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La chef du Parti vert du Canada soutient les libéraux

Par Richard Dufour
25 avril 2007

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La chef du Parti vert, Elizabeth May, et le chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion, ont donné une conférence de presse conjointe le 13 avril pour annoncer qu’ils ne présenteraient pas de candidats l’un contre l’autre dans leurs circonscriptions respectives lors des prochaines élections fédérales. Leur déclaration commune stipule qu’un « gouvernement dirigé par Stéphane Dion pourrait bien fonctionner en collaboration avec un groupe de députés verts » afin de « lutter contre les changements climatiques ».

Peut-être pour la première fois de leur histoire, les libéraux ne présenteront pas de candidats dans tous les comtés électoraux lors d’une élection générale. Dans la circonscription de Nouvelle-Ecosse détenue par le ministre des Affaires étrangères, le conservateur Peter McKay, les libéraux vont soutenir l’élection de la dirigeante du Parti vert.

L’engagement réciproque de May de ne pas présenter de candidat vert dans le comté montréalais de Dion, Saint-Laurent-Cartierville, où il a été élu avec une avance de 20 000 voix sur son plus proche rival, est purement symbolique. Pour les Libéraux, la véritable valeur de l’entente conclue entre Dion et May est l’endossement enthousiaste de la dirigeante des Verts, qu’elle a accompagné de déclarations comme celle-ci : « Je considère M. Dion comme un véritable leader pour ce pays. »

Si les Verts comptent sur le pacte de non-agression avec le parti traditionnel du pouvoir au Canada pour devenir plus respectables aux yeux de l’opinion publique officielle et peut-être arracher une victoire surprise sur MacKay en Nouvelle-Ecosse, les enjeux sont plus considérables pour les libéraux.

Dion tente de faire appel à l’opposition grandissante envers la politique du libre marché et du militarisme suivie depuis quatorze mois par le gouvernement minoritaire de Stephen Harper, tout en se préparant à continuer et à intensifier cette même politique en tant que prochain premier ministre du Canada.

Il faut rappeler que les libéraux ont été au pouvoir de l’automne 1993 à janvier 2006 sous la direction de Jean Chrétien et Paul Martin. Durant ces douze années, ils se sont présentés comme des opposants aux mesures de droite avancées par le Parti réformateur et son successeur l’Alliance canadienne (ce dernier parti a absorbé l’ancien parti tory pour former le Parti conservateur actuel) seulement pour les mettre en œuvre, éviscérant les programmes sociaux et accordant des réductions d’impôts à la grande entreprise et aux riches.

S’inspirant de cet historique de duperies, dont il fut un des protagonistes en tant que ministre sous Chrétien et ensuite sous Martin, Dion a affirmé dans un récent discours qu’il mènera « la lutte contre la pauvreté et l’exclusion ». Pointant du doigt des programmes gouvernementaux comme l’assurance-chômage et l’assurance-santé, Dion s’est vanté que « les principales avancées sociales du Canada ont été essentiellement réalisées sous le Parti libéral du Canada ».

Le véritable dossier du Parti libéral est très différent. Les mesures d’austérité anti-ouvrières des gouvernements Trudeau de la fin des années 1970 et du début des années 1980 ont cédé le pas dans les années 1990 à un assaut tout azimuts sur ce qui restait de l’Etat-Providence. Sous le gouvernement de Chrétien et Martin, des milliards de dollars ont été siphonnés du fonds de l’assurance-chômage, aux dépens des chômeurs et des travailleurs saisonniers. Au même moment, le système de santé et d’autres programmes gouvernementaux vitaux étaient coupés jusqu’à l’os. Cette politique de droite a été un facteur clé de la défaite des libéraux lors des dernières élections.

Dion lui-même sent que le fait d’agiter les vieilles recettes libérales ne suffira pas à freiner l’importante érosion de l’appui populaire à son parti. C’est pourquoi il a pris la décision sans précédent de ne pas présenter de candidat libéral dans chacune des circonscriptions et de se tourner vers les Verts pour qu’ils aident les libéraux à se refaire une image d’alternative progressiste aux conservateurs ouvertement pro-patronaux et pro-Bush.

Les médias officiels ont accueilli avec hostilité le pacte entre Dion et May, qu’ils ont condamné comme étant un signe de faiblesse de la part du Parti libéral et une adaptation inutile aux préoccupations populaires face à la politique étrangère agressive des conservateurs et à leur point de vue de droite sur les questions économiques et environnementales. Par exemple, un éditorial du Globe and Mail a qualifié l’entente d’« excentrique », notant avec inquiétude que « les Verts souhaiteraient voir le Canada quitter l’Accord de libre-échange nord-américain avec un préavis de six mois et revoir sa participation à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ».

Cette opposition reflète les positions des sections les plus puissantes de l’élite dirigeante qui soutiennent l’importante poussée de la politique canadienne vers la droite opérée par les conservateurs et qui ne tolèreront aucun relâchement dans les attaques sur les programmes sociaux et les droits démocratiques au pays, ou contre les peuples opprimés de l’Afghanistan et de futures cibles de l’intervention militaire canadienne à l’étranger.

Mais d’autres sections plus perspicaces de l’establishment sont conscientes de l’intense opposition populaire au programme de droite de Harper et craignent que celle-ci trouve une expression politique indépendante. Elles voient les libéraux jouer un rôle-clé pour maintenir ce sentiment d’opposition à l’intérieur du cadre politique existant. Commentant le pacte entre Dion et May, un chroniqueur du Toronto Star pro-libéral a écrit : « Ils se sont entendus pour ne pas diviser le vote progressiste. » May a elle-même affirmé, en réponse à des questions sur son rapprochement avec Dion, qu’elle ne voulait pas devenir la « Ralph Nader du Canada ».

Après s’être présenté pour les Verts aux élections présidentielles de 2000, Nader fut accusé par les démocrates d’avoir volé des votes à leur candidat, Al Gore, et d’avoir ainsi préparé une victoire des républicains. Plus tôt cette année, May avait suggéré la même idée dans une entrevue à la télé : « L’une des erreurs de Nader a été d’affirmer qu’il n’y avait pas de différence entre Bush et Gore. »

En fait, toute la trajectoire de la politique américaine depuis le vol des élections de 2000 par Bush et le déclenchement de guerres d’agression contre l’Afghanistan et l’Irak a démontré qu’il n’y avait aucune différence de principe entre les républicains et les démocrates. Les démocrates constituent autant un parti de guerre que les républicains. Ils soutiennent les buts de guerre de l’élite dirigeante américaine, à savoir le contrôle des régions riches en pétrole du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, mais critiquent le fait que la guerre en Irak soit menée de façon incompétente sans être accompagnée d’une campagne diplomatique.

On peut tracer un parallèle entre les positions des démocrates aux Etats-Unis et celles des libéraux canadiens. Ils sont tous deux en désaccord avec leurs opposants politiques sur des aspects tactiques d’un programme gouvernemental de droite qu’ils partagent essentiellement.

Les libéraux continuent de soutenir la participation des Forces armées canadiennes aux côtés des Etats-Unis dans la guerre de contre-insurrection en Afghanistan, une intervention militaire qu’ils ont eux-mêmes entreprise à l’automne 2001. Ils regrettent toutefois la relation trop étroite qu’entretient Harper avec l’administration Bush en affirmant qu’elle nuit aux propres ambitions géopolitiques de l’élite dirigeante canadienne. Comme l’a déclaré Dion : « Nous avons travaillé si fort pour que le Canada puisse faire entendre sa propre voix dans le monde, une voix différente de celle d’un conservatisme à la Bush ou à la Harper. »

Trois jours plus tard, dans un effort apparent visant à calmer les inquiétudes de la grande entreprise que l’entente avec les Verts ne mène son parti « trop à gauche », comme le disait un commentateur du Globe and Mail, Dion a prononcé un discours important sur sa politique économique dans lequel il a attaqué les conservateurs de la droite. Le dirigeant libéral a condamné la décision des conservateurs de « ne plus permettre aux entreprises canadiennes de déduire les intérêts sur les prêts contractés pour financer leur expansion internationale » et de « prélever un écrasant impôt de 31% sur les fiducies de revenu ».

C’était un signal clair venant de Dion qu’il avait l’intention de mettre en oeuvre sa promesse de se présenter aux prochaines élections « avec une plateforme et une équipe qui sera beaucoup plus proche de la grande entreprise que M. Harper ».  Voilà la véritable orientation de classe que les libéraux veulent camoufler avec l’aide des Verts.

May, qui présente son parti comme étant « financièrement et fiscalement responsable », a dit à plusieurs reprises que l’environnement est une « obligation morale » qui « va au-delà de la politique partisane. » La crise environnementale est ainsi séparée de sa source objective qui réside dans le système économique existant, un système motivé par le profit personnel et les intérêts « nationaux » d’Etats-nations en compétition.

En réalité, les problèmes de plus en plus complexes de la société de masse moderne, incluant la crise environnementale, ne peuvent être résolus sans une restructuration fondamentale de l’économie globale. Ce n’est qu’en stoppant la subordination de la vie socio-économique à la poursuite du profit et la division du monde en États-nations rivaux qu’il sera possible d’utiliser les ressources mondiales de manière rationnelle et durable pour combler les besoins humains.

Fait à noter, aucune de ces questions de principe n’a été soulevée par les sociaux-démocrates du Canada, qui prétendent être l’opposition de gauche aux libéraux. Utilisant un langage similaire à celui des conservateurs, le dirigeant du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, a dénoncé l’entente conclue entre May et Dion comme étant une « entente de couloir entre deux dirigeants de parti » qui est « antidémocratique » parce qu’elle va priver « les Canadiens d’un choix complet lors d’une élection. »

Tout au long de leur histoire, le NPD a opposé la politique de contestation parlementaire à la lutte pour l’indépendance politique de la classe ouvrière contre le système de profit.  Cette politique l’a mené à soutenir des gouvernements libéraux minoritaires et à désarmer politiquement la classe ouvrière durant des moments critiques de la lutte de classe,  lorsque l’élite dirigeante se préparait à prendre un virage à droite. Ce fut notamment le cas lors de la période explosive du début des années 70 et plus récemment durant une période de six mois en 2005. 

Les dénonciations des libéraux par le NPD, y compris la critique du pacte avec les Verts, ne signifient pas que les néo-démocrates ont rompu avec leur pratique de plusieurs décennies consistant à canaliser le mécontentement populaire vers la voie inoffensive de la contestation au Parlement. Ces dénonciations expriment plutôt la crainte du NPD de devenir marginal dans le milieu de la politique officielle. Dans le but de maintenir son groupe parlementaire, Layton est en train de flirter avec les conservateurs de Harper, utilisant leurs soi-disant « concessions » sur des questions comme les changements climatiques comme preuve que les manœuvres parlementaires du NPD peuvent donner des « résultats ».  En fait, ce faisant, le NPD offre une couverture politique au gouvernement canadien le plus à droite depuis la Grande Dépression.

(Article original paru le 23 avril 2007)

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