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Canada : un remaniement ministériel annonce des élections printanières

Par Richard Dufour
16 janvier 2007

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Dans un geste de relations publiques visant à adoucir son image de néoconservateur pur et dur, le premier ministre canadien Stephen Harper a annoncé la semaine dernière qu’il remaniait son conseil des ministres. Dans ce remaniement, les principaux ministres ont conservé leur poste et les quelques ministères de moindre importance ont de nouveaux ministres à leur tête.

Au cours de la première année de ce gouvernement minoritaire, caractérisée par un virage brusque vers la droite — comme le montrent le rôle plus important du Canada dans la guerre en Afghanistan sous direction américaine, un assaut incessant sur les droits démocratiques et les milliards de dollars allant aux plus riches sous la forme de diminutions d’impôts et de réduction de la dette nationale —, les conservateurs sont inquiets du contrecoup populaire lors des prochaines élections fédérales, qui pourraient avoir lieu aussi tôt que ce printemps.

Préoccupé par les sondages de l’opinion publique indiquant une perte de popularité, Harper a décidé de déplacer deux ministres étroitement associés avec le programme d’ultra-droite du gouvernement. Rona Ambrose, qui a dénoncé ouvertement le protocole de Kyoto duquel le Canada était un signataire, a été mutée du ministère de l’Environnement à celui des Affaires intergouvernementales. Vic Toews, qui voyait des jeunes de 10 ans jugés devant les tribunaux criminels, a perdu le ministère de la Justice pour prendre la tête du Trésor.

Sans surprise, les médias de la grande entreprise ont cherché à décrire le remaniement ministériel comme un autre pas d’Harper pour se recentrer. Au cours des dernières élections, les médias se sont résolument rangés derrière le Parti conservateur, qui a été formé en 2004 de la fusion du Parti progressiste-conservateur et de l’Alliance canadienne, un parti populiste de droite, le louangeant pour être « moderne » et comme faisant largement consensus. Mais, même s’il n’a pas bénéficié des avantages que procure la majorité parlementaire et qu’il n’a obtenu que le tiers des votes aux dernières élections, le gouvernement Harper a poussé la politique canadienne significativement vers la droite.

Avec une crise économique qui pointe, particulièrement dans le secteur manufacturier, et avec l’échec cuisant de l’administration Bush dans les élections au Congrès de novembre dernier, les conservateurs soupèsent s’il faut aller en élections bientôt ou attendre plus tard.

Bien que rien ne soit certain, surtout dans le contexte où les sondages continueraient à indiquer que le Parti conservateur n’a pas un appui assez fort, les stratèges conservateurs considèrent l’option de déposer un budget, en février ou en mars, qui contiendra tellement de coupes d’impôts et de taxes en faveur des biens nantis et des super-riches que les partis d’opposition n’auront pas d’autres choix que de s’y opposer, ce qui entraînera le déclenchement des élections.

Le remaniement ministériel est une partie de tous ces calculs. Il avait pour but de rassurer les partisans du Parti conservateur au sein de l’élite dirigeante que le parti au pouvoir est suffisamment rusé pour faire des changements cosmétiques pour améliorer son image et son appui populaire, mais sans laisser tomber le programme de droite en matière économique, sociale et géopolitique qui a la faveur de la grande entreprise. Et, ainsi, qu’un gouvernement conservateur majoritaire est la meilleure option qu’a la grande entreprise canadienne pour affirmer avec vigueur ses intérêts pour le profit contre ses rivaux internationaux et les travailleurs du Canada.

Le remplacement de Rona Ambrose au poste de ministre de l’Environnement, John Baird, est lui-même un partisan enthousiaste des politiques néoconservatrices en faveur du libre marché. En tant que président du Conseil du Trésor dans le précédent conseil des ministres d’Harper, Baird a joué un rôle important pour contenir les dépenses gouvernementales. A la fin des années 1990, il a été un membre clé du gouvernement ontarien conservateur de Mike Harris qui a éliminé une bonne partie des règlements régissant l’environnement et le contrôle de l’eau potable. Il a ainsi mis la table pour la contamination en mai 2000 de l’approvisionnement en eau de la ville rurale de Walkerton, une tragédie qui a coûté la vie à sept personnes.

Plus généralement, le remaniement ministériel qui ne touche à aucun des principaux ministres — Jim Flaherty, le ministre des Finances; Peter McKay, le ministre des Affaires étrangères, Stockwell Day à la Sécurité nationale et Gordon O’Connor à la Défense nationale sont toujours en poste — n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux.

Plus significativement, les priorités mises de l’avant par le premier ministre lors du dévoilement de son nouveau cabinet montrent sans aucun doute que les conservateurs ne s’écarteront pas de leur programme de droite.

Harper a promis en 2007 un budget qui « limitera les dépenses, diminuera les impôts et présentera aux provinces une offre équitable ». Les deux premiers éléments laissent sous-entendre une politique économique visant à utiliser les surplus budgétaires d’Ottawa de plusieurs milliards de dollars pour baisser les impôts des riches, réduire la dette et augmenter les dépenses militaires, plutôt que d’investir en santé, dans la réduction de la pauvreté ou dans des programmes d’emplois.

Au même moment, le déchargement des pouvoirs de taxation et de dépenses d’Ottawa vers les gouvernements provinciaux est vanté par les néo-conservateurs en tant que mécanisme pour démanteler davantage les programmes sociaux fédéraux. Cela sert du même coup les efforts des conservateurs pour s’attirer l’appui des sections plus régionales de la grande entreprise comme au Québec ou parmi leur propre base en Alberta.

 « Des quartiers et des communautés plus sécuritaires », une autre des priorités du gouvernement réaffirmées par le premier ministre, fait partie d’un programme de la loi et de l’ordre dans lequel la soi-disant « lutte contre le crime » et « guerre au terrorisme » servent de prétextes pour miner les procédures judiciaires de longue date et augmenter les pouvoirs répressifs de l’Etat canadien.

Les graves conséquences pour les droits démocratiques des Canadiens ordinaires ont été soulignées en septembre dernier par le rapport sur la commission Arar, qui a dévoilé comment les agences de sécurité canadiennes, alors que le gouvernement était au courant, ont espionné un citoyen canadien, l’ont faussement accusé d’être un agent terroriste, et ont participé à sa déportation, sa séquestration et sa torture en Syrie.

Une autre priorité du gouvernement citée par Harper est la promotion « des intérêts et des valeurs canadiennes sur la scène mondiale ». Cela s’exprime de la façon la plus directe par l’opération de contre-insurrection menée par les troupes canadiennes en Afghanistan. L’élite dirigeante canadienne voit cette intervention néocoloniale afghane comme le début d’une nouvelle ère dans laquelle le Canada se taillera une place aux côtés des Etats-Unis et des autres grandes puissances dans la réorganisation du monde.

En février de l’année dernière, quelques semaines seulement après avoir pris le pouvoir, les conservateurs ont annoncé un développement et un réarmement important des Forces armées canadiennes (FAC), dont l’ajout de 13 000 soldats réguliers et 10 000 réservistes, une augmentation des dépenses militaires de 5,3 milliards $ au cours des cinq prochaines années, et le développement d’une capacité accrue d’intervention rapide qui permettra une plus grande participation canadienne dans les interventions militaires à l’étranger.

L’idée maîtresse des propositions de la politique de Harper — un immense transfert de richesse vers les riches à l’aide de baisses d’impôts, d’une réduction de la dette et du démantèlement des programmes sociaux, une réduction des droits démocratiques fondamentaux, une politique étrangère plus agressive et impérialiste — est essentiellement partagée par tous les partis d’« opposition » de la grande entreprise.

Il n’existe que des différences tactiques dans la manière de faire respecter un tournant si important vers la droite face à un mécontentement populaire croissant. Alors que les conservateurs soutiennent que cela nécessite une rupture avec la vieille idéologie nationale canadienne de société « plus aimable et pacifique » que son voisin au sud, les libéraux, le parti canadien qui a été au pouvoir durant la majorité du siècle dernier, craignent que cela pourrait entraîner une importante intensification de la lutte des classes. Ils préfèrent se présenter comme les opposants d’un programme de droite tout en implémentant ses principaux éléments.

Fidèle à la forme, le dirigeant libéral nouvellement élu, Stépane Dion, joue la carte de la « justice sociale », disant sur son site Internet, « Je vais améliorer nos programmes sociaux et le filet de sécurité, parce que je crois que c’est la clé pour nous assurer de vivre dans une société plus juste. »

Le fait est que l’actuel gouvernement conservateur ne fait que poursuivre dans la direction de droite prise à toute vapeur par les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin, pour lesquels Dion a loyalement servi. Au cours de leurs douze ans au pouvoir (1993-2006), les libéraux ont imposé les plus importantes coupes sociales de l’histoire canadienne, retiré à la majorité des chômeurs le droit aux prestations de l’assurance-emploi, imposé des diminutions d’impôts massives profitables à la grande entreprise et les bien nantis, s’est associé aux Etats-unis dans la guerre contre la Yougoslavie et l’Afghanistan, et adopté des lois antiterroristes draconiennes qui accordent à l’Etat le pouvoir de détenir indéfiniment un individu sans accusation.

Malgré toutes leurs critiques à l’égard des conservateurs pour être à la remorque de la politique de l’administration Bush en politique étrangère, les libéraux appuient autant que les conservateurs la guerre de type colonial que les Forces armées canadiennes mènent dans le sud de l’Afghanistan, l’ayant eux-mêmes lancée.

Pour ce qui est du Nouveau Parti démocrate (NPD), le parti social-démocrate canadien, il n’a jamais été rien d’autre qu’une « loyale opposition » dont le but est de garder l’opposition de la classe ouvrière dans les limites du cadre parlementaire capitaliste existant. Son histoire se limite à ce rôle de mettre de la pression sur les libéraux, tel qu’il a été illustré par leur appui accordé au dernier gouvernement minoritaire de Paul Martin.

Sous la direction de Jack Layton, le NPD a cherché à étendre cette tradition de manœuvre parlementaire et de transaction de coulisse en y incluant les conservateurs. Layton a contribué à la prise du pouvoir de Harper en endossant la campagne démagogique des conservateurs avant et durant la campagne électorale accusant les libéraux de corruption.

Le NPD prétend s’opposer à l’intervention militaire du Canada en Afghanistan, mais refuse pourtant de poser quelque acte politique que ce soit en ce sens. Dernièrement, lorsque le Bloc a brièvement menacé de faire tomber le gouvernement de Harper avec un vote de non-confiance sur la mission canadienne en Afghanistan, le NPD a attaqué la manœuvre du Bloc de la droite. Layton a qualifié la menace du Bloc de « jeux politiques » et dit qu’il était plus important « d’obtenir des résultats de ce gouvernement » ou, en d’autres termes, de continuer à soutenir les conservateurs de Harper.

Et c’est précisément ce que le NPD a l’intention de faire. La semaine dernière, le député libéral Wajid Khan a traversé le plancher, passant du côté des conservateurs. Il en résulte que les conservateurs ont maintenant 125 sièges à la Chambre des communes comparativement à 101 pour les Libéraux, 51 pour le Bloc québécois et 29 pour le NPD. Ce nouvel alignement donne donc au NPD la « balance du pouvoir » en ce sens que son appui est suffisant pour empêcher le gouvernement de tomber et lui permettre d’adopter des lois.

Commentant cette nouvelle situation, Layton n’a pas exclu un travail de collaboration avec les conservateurs pour introduire une loi « complètement réécrite » sur l’environnement. Invoquant le besoin pour le Canada d’adresser la question du changement climatique, Layton a dit, « Il faut s’élever au-dessus des habituelles lignes partisanes insensées pour aller de l’avant. »

(Article original anglais paru le 12 janvier 2007)

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