72,6 pour cent des quelque 22 000 salariés de Telekom
appelés à voter ont, selon le syndicat Verdi, accepté l’accord qui a été
négocié la semaine dernière entre le syndicat et la direction de Telekom
présidée par René Obermann. C’est ainsi que prendra effet une des
réductions les plus massives de salaires de l’histoire des conventions
collectives en Allemagne.
L’accord comprend une baisse progressive des salaires
de l’ordre de 6,5 pour cent et un allongement du temps de travail de
quatre heures pour les 50 000 employés qui seront externalisés vers des
filiales de l’entreprise ainsi qu’une baisse de 30 pour cent de
salaire pour les salaires des nouveaux débutants.
Des correspondants du World Socialist Web Site ont
parlé jeudi et vendredi, au moment du vote, aux travailleurs concernés dans la
région de Francfort/Main et de Berlin. Nombreux étaient ceux qui exprimèrent
leur déception à l’égard des résultats de la négociation et qui
critiquèrent le syndicat. Dans le même temps, ils étaient fortement désorientés
par la propagande continue faite par Verdi. Plusieurs d’entre eux ont dit
qu’il s’agissait d’« un accord lamentable mais
qu’il fallait bien accepter sous peine de se voir imposer pire ».
Le syndicat Verdi avait fait tout son possible pour obtenir
l’assentiment de la base à une fin de la grève. La veille du vote des
assemblées générales avaient été organisées dans toutes les entreprises où les
représentants syndicaux dépeignaient l’accord comme étant un
« moindre mal » et représentant « le meilleur résultat
possible » tandis que les représentants du groupe jouaient le rôle du méchant.
A Eschborn (près de Francfort), les salariés ont rapporté que
l’assemblée générale s’était déroulée dans une ambiance houleuse et
les porte-parole de la direction avaient été hués et sifflés. Les représentants
de Verdi auraient à leur tour fait pression sur les salariés, les menaçant carrément
et leur faisant une description extrême des désavantages qu’entraînerait
un « non ».
Dans un tract distribué par Verdi, ainsi que sur le site web
du syndicat, étaient dépeints les inconvénients qu’aurait pour les
travailleurs un refus de l’accord. On pouvait y lire : « Que se
passera-t-il s’il n’y a pas d’accord ? Entreront alors
en vigueur : la semaine de 38 heures sans prime de qualification ; une
réduction de salaire immédiate — pas de compensation ;… l’obligation
d’assurer des charges de travail plus ou moins grandes selon les
besoins,… une protection vieillesse plus médiocre ;… pas
d’embauche des 4125 apprentis ;… le licenciement pour motif
économique, pas de protection sociale pour délocalisation… », etc.
En réalité, l’accord négocié par Verdi ouvre tout
grand la porte à d’autres attaques de la part des grands trusts et cela
non pas seulement à Telekom mais dans l’ensemble de l’industrie. Quand
on leur disait qu’un tel accord ressemblait à une rupture de digue et encourageait
d’autres entreprises à faire de même, de nombreux employés dirent que
cette comparaison leur semblait juste. Et pourtant, ils ne se sentaient pas en
mesure de résister à la pression massive exercée par les fonctionnaires de
Verdi.
La nervosité du syndicat fut visible dans la réaction des
fonctionnaires de Verdi à un appel du World Socialist Web Site intitulé,
« Le syndicat trahit la grève et accepte des baisses de salaire et une
augmentation des heures de travail. Votez ‘non’ à
l’accord ! » et qui fut distribué sous forme de tract. A
Eschborn, ils essayèrent de chasser les distributeurs de tracts en affirmant
qu’ils étaient dans l’enceinte de l’entreprise et
qu’ils n’avaient aucun droit de s’y trouver.
A la station de métro Ostbahnhof à Francfort, tout comme à
Eschborn, les représentants de Verdi s’efforçaient d’influencer
lourdement tous les travailleurs qui avaient pris le tract. « Ce n’est
pas la position officielle, ce ne sont que les trotskystes. Prends notre
information, nous sommes Verdi, contrairement à eux, nous faisons partie de la
maison, et on te dit : si l’on n’accepte pas l’accord
maintenant, le groupe fera ce qu’il voudra. »
Lorsqu’une discussion s’engagea avec plusieurs
travailleurs de Telekom à l’entrée du bâtiment d’Eschborn, une
représentante de Verdi intervint en criant : « Vous ne faites que
critiquer. Quelle est votre alternative ? » A la réponse :
« Une lutte commune des travailleurs au-delà des frontières des
entreprises et des pays, en unité avec les salariés de Siemens, d’Airbus,
de Volkswagen et de beaucoup d’autres », elle répliqua :
« C’est bien beau tout ça. J’aimerais moi aussi être pour le
soulèvement de la République mais ce ne sont que des rêves. Les travailleurs
allemands sont bien trop passifs. »
A Berlin les fonctionnaires de Verdi réagirent également au
tract comme s’ils avaient été piqués par une tarentule. Ils exigèrent le respect
d’un « périmètre de sécurité autour du bureau de vote » en
insistant sur le droit du propriétaire qui selon eux était le leur en tant
qu’organisateurs du vote.
Les voix des
travailleurs concernés
Un employé de Telekom d’Eschborn a déclaré :
« L’accord ne ressemble pas à ce que j’avais vraiment attendu.
Une réduction directe du salaire ne devrait en général pas être acceptée. En ce
qui concerne la charge supplémentaire de travail, on l’accepte plutôt, au
vu d’un taux de chômage aussi élevé. Mais, en fin de compte, ça équivaut
aussi à une réduction du salaire. Pour moi, cela signifie tout concrètement que
je dois faire des sacrifices. J’ai deux enfants, une femme et une petite
maison, et je suis le seul gagne-pain. On pourra désormais s’offrir
nettement moins de choses. »
A la question de savoir ce qu’il pense de Verdi, il
dit : « J’en pense la même chose que de la direction de
Telekom. Il s’agit d’une lutte pour le pouvoir et ils ne veulent
pas en perdre le contrôle. Le travailleur quant à lui ne peut que
perdre. »
D’autres salariés de l’entreprise ont fait état
de la grande combativité syndicale qui a régné. Un employé plus âgé a dit que
c’était sa première grève et qu’il était impressionné par la solidarité
qui s’était manifestée. L’accord l’avait profondément déçu.
« On n’a pas essayé tout ce qui était possible », dit-il. Ce
qui fut confirmé par d’autres travailleurs qui se plaignirent de ce
qu’on n’avait pas appelé l’ensemble des établissements à
faire grève en même temps.
Un grand mécontentement régnait aussi à la filiale de
Telekom située près de la station Ostbahnhof. « Je suis vraiment en colère
contre l’accord, et je suis en colère contre Verdi. Tous devraient voter
‘non’ » a expliqué un jeune travailleur.
On nous a répété à maintes reprises que même les employés de
Telekom qui relèvent de la fonction publique s’étaient montrés très
solidaires. Un grand nombre d’entre eux avaient reçu des lettres
précisant que leur statut de fonctionnaire au sein d’une ancienne
entreprise d’Etat serait tout juste garanti jusqu’à fin mai 2008. A
la station Ostbahnhof, une fonctionnaire a déclaré : « Une chose est
sûre : si cet accord est accepté, alors nous serons les prochains. »
Heike Benz travaille depuis quinze ans au centre
d’appels de Telekom à Berlin. Elle est déçue et indignée par le résultat
des négociations. « A présent nous devons travailler plus pour gagner
moins d’argent. Est-ce pour cela que nous avons fait la grève? »
Elle trouve particulièrement regrettable le fait que Verdi présente ce
« résultat totalement inacceptable » comme un succès. « Pour
moi, il n’y a qu’un mot pour qualifier cet accord : c’est
une escroquerie. »
La grève qui avait presque duré cinq semaines et à laquelle
elle avait participé, lui a causé des pertes financières considérables. « Tout
ça, pour aboutir à un tel résultat ! »
Manuela Hintz partage aussi cet avis. Elle travaille depuis
18 ans dans le service financier de T-System et n’avait pas été
directement impliquée dans la grève. « Cela aurait été mieux si tous les
services Telekom avaient débrayé ensemble », souligna-t-elle. « Dans
notre domaine, un millier d’emplois seront supprimés, mais ça
n’intéresse personne. Et pourtant, nous n’avons pas été impliqué
dans la grève. » L’ambiance qui règne parmi les collègues est exceptionnellement
tendue. La cadence de travail augmentera nettement après ce résultat.
« Tout le monde en est conscient ici. »
« Je ne peux y voir du positif que pour les
patrons », répondit-elle à la question de comment elle jugeait le
comportement de Verdi. Le plus terrible est que ce résultat ne représente que
le début « de toute une série d’aggravations ». « Que se
passera-t-il après 2010 ? Les filiales nouvellement créées seront
peut-être vendues et alors ? »
Peter Pohl travaille déjà depuis 35 ans dans
l’administration de Telekom. « Je voterai de toutes manières
‘non’ », expliqua-t-il au WSWS en ajoutant :
« D’après moi, tout le monde devrait en faire autant. Les gens sont
tous pris pour des idiots. Je connais le syndicat depuis longtemps. La
subordination est tout simplement trop forte. »
Il s’explique en ces termes : « Les
fonctionnaires de Verdi au plus haut niveau siègent au conseil de surveillance
de Telekom et ont surtout en tête les intérêts de l’entreprise. A ceci
s’ajoute que le principal actionnaire en est le gouvernement et que le
SPD (Parti social-démocrate allemand) fait partie du gouvernement. C’est
pas difficile à comprendre. »
Aucun des salariés questionnés n’était satisfait de
cet accord. Une grande majorité le rejetait. Il y avait cependant aussi des
travailleurs qui craignaient de perdre leur emploi, qui étaient démoralisés par
la grève et démotivés par cet accord. Ils ne savaient pas quoi faire et avaient
l’impression que toute grève supplémentaire serait vouée à l’échec.
Mme Wille travaille également au centre d’appels de
Telekom à Berlin et est de ce fait directement touchée. Elle dit que pour de
nombreux collègues qui ont de la famille, la charge de travail supplémentaire
était difficilement supportable. Les collègues avaient pour certains de longs
trajets à faire et ne savaient déjà pas à qui confier leurs enfants si tôt le
matin. « Comme la majorité des gens ici, je suis contre cet accord. Je
pense que l’on a créé un précédent : si nous réduisons les salaires,
d’autres opérateurs suivront. C’est une spirale sans fin vers le
bas. »
Mme Batschke travaille également au centre d’appels de
Berlin et est très critique à l’égard du syndicat. « Verdi a laissé
les salariés dans l’ignorance quant aux possibilités qu’offrait la
grève. Les collègues étaient combatifs, ils voulaient descendre dans la rue,
mais la grève s’est en grande partie jouée dans l’arrière-cour du
siège de Verdi. »
Elle dit que de nombreux travailleurs ont été démoralisés
par ce genre de grève et démotivés par cet accord. « Nous ne savons pas
comment continuer », dit-elle. « Pour moi, ces centres d’appels
ne sont de toute manière rien d’autre que de l’esclavage moderne.
Dans la plupart des entreprises beaucoup d’intérimaires touchent des
salaires de misère au lieu que soient créés des emplois décents. Telekom
rejoint à présent ce niveau. »
Mme Geisendort travaille au service clientèle en tant
qu’assistante d’administration et elle est membre de Verdi. Elle
s’efforça de trouver un côté positif à l’accord bien qu’elle
en ait attendu plus. « Au vu du taux de chômage élevé, la sécurité de
l’emploi prédomine, » dit-elle. « Cet accord permet de garantir
les emplois pendant au moins quelques années. La situation économique nous
contraint à faire des concessions. »