas réussi à faire carrière dans l’appareil du Parti socialiste ou des syndicats. L’OCI prenait bien quelque peu ses distances avec le Parti socialiste, au profit duquel elle avait perdu bon nombre de ses propres cadres dirigeants, mais il ne s’éloignait pas des conceptions politiques de celui-ci. Il lui est aussi resté la peur panique d’un mouvement d’en bas.

Toutes les déclarations du PT s’adressent au milieu des fonctionnaires et des bureaucrates. Elles ont toutes un style mielleux. Ce sont à tout bout de champ des mandataires quelconques ou des comités fictifs qui agissent au nom de la classe ouvrière. Le PT se montre à peine en public, sinon caché derrière plusieurs organisations de front qui rappellent des poupées russes : l’OCI se cache derrière le PT, le PT se cache derrière un comité, qui se cache derrière un autre comité avec un nom bureaucratique à rallonge.

Tantôt Gluckstein et tantôt Schivardi se présente comme membre d’une « Délégation du Comité national pour la reconquête de la démocratie », ou bien Informations ouvrières publie un « appel » signé par Gluckstein et Schivardi « des membres du comité de soutien à Gérard Schivardi, candidat des maires soutenu par le Parti des travailleurs aux 538 maires ayant parrainé notre candidature ».

Ce jeu de cache-cache absurde sert avant tout à duper le public. Il correspond à la mentalité d’une caste bureaucratique pour qui magouiller et manœuvrer est devenu une seconde nature.

Les maires des 36 000 communes font, eux aussi, partie de cette couche de fonctionnaires. En France, un poste de maire est la condition de base d’une carrière politique. Même celui qui obtient le rang de ministre ou qui parvient au sommet du gouvernement ne quitte pas, en général, son poste de maire. Il est caractéristique de l’orientation sociale du PT que Gluckstein qualifie, dans une « Lettre aux maires » les 36 000 communes et les organisations syndicales de « piliers de la démocratie ».

Le nationalisme croissant des anciens partis réformistes et des syndicats est leur réponse aux tensions sociales croissantes et à l’humeur oppositionnelle croissante de la classe ouvrière. Ségolène Royal s’enveloppe du drapeau tricolore et chante la Marseillaise. Chez Airbus, c’est surtout le syndicat Force ouvrière, influencé par le PT, qui essaie de détourner la colère éprouvée à l’égard des licenciements sur les collègues des usines en Allemagne. La campagne électorale nationaliste du PT est l’expression concentrée de cette évolution.

(Article original paru le 31 mars 2007)

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