Vendredi dernier, la Cour d’appel américaine du
Sixième circuit a rejeté un recours de l’Union américaine pour les
libertés civiles (ACLU) contre le programme permettant l’écoute sans
mandat des communications téléphoniques et électroniques des résidents des
Etats-Unis par l’administration Bush.
Dans une décision à deux contre un, un comité de trois
juges de la cour d’appel, basée à Cincinnati en Ohio, a décidé que les
plaignants ne pouvaient contester en cour le programme d’espionnage
américain car ils ne pouvaient prouver qu’ils avaient eux-mêmes été directement
affectés par le programme.
Du même souffle, la majorité a reconnu qu’il était
impossible d’amener une telle preuve car le gouvernement avait refusé de
fournir à la cour les informations sur le programme secret, en prétextant
qu’il s’agissait de « secrets d’Etat ».
Le jugement, qui a été rendu par des juges nommés par le
Parti républicain, a renvoyé la plainte au tribunal de première instance de
Détroit au Michigan pour qu’elle y soit rejetée.
En août dernier, la juge Anna Diggs Taylor du tribunal de
Détroit a rendu un jugement incisif en faveur de l’ACLU qui déclarait que
le programme d’espionnage sans mandat violait les Premier et Quatrième
amendements de la Constitution des Etats-Unis, le principe constitutionnel de
la séparation des pouvoirs et la Loi de surveillance du renseignement étranger (FISA)
de 1978. Le Quatrième amendement interdit les perquisitions et saisies sans
mandat et le Premier amendement garantit la liberté de parole.
Le programme en question fut secrètement lancé par un
décret de Bush peu de temps après les attaques terroristes du 11 septembre
2001. Ce décret autorisa l’Agence de sécurité nationale (NSA), dirigée à
l’époque par l’actuel directeur de la CIA, le général Michael
Hayden, à mettre sur écoute les appels téléphoniques internationaux et à
intercepter les courriels internationaux impliquant des citoyens américains, et
ce sans l’obtention d’un mandat de la cour.
Le public apprit l’existence de ce programme
manifestement illégal et inconstitutionnel lorsqu’il fut dévoilé dans un
article publié en décembre 2005 par le New York Times. Bush reconnut
alors l’existence du programme et le défendit en soutenant que, en tant
que commandant en chef dans la « guerre contre le terrorisme », ses
pouvoirs étaient illimités et qu’il pouvait ainsi ignorer les mesures de
la loi FISA et ne pas être surveillé par le Congrès ou les tribunaux.
Le mois suivant, l’ACLU intenta un procès contre le
programme au nom d’avocats, de journalistes et d’universitaires qui
soutenaient que ce dernier les empêchait de faire leur travail correctement.
Dans son jugement rendu en août 2006, la juge Taylor rejeta les arguments
dictatoriaux de la Maison-Blanche et ordonna que l’on mette un terme au
programme.
Elle écrivit que le gouvernement « semble argumenter
que... parce que le président est désigné commandant en chef de l’armée et
de la marine, le pouvoir inhérent de violer non seulement les lois du Congrès,
mais aussi les Premier et Quatrième amendements et la Constitution elle-même
lui aurait été accordé... Il n’y a pas de roi par descendance aux
Etats-Unis et pas de pouvoirs qui n’ont pas été créés par la
Constitution. »
La juge rejeta l’argument du gouvernement selon
lequel les plaignants ne pouvaient intenter de procès car l’existence
même du programme avait déjà eu un impact réel en entravant ou en empêchant les
communications entre des journalistes et leurs sources, et entre des avocats et
leurs clients.
Elle nota que si elle devait accepter les arguments du
gouvernement, « les actions de mises sur écoute par le président...
seraient immunisées contre tout contrôle judiciaire. Les Pères fondateurs
n’ont jamais eu l’intention d’accorder au président des
pouvoirs avec si peu d’entraves, en particulier dans le cas où ses
actions transgressent ouvertement les conditions dictées clairement par la
Déclaration des droits. »
Bush dénonça personnellement le jugement de Taylor et la
majorité des médias présentèrent ce jugement comme étant exagéré ou légalement
frivole. L’ACLU accepta que le jugement soit suspendu jusqu’à ce
que le gouvernement aille en appel, ce qui voulait dire que le programme
d’espionnage pouvait se poursuivre jusque-là.
En janvier dernier, la Maison-Blanche annonça qu’elle
soumettrait le programme de la NSA à l’examen d’un tribunal secret
établit par la FISA. On affirma alors que cela rendait la décision du juge
Taylor discutable. Cependant, les plaignants de l’ACLU insistèrent, avec
justesse, que leur poursuite demeurait cruciale car Bush n’avait pas
renoncé à ses supposés droits d’ordonner des mises sur écoute sans mandat
et que de tels programmes pourraient être implémentés plus tard, par lui ou par
de futurs présidents.
La décision de vendredi de la cour d’appel fait
exactement ce contre quoi le juge Taylor avait donné un avertissement. « On tourne en rond », a dit Steven R. Shapiro, le directeur du contentieux de l’ACLU.
« Je pense que ce qu’ils disent en fait, c’est que nous ne
pouvons par vous dire si vous êtes sur écoute puisque c’est un secret. À moins de savoir que vous êtes sur écoute, vous ne pouvez contester ce programme. »
Il a ajouté : « Nous sommes
profondément déçus de la décision d’aujourd’hui qui protège les
activités de surveillance sans mandat de l’administration Bush contre toute supervision judiciaire et prive les
Américains de toute possibilité d’attaquer la surveillance illégale de
leur téléphone et de leur courriel. »
Les deux juges républicains qui ont rendu la décision contre
le plaignant, le juge Alice M. Batchelder et le juge Julia Smith Gibbson, ont
évité la question constitutionnelle du programme de la NSA et dit que le
plaignant n’avait pas d’intérêt pour agir et donc pour poursuivre
sans la preuve qu’il était placé sur écoute par le gouvernement. Ils ont ensuite maintenu le droit du gouvernement de garder secrète
l’identité de ceux qui ont été sous surveillance électronique et conclu qu’effectivement, les victimes
d’écoute électronique gouvernementale ne pourraient pas obtenir de
réparation devant les tribunaux si le gouvernement invoque le secret
d’État.
Le juge Gibbson écrit que l’affaire tournait
« autour du fait que le plaignant a échoué dans son obligation de
présenter la preuve qu’il était personnellement
soumis au programme », et ajoute que le « plaignant perd ultimement la possibilité
de présenter une cause en raison du privilège lié au secret d’État. »
Le juge Batchelder, tout en évitant de
considérer la légalité du programme de la NSA, attaque
implicitement la décision du juge Taylor, en disant :« La cour de district a répondu à toutes
ces questions [à savoir si le programme viole la FISA ainsi que le Premier et
le Quatrième amendement] dans l’affirmative et a imposé une injonction la
plus large possible. »
Le juge Batchelder a été nommé à la cour d’appel par
Bush senior; le juge Gibbson par George W. Bush.
Le juge Ronald Lee Gilman, nommé par Clinton, est dissident, jugeant qu’à tout le moins les
plaignants qui sont avocats ont un intérêt pour agir, puisque le programme de
la NSA affecte leur façon de communiquer avec leurs clients du Moyen-Orient en
raison de la crainte de voir leurs discussions interceptées. Il a également dit
que le programme de surveillance viole clairement la FISA.
Steven Shapiro a dit que l’ACLU réfléchit à ses options légales, y compris de demander
une audience complète dans le sixième circuit ou de faire appel à la Cour suprême pour qu’elle examine la cause.
Une série d’autres causes contestant le programme
d’espionnage ont été regroupées et sont entendues par un juge fédéral en
Californie. Certains plaignants dans cette poursuite, un organisme de charité
islamique et deux de ses avocats, disent pouvoir prouver qu’ils ont une cause à faire valoir même à la
suite du jugement de vendredi par le sixième circuit. Ils soutiennent avoir vu un document classifié
démontrant que leurs communications étaient interceptées.