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Canada : Il est illégal de refouler aux Etats-Unis les demandeurs d’asile politique déclare un juge

Par Guy Charron
12 décembre 2007

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Le juge Michael Phelan de la Cour fédérale canadienne, la cour de première instance au niveau fédéral, a statué le 29 novembre dernier que l’accord dit des « pays tiers sûrs » intervenu entre le Canada et les Etats-Unis et portant sur les réfugiés politiques était illégal.

L’accord signé par le gouvernement libéral de Jean Chrétien en décembre 2002 et qui est entré en vigueur en décembre 2004 avait pour but d’empêcher des milliers de personnes de demander le statut de réfugié au Canada. Par exemple, depuis le début 2005, il est estimé que 2500 Colombiens n’ont pu demander le statut de réfugié politique au Canada à cause de l’accord canado-américain.

En vertu de l’accord pays tiers sûrs, une personne ne peut demander l’asile politique que dans le premier des deux pays où elle est arrivée. Avant l’entrée en vigueur de l’accord, environ de 30 à 40 pour cent des demandes d’asiles politiques étaient le fait de personnes arrivant des Etats-Unis à la frontière canadienne. Le flux de réfugiés des États-Unis vers le Canada est beaucoup plus important que celui du Canada vers les Etats-Unis, parce que beaucoup de réfugiés politiques arrivent par voie terrestre de l’Amérique latine. Les États-Unis sont le seul pays avec lequel le Canada a une entente de tiers pays sûr.

Le jugement de Phelan est une condamnation tant des pratiques américaines que canadiennes en ce qui a trait au traitement des réfugiés politiques.

Dans les justifications de sa décision, Phelan a écrit que les États-Unis ne respectaient pas les traités internationaux sur les réfugiés et la torture.

Il a établi que les États-Unis ne pouvaient pas être considérés comme un pays sûr parce qu’il est possible qu’ils renvoient des personnes dans leur pays d’origine même si elles risquent d’y être torturées. Il a cité en exemple le cas de Maher Arar, un Canadien d’origine syrienne, qui a été arrêté à l’aéroport JFK de New York lors d’un transbordement parce qu’il était faussement soupçonné de terrorisme. Il a été renvoyé vers la Syrie où il a été torturé et incarcéré pendant 10 mois.

Mais le jugement de Phelan passe sous silence la collaboration du Canada aux processus américains de la torture. Une enquête publique avait démontré la profonde collaboration entre l’État canadien et l’État américain dans cette affaire, le Canada manœuvrant pour faire torturer des citoyens canadiens soupçonnés de terrorisme sur les bases les plus faibles. Le gouvernement canadien refuse de condamner les pratiques de tortures américaines, en particulier à Guantanamo où un Canadien est détenu depuis plusieurs années. L’armée canadienne en opération de contre-insurrection dans le sud de l’Afghanistan remet ses prisonniers aux forces de sécurité afghanes bien connues pour leur brutalité.

Dans sa décision, Phelan a aussi écrit qu’il est « difficile d’imaginer [que le gouvernement canadien] a pu raisonnablement conclure que les Etats-Unis se conforment à la Convention sur les réfugiés alors que la loi autorise l’exclusion d’un demandant qui aurait involontairement soutenu un groupe terroriste. Les exclusions sur la base du terrorisme sont très sévères et jettent un large filet dans lequel seront prises des personnes n’ayant jamais été une menace. »  

Dans sa propre loi anti-terroriste, le Canada criminalise explicitement le soutien involontaire aux groupes terroristes, non seulement pour les demandeurs d’asile politique, mais pour tout citoyen canadien. De plus, la loi anti-terroriste canadienne donne une définition tellement large de ce qu’est un acte terroriste qu’on pourrait y inclure une manifestation contre une politique gouvernementale.

Dans son jugement, Phelan a également ajouté que le refus américain de considérer les demandes d’asile politique effectuées plus d’un an après l’arrivée au pays et l’incarcération d’une proportion importante des demandeurs avait compté dans son jugement sur la légalité de l’accord.

L’ambassadeur américain au Canada, David Wilkins, s’est indigné du jugement dans un communiqué. « Nous avons un bilan reluisant en matière d'accueil et de protection des réfugiés, de défense des droits de la personne et de respect de nos obligations découlant de traités », a-t-il déclaré.  

L’entente canado-américaine sur les réfugiés politiques était en négociation depuis la fin des années 1980. Le gouvernement conservateur de Brian Mulroney alors au pouvoir avait introduit une clause dans la loi canadienne sur l’immigration qui aurait permis à une telle entente d’être légale. Mais parce que cela signifiait une augmentation du nombre des réfugiés aux États-Unis, les deux gouvernements n’avaient jamais pu arriver à s’entendre. C’est dans la foulée du 11-Septembre et de l’augmentation du contrôle des frontières que l’entente a été conclue en décembre 2002.

Cette entente fait partie des mesures que mettent en place les bourgeoisies de par le monde pour restreindre le droit à l’asile politique. Tout est mis en œuvre pour que les réfugiés n’atteignent pas les frontières du pays, par exemple en resserrant  le contrôle à l’embarquement dans les aéroports. Les réfugiés qui y réussissent sont souvent arrêtés dans des centres de détentions spéciaux, comme aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie. Ces mesures ont pour impact que, malgré le fait que le nombre des réfugiés ait augmenté de plus de 50 pour cent depuis 2003 selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR), le nombre des demandes d’asiles a diminué de près de moitié dans la même période, y compris au Canada et aux Etats-Unis.

Il est remarquable que deux pays d’où proviennent un très grand nombre de réfugiés, l’Irak et l’Afghanistan (respectivement 3,5 et 2,8 millions à la fin de 2006 selon le HCNUR), et qui doivent cette situation peu enviable à une invasion américaine bénéficiant de l’appui du Canada, ne constituent qu’une très petite fraction des réfugiés acceptés tant au Canada qu’aux États-Unis.

La décision du juge Phelan a été largement dénoncée dans la presse écrite canadienne. L’éditorial  dans l’édition du 30 novembre 2007 du Globe and Mail nous offre un exemple typique des commentaires : « L’affirmation par un juge de la Cour fédérale que les Etats-Unis ne sont pas un pays sûr pour les réfugiés apparaît immédiatement comme scandaleuse … La décision doit être portée en appel et le jugement suspendu jusqu’à ce que l’appel soit entendu. »   

Le Nouveau Parti démocratique (NPD), un parti social-démocrate, s’inquiète que la bourgeoisie canadienne affiche ouvertement ses visées prédatrices et son mépris des droits démocratiques. Le NPD a demandé que le gouvernement répudie l’accord canado-américain. « L’accord des pays tiers sûrs a enlevé au Canada sa capacité à faire preuve de bon jugement et ne reflète pas les valeurs canadiennes » a dit Olivia Chow, la critique du NPD sur les questions de l’immigration.

Personne ne doute que le gouvernement conservateur portera le jugement en appel, non seulement parce qu’il veut à tout prix éviter de déplaire au gouvernement américain, mais plus encore parce que c’est sa politique d’accepter toujours moins de réfugiés politiques.

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